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TLEMCEN: Il y a cent ans, la grande «Hidjra»
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 25 - 04 - 2015

A un moment où l'Algérie était entrée en pleine ère coloniale marquée par la fin de la lutte historique menée par le héros national l'émir Abdelkader et les chefs des insurrections populaires, le mouvement d'exode ou la ‘'hidjra''demeure un événement majeur, un épisode-clé situé dans une période charnière de l'histoire de la lutte en Algérie, à l'aube du XXe siècle. Après l`échec de la résistance militaire du héros national l'émir Abdelkader et les insurrections populaires, ce moment historique demeure une date importante marquant le début d`une mutation nouvelle, celle-ci, qui va faire réagir la population durement éprouvée économiquement et aussi, du fait des privations de droits sous l'emprise des colons qui n'avaient d'autres objectifs que de conforter leur empire. Ce moment de l`histoire souvent décliné par nos historiens a pourtant mobilisé tout le pays pour être même considéré comme fondateur de l'autre forme de résistance, celle-ci politique, qui va entraîner un vaste mouvement de l'opinion nationale. Au plan politique, il a mobilisé l'énergie d'une grande partie de la population, inaugurant les premiers balbutiements d'une nouvelle étape de lutte avec une vision des problèmes avant la revendication nationale.
La ‘'hidjra'' fut un instant révélateur de l'évolution politique en Algérie au cours duquel le mouvement intellectuel et politique a commencé à prendre de l'importance en se frayant le chemin de la prise de parole. Deux courants vont ainsi dominer la scène, faisant réagir en même temps les conservateurs et les jeunes évolués de la nouvelle dynamique culturelle et politique considérés comme modernistes, parmi d'une part, les hommes de foi (foqaha) conservateurs et, d'autre part, les élites émergentes de la génération des jeunes diplômés bilingues, de l`intelligence du temps, avec leur double culture , admirateurs de Ibn Khaldoun , al-Farabi, Ibn Rochd ( Averroés ) mais aussi de Montesquieu, Rousseau, Spinoza… Ce moment de contestation- refus fut un des principaux évènements de l'histoire politique algérienne, au début du XXe siècle. Il fut une riposte contre les inégalités et l'injustice instrumentalisés par les colons et aussi temps de mobilisation où pointe déjà la naissance d'une nouvelle période à un moment où la population, dans son état général, était au stade du désespoir, incapable de s'exprimer, et cela, en raison de la politique du ‘'néant humain'' et de déligitimation infligée aux ‘'indigènes'', ‘'cette race autochtone considérée comme telle , jusqu'à nouvel ordre'', commentait, avec une sorte de mise en garde, le juriste , journaliste et homme politique Bénali Fekar (1872-1942) dans sa conférence auprès de la société de géographie de Saint-Nazaire (France) , en 1905. La politique de l'indigénat dont le code promulgué en 1881, confinait les Algériens dans la marge, leur réservant un sort humiliant d'une domination par les armes, enfin, par l'exclusion. Après une longue guerre aux côtés de l'émir Abdelkader, la vieille cité de Tlemcen offrait certes, l'aspect d'une ville sinistrée et les habitants ne pouvaient rester passifs figés dans leur angoisse de l'à-venir. Partout, la société musulmane avait l'esprit focalisé, au même moment, sur les grands problèmes posés par l'Europe et ses visées, voire l'annexion de la Bosnie-Herzégovine, les guerres balkaniques, les protectorats français et espagnols au Maroc, la guerre italo-turque en Tripolitaine… Et aussi, par le mouvement panislamique et les succès des JeunesTurcs qui revitalisaient partout le moral des Musulmans. La ‘' Hidjra'' ou l'exode était provoquée par le projet encore dans l'air pour l'enrôlement militaire des Algériens (Le décret ‘' Messimy'', établissant la conscription pour les indigènes, fut définitivement promulgué le 3 février 1912). D'une réalité frustrante, cet épisode de l'histoire coloniale fut annonciateur du début d'une forme de résistance-refus, à contour politique. L'évènement sera catalyseur puisqu'il allait impliquer, pour la première fois, la nouvelle génération de l'élite dans la formulation des premières revendications de droits et des libertés. Devant une situation difficile plombée par les colons, les habitants n'entrevoyaient d'autre forme de résister ou de s'exprimer que de s'exiler, l'acte de l'exil étant classé dans la catégorie des ‘' Ibadât ‘', c'est-à-dire comme un acte d'adoration .
La juridiction spéciale impliquée par le fameux code de l'indigénat suscitait toutes sortes de rancoeurs, rendant inéluctable une situation devenue aussi une lutte sourde du peuple qui, depuis la colonisation, faisait le terreau à une mobilisation. Ravivé par la ‘'Hidjra'', le sentiment nationaliste était là pour prendre le relais et stimuler, au-delà des revendications politiques de l'élite politique de la première génération, le départ d'une nouvelle stratégie visant cette fois-ci, la libération. Ce moment historique fut marqué par la naissance de la première intelligentsia moderniste identifiée pour la première fois, par Jules Ferry, sous le nom de ‘‘Jeunes-Algériens''. Sous l'inspiration des Jeunes-Turcs (parti politique national révolutionnaire et réformiste en Turquie), le corps composé par la nouvelle élite algérienne proposait des solutions politiques, quoique incertaines encore, face à l`intransigeance des colons. Imbus de culture à la fois arabe et occidentale, ces jeunes de pensée moderne et, de part la modernité qu'ils souhaitaient incarner, étaient surtout préoccupés d'école et d'éducation. Ils justifièrent le mérite d'une réflexion critique allant au coeur des facteurs qui ont contraint le pays à sa colonisation, estimant que la seule alternative à la libération était le savoir et les sciences comme alternative à la lutte contre la colonisation qui n'est pas une fatalité. Rêvant d'une Algérie des Lumières, ils misaient, à long terme, sur un projet humain d`évolution -libération du pays.
Tlemcen, cette antique cité, habitée par ‘' de vieux civilisés'', écrit le professeur William Marçais dans son rapport sur la conscription, fut longtemps dans son passé au cœur de l`histoire culturelle, événementielle et politique, avec souvent aussi de dramatiques moments de résistances rapportés par les historiens du moyen-âge arabe tels Aberrahmane Ibn Khaldoun, Abou Abdellah Et-Tanessi… Prospère avec Fès, Aghmat… cette vieille cité fut, déjà au VIIèmesiècle, capitale du Maghreb sous le roi kharédjite Abou Quorra al-Ifrini dont le royaume s'étendait de l'Océan atlantique aux Golfes des Syrtes. Elle était connue comme étant aussi la région qui a vu émerger des personnalités prestigieuses appartenant au passé maghrébin, tels Tarik Ibn Ziad, le généralissime conquérant de l'Espagne musulmane en 711, Abdelmoumen Ben Ali b. Aloua (1128-1216), unificateur du Maghreb au XIIe siècle sous le règne des Almohades, Yaghmoracen, fondateur de l'Etat central au Maghreb, sous les Zianides (1236-1556) … Elle a ainsi occupé une place intellectuelle importante avec ses célèbres médersas ‘' et-Tachfiniya'', ‘'al-Yacoubiya'' , ‘'Ouled al-Imam'' …
A suivre


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