Un plan national de lutte contre le cancer est mis en place par le ministère de la Santé. Baptisé «Nouvelle vision centrée sur le malade», le plan, qui s'étale de 2015 à 2019, vise à réduire considérablement le taux de mortalité chez les cancéreux. L'Algérie a connu à partir des années 1990 une transition démographique profonde et rapide qui a entraîné une modification structurelle du profil épidémiologique de sa population. Celle-ci a connu une baisse de la mortalité générale qui a été divisée par 4 en l'espace de 50 ans (16,45 pour mille à la fin des années 1960 à 4,41 pour mille habitants en 2008) et une baisse importante de la mortalité infanto-juvénile corrélée à une augmentation progressive de l'espérance de vie, estimée à 25 années au cours des 50 dernières années, ce qui a eu pour conséquence un vieillissement progressif de la population avec une part de plus en plus importante des personnes âgées de plus de 60 ans dans la pyramide des âges, estiment les responsables du ministère de la Santé dans un document que nous nous sommes procuré auprès de la cellule de communication de ce département. La même source ajoute qu'une modification profonde du mode de vie collectif et individuel (augmentation du tabagisme, du stress, de la sédentarité, de l'urbanisation...) et d'un mode alimentaire déséquilibré sont à l'origine de l'émergence des Maladies non transmissibles (MNT) dont le cancer. Ces maladies constituent aujourd'hui plus de 80% des causes de décès et ont en commun un certain nombre de facteurs de risque d'où la nécessité d'une politique commune de prévention contre ceux-ci. «L'augmentation de l'incidence de cette maladie, qui est passée de 80 nouveaux cas pour 100.000 habitants en 1990 à plus de 130 nouveaux cas pour 100.000 habitants en 2010, est significative et il est prévisible qu'elle va progresser, pouvant atteindre rapidement 50.000 cas par an», note la même source qui ajoute que l'enquête réalisée en 2004 par l'Institut national de santé publique (INSP) sur l'incidence et la prévalence des cancers sur la base des 31.000 cas de cancers enregistrés en 2002 relevait que seul 1/3 des cancers était diagnostiqué à un stade précoce, les 2/3 restants l'étant à des stades invasifs et métastatiques. Près de 40% des patients n'étaient pas retrouvés dans le circuit thérapeutique et seul 1/3 des malades bénéficiait d'un protocole thérapeutique complet. Le délai moyen d'attente pour une cure de radiothérapie était de six (6) mois. C'est sur ces éléments, d'ailleurs, qu'ont reposé les recommandations pour l'amélioration de la prise en charge des cancers. Actuellement, l'âge moyen pour tous les cancers est de 54 ans. Cet âge est bas, comparé à l'âge médian des cancers dans les pays développés (62 ans en moyenne). L'ascension de la courbe d'incidence s'amorce tôt, avant 40 ans, puis évolue de manière exponentielle jusqu'à la fin de la vie. Dès l'âge de 60 ans, les taux d'incidence enregistrés en Algérie s'alignent sur ceux enregistrés dans les pays développés, particulièrement ceux d'Europe du Sud. Ceci se vérifie autant pour les hommes que pour les femmes, est-il noté dans le même document qui explique que l'incidence brute des cancers en Algérie est en augmentation constante depuis 10 ans avec près de 128 nouveaux cas pour 100.000 hommes et 132 pour 100.000 femmes en 2011. La répartition des cancers par tranches d'âges souligne bien la tendance observée depuis le début de leur enregistrement, à savoir, un nombre de cas plus élevé chez les femmes, une apparition plus précoce du cancer chez les femmes (39 ans) que chez les hommes (49 ans) et une diminution du nombre de cas à partir de 65 ans chez les femmes, âge auquel commence l'ascension de l'incidence masculine. LES ENFANTS DE PLUS EN PLUS TOUCHES PAR LE CANCER Selon le ministère de la Santé, les formes de cancer les plus fréquentes chez l'homme sont celles du poumon, du colo-rectum, de la vessie, de la prostate et de l'estomac. Ils constituent 52,5% de tous les cancers masculins. Le cancer du poumon à lui seul représente environ 15% des cancers masculins. Ceci confirme et consolide les tendances depuis 2001 avec la prédominance, chez l'homme, des cancers liés au tabagisme (poumon - vessie), du cancer de la prostate qui connaît une augmentation rapide depuis le début des années 2000 et des cancers digestifs, notamment colorectaux. L'élévation de l'incidence des cancers de la prostate se confirme. Il est, aujourd'hui, le 3e cancer chez l'homme. Les formes de cancer les plus fréquentes chez la femme sont celles du sein, du colon rectum, de la thyroïde, du col de l'utérus et de l'ovaire. Elles constituent 68,2% de tous les cancers féminins. Les cancers du sein (40,45%) et du col de l'utérus (12,5%) totalisent, à eux deux, 52,95% de tous les cancers féminins, est-il souligné dans le même document qui explique par ailleurs que de plus en plus d'enfants et d'adolescents sont touchés par le cancer. L'incidence du cancer augmente, tous les ans, de 1% chez les enfants et de 1,5% chez les adolescents. Les formes de cancer les plus fréquentes chez l'enfant sont celles du système hématopoïétique, des ganglions lymphatiques, de l'encéphale, de l'os et du rein. Ils constituent 59,4% de tous les cancers de l'enfant de sexe masculin et 58,3% de tous les cancers de l'enfant de sexe féminin. Le document établi par le ministère de la Santé donne en outre des chiffres détaillés et qui font froid dans le dos. Le cancer du sein dont la forte progression prend des proportions épidémiques inquiétantes avec plus de 9.000 nouveaux cas en 2009, soit 54 nouveaux cas pour 100.000 femmes. Actuellement, ce chiffre est estimé à 11.000, soit une augmentation de 500 nouveaux cas par an. De plus, le cancer du sein en Algérie touche autant la femme jeune que la femme ménopausée, ce qui complique son dépistage: l'âge médian est de 47 ans, c'est-à-dire que 50% des cancers du sein ont déjà eu lieu avant cet âge. Les cancers du poumon dont la progression est constante avec une incidence standardisée a pratiquement doublé passant de 11 à 20 pour 100.000 hommes en 25 ans (de 1986 à 2010) et les cancers de la vessie avec plus de 10 nouveaux cas pour 100.000 hommes touchent l'adulte de plus en plus jeune et montrent la nécessité et l'importance du renforcement du programme de lutte anti-tabac. Le cancer colorectal dont la progression ininterrompue depuis le milieu des années 2000 se place maintenant à la deuxième localisation chez l'homme comme chez la femme. Une étude a montré qu'il est passé de 3,2 à 11 pour 100.000 habitants en 25 ans. Le cancer de la prostate dont la progression est croissante se classe aujourd'hui en 3e position des cancers chez l'homme. Cette progression risque encore de s'aggraver comme cela s'est passé dans les pays développés. Par ailleurs, le cancer de la thyroïde, peu fréquent chez l'homme, est, depuis quelques années, le troisième cancer féminin. Il touche autant l'adolescente et la jeune femme que la femme âgée. Il nécessite une étude sur ses facteurs de risque spécifiques en Algérie. Il devrait aussi bénéficier d'un enregistrement à part en raison de la progression particulièrement rapide de son incidence durant la dernière décennie. Il faut noter enfin la stagnation, voire une petite diminution de l'incidence brute du cancer du col de l'utérus qui a été longtemps le deuxième cancer féminin. Cette stagnation a été signalée dans la wilaya d'Alger, il y a quelques années déjà mais aussi dans la wilaya de Sétif. La même tendance à la stagnation s'observerait pour les cancers de l'estomac et du nasopharynx tant chez l'homme que chez la femme. INFRASTRUCTURES ET RESSOURCES HUMAINES «Dans l'évaluation de l'état des lieux rapportée dans le rapport préliminaire de juin 2013, nous avons pu constater les nombreux atouts qui caractérisent notre système de santé», est-il écrit dans le document qui souligne que l'Algérie dispose, en termes d'infrastructures, d'une très large couverture du territoire assurée par un tissu très dense d'établissements allant de la salle de soins aux CHU (tableau 01). Un nombre important de ces établissements participent à la prise en charge des patients cancéreux pour le diagnostic et le traitement (excepté la radiothérapie) avec un personnel qualifié. Ce qui explique le fait qu'au point de vue du diagnostic, plus de 85% des patients atteints de cancer bénéficient d'un diagnostic de certitude avant le traitement. Les traitements sont aussi réalisés dans de bonnes conditions et sans problèmes particuliers, sauf pour les délais des rendez-vous de la radiothérapie. De plus, l'apport du secteur privé, en progression très nette, est actuellement assez conséquent avec une participation de plus en plus importante aussi bien dans le domaine du diagnostic que du traitement. La radiothérapie est pratiquée dans des structures spécialisées CAC - au nombre de 11 qui ont le statut d'EHS. Deux structures privées bien équipées dispensent les activités de diagnostic de radiothérapie et d'oncologie. D'autres EHS spécialisés dans certains organes sont également susceptibles de prendre en charge les cancers. L'Algérie dispose de 14 CHU actuellement. Ce chiffre doit passer à 20 d'ici à la fin du plan. De même que les hôpitaux généraux devront passer à 250 à la même échéance. Il est prévu une réorganisation dans le fonctionnement des structures de proximité dans le cadre du projet de la nouvelle loi portant création des districts sanitaires. Le personnel médical et paramédical correspond à des normes de fonctionnement suffisant, sauf pour certaines spécialités ou certaines régions, ce que montrent certains indicateurs. L'Algérie dispose d'une densité médicale d'un médecin pour moins de 600 habitants. A travers le pays, la grande majorité des habitants réside à moins de 10 km d'une structure de santé (Enquête TAHINA 2007) et sont à moins de 15 minutes d'une pharmacie. «Comme cela a été recommandé dans le rapport préliminaire et eu égard aux disparités régionales, des conventions entre les hôpitaux du nord du pays et les établissements moins privilégiés ont été signées en vue de prendre en charge les patients, notamment en chirurgie spécialisée et en cancérologie. Cette pratique, qui est d'un grand intérêt pour rééquilibrer l'offre de soins régional dans un sens plus égalitaire, doit être évaluée pour y introduire les compléments et les correctifs», ajoute également la même source qui mettra en ce sens en exergue «l'importance relative» du secteur privé aussi bien dans le domaine des infrastructures que dans celui des ressources humaines et notamment dans le domaine de la radiothérapie. Sur le plan quantitatif, le nombre de physiciens médicaux à former pour les 5 prochaines années, estimé sur la base de la carte sanitaire pour la cancérologie et le développement des techniques d'imagerie médicale et des techniques de traitement en radiothérapie, est de 50 à 100 physiciens. Actuellement le nombre de physiciens médicaux en fonction est de 34 dont 28 dans le secteur public et 6 dans le secteur privé. Le nombre de physiciens médicaux en formation est de 47 dont 32 en master et 15 en magister. L'organisation pyramidale des soins doit être rétablie et enrichie en y incluant notamment le secteur privé sans oublier le rôle des structures locales et régionales dont la coordination devrait être organisée, ce qui est d'ailleurs prévu dans la future loi de la santé, de l'avis du ministère de la Santé qui poursuit par ailleurs, en soulignant que cette organisation devra s'inscrire dans une option visant le succès et axée sur la valorisation des facteurs clés de l'efficience que sont la qualification des ressources humaines, la modernisation de la gestion et de l'organisation se référant aux standards internationaux. «Les atouts préalables à développer pour la réussite de cette stratégie concernent plus précisément une gestion décentralisée suivant le principe de subsidiarité, une formation des personnels mieux adaptée et modernisée, une recherche plus agressive», pensent également savoir les rédacteurs du document qui soutiennent que la rédaction du «Plan national cancer 2015-2019» s'est largement inspirée des propositions et recommandations faites lors de l'évaluation qui a permis l'élaboration des rapports de juin et d'octobre 2013. «Il nous paraît important de montrer comment à partir de l'évaluation pratiquée lors du premier semestre 2013, les propositions émanant d'un grand nombre de professionnels de la santé ont constitué les jalons de ce Plan national cancer 2015-2019», est-il noté, en rappelant que l'idée de ce plan était déjà suggérée dans le rapport préliminaire de juin 2013 qui se concluait de la façon suivante: «Sur la base des recommandations des groupes de réflexion qui seront formés, il sera nécessaire d'élaborer un plan de lutte contre le cancer rédigé, organisé, consensuel et surtout structuré autour d'objectifs clairs, précis, ambitieux tout en étant réalistes et réalisables avec un échéancier raisonnable entre cinq et dix ans». Cette idée s'est progressivement développée lors de l'élaboration du rapport d'octobre 2013 qui, lui, a confirmé avec un large consensus la forte attente vis-à-vis de la mise en place d'un plan cancer. Afin d'aider à une meilleure compréhension de la construction de ce plan, il nous semble instructif de joindre en annexe les synthèses des deux rapports de 2013. La démarche qui a permis l'élaboration de ce plan a comporté en fait deux étapes distinctes: la première étape s'est elle-même déroulée en deux temps. Le premier temps a abouti à l'élaboration du rapport d'étape intitulé «Evaluation et suivi du Plan national cancer» dont les travaux ont été dirigés par un groupe d'experts. La méthode de travail de ce dernier s'est appuyée sur trois domaines essentiels: «la constitution d'un fonds documentaire», «les visites sur le terrain» et «l'expertise internationale». OBJECTIF: DIMINUER LA MORBIDITE DU CANCER L'objectif principal de ce plan, selon les prévisions du ministère de tutelle, est la diminution de la mortalité et de la morbidité du cancer. Il représente en fait un axe stratégique essentiel seul capable de témoigner de l'efficience d'un système de santé. Ce Plan national cancer 2015-2019 essaie de tracer une nouvelle démarche qui doit se poursuivre par la mise en place ultérieure de structures de pilotage et d'évaluation qui pourront juger régulièrement des modalités de son application et de son efficacité. Visant essentiellement à l'amélioration de la survie et de la qualité de vie des malades, cette politique devra être basée sur les trois principes que sont «l'amélioration de la liquidité du parcours du malade», «le renforcement de la prévention et du dépistage» «le développement de l'efficacité des méthodes thérapeutiques dans lesquelles les soins palliatifs trouveront une place plus significative». L'amélioration des résultats attendus de ce plan resteront fondamentalement tributaires de la revalorisation des compétences et des qualifications humaines à tous les stades de la chaîne de soins qui devra être elle-même remise à niveau sur des bases plus efficaces. Les futures dispositions législatives prévues par le projet de loi de la santé devraient représenter une assise solide garantissant la pérennité et l'efficacité de cette nouvelle vision. Il ne faut pas perdre de vue, que la lutte contre le cancer constitue une entreprise qui s'inscrit dans la durée et qu'il faut tenir compte du génie évolutif de cette pathologie et des changements constants dans les domaines scientifiques et technologiques. «Ce plan est le fruit de la participation massive de tous les professionnels de santé et traduit une mobilisation sans précédent dont la continuité profitera certainement à l'efficacité des mesures préconisées», est-il souligné en notant que ces objectifs, actions et mesures ont été élaborés sur la base des deux rapports d'évaluation de juin et octobre 2013, enrichis et complétés par des groupes d'experts après de larges débats. Ils ont été définitivement validés lors d'un séminaire du 13 au 15 octobre 2014 à l'INSP (Institut national de la santé publique). «Dans leur majorité, ces actions ne nécessitent pas de moyens financiers importants; elles exigent des efforts pour une organisation innovante, une coordination plus importante et une exploitation plus pertinente et valorisante du capital humain», est-il également précisé non sans annoncer une batterie d'actions, notamment la lutte contre les facteurs déclencheurs des tumeurs et le dépistage précoce de la maladie pour sauver le plus de vies possible. «Une des actions phares du Plan national cancer 2015-2019 serait de créer 5 centres pilotes de référence dont un dans le Grand Sud en y mettant tous les moyens humains et matériels avec une prise en charge de l'ensemble des étapes de la chaîne de soins de ce cancer. Les étapes de l'évaluation doivent être prévues de façon périodique», poursuit la même source qui ajoute que, compte tenu du fait que ce genre d'expérience est nouveau pour la grande majorité des équipes médicales, l'indicateur de performance devra être fixé par un groupe d'experts lors de la préparation de l'étude de faisabilité qui précédera la mise en œuvre. A noter que ce »Plan national cancer 2015-2019", dont nous avons relevé seulement certains extraits qui nous paraissaient importants, a été établi après de très larges débats et un accord consensuel à partir des propositions du rapport d'octobre 2013. Ce plan a fixé huit axes stratégiques. Leur mise en œuvre devra particulièrement tenir compte des thèmes transversaux qui ont été évoqués, à savoir l'amélioration du parcours du malade et son humanisation, la réglementation et le financement ainsi que le développement de l'inter-sectorialité. Le contenu de ce plan n'aura de valeur qu'en fonction de l'exécution des mesures contenues, notamment de la pertinence des procédures qui restent à élaborer, et de son évaluation sur la base d'indicateurs précis. «Le plan est la suite logique du résultat des deux rapports d'évaluation et de suivi du plan cancer, suite à la mission confiée au Professeur Messaoud Zitouni par le Président de la République pour assurer, en liaison avec les autorités concernées, le suivi et l'évaluation du Plan national cancer et proposer toutes mesures utiles à l'effet d'améliorer davantage la qualité des soins et du suivi des patients», est-il par ailleurs précisé dans le document qui conclut que les dysfonctionnements relevés devraient être corrigés à la faveur de l'application des réformes qui ont été prévues, notamment dans l'organisation générale du système de santé et plus particulièrement dans la gestion hospitalière. Ces réformes de fond permettront surtout un changement qualitatif dans le comportement de l'ensemble des personnels de santé pour rendre leurs actions plus efficaces. Dans cette perspective de changement positif, la communauté des professionnels de santé place un espoir tout particulier dans la future loi sanitaire.