Loin de moi l'idée de choquer qui que ce soit. Mais je trouve -pardonnez le «j» parce qu'il me semble que je nage à contre-courant- que réclamer à corps et à cris la «repentance» et la «reconnaissance» des crimes contre l'humanité commis par la France coloniale en Algérie, cette auto-flagellation que la classe dirigeante semble exiger me paraît n'avoir aucun sens. Sinon la recherche d'un alibi à exhumer ces glorieux martyrs, tombés au champ d'honneur, pour leur gloire éternelle, chaque fois que les relations algéro-françaises se froisseront. Un peu ce que font les héritiers de la «shoah». Allons-nous, comme eux, exiger, si nous obtenons reconnaissance du crime, allons-nous exiger des compensations financières ? Allons-nous mendier quelques sous, comme cela se pratiqua, pour chaque âme qui s'est dressée, un jour, pour rejeter les expropriations, l'exploitation des hommes, l'injustice, les crimes innommables ? Et devrons, alors, une fois passés devant les guichets de banques, nous taire pour l'éternité ? En somme, accepterons-nous que l'on nous exproprie de tout ce qui fait notre histoire, notre résistance, notre fierté, notre détermination à recouvrer notre dignité même au prix du sang ? La blessure, nous devons la porter en nous, la transmettre non pas pour haïr, mais pour dénoncer ce que fut le colonialisme. Pour, surtout, éveiller les consciences des nouvelles générations. Leur enseigner que ce qui s'est passé lors de l'invasion de l'Algérie et qui prit ce caractère brutal, sauvage, et est devenu plus subtil, plus insidieux durant la seconde moitié du vingtième siècle et en ce début du vingt et unième. Et qu'il nous est invisible encore parce que nous ne voulons pas le voir, l'identifier pour le combattre. Parce que nous voyons le bout du doigt quand l'histoire nous montre le ciel et ses galaxies. Ainsi, un chef de parti, honorable du reste, s'arc-boute à dénoncer un hypothétique abus d'autorité d'un ministre, nous braquant sur une absence de gouvernance et de règles quand la gestion du pays, elle-même, est sujette à questions. Que la pêche d'une sardine nous cache les filets qui raclent le fond pour dépeupler nos eaux économiques de mérous. Des grosses pièces. Je ne dis pas qu'il faille fermer les yeux sur certains comportements, mais j'indique seulement qu'il est temps de s'intéresser au contrôle de la marche du pays. Dans sa totalité. Il est, en effet, assez invraisemblable que les représentants, ou supposés tels, ne se soient pas inquiétés du déroulement de l'asphalte d'un bout à l'autre du pays et qu'il a fallu des défaillances que tout citoyen aurait et a, en fait, décelé, relevé, pour que la justice, celle qui n'ose pas convoquer un ministre parce que le juge est trop petit. Il est non moins invraisemblable que des marchés drainant des milliards de dollars n'aient pas éveillé l'attention des ingénieurs, des gestionnaires pour crier « Ola ». Et que la complicité des agents, au sens premier du terme, se soit crus tout permis, repoussant chaque jour les limites du « laisser-faire, laisser-aller ». Par-delà ces cas, combien d'autres similaires sont certainement en cours. Jusqu'au « plouf » du réveil et le déchaînement, les gesticulations. Celles qui cachent, comme un bon prestidigitateur, d'autres affaires. Parce que nous sommes tous braqués sur celles qui nous sont offertes en pâture. Nous avons atteint depuis longtemps le temps où l'on ne se pose plus les bonnes questions. On ne les a posées quand un jeune homme, « golden boy », ouvrit des succursales de « sa » banque à travers le pays, doubla la compagnie aérienne nationale en s'offrant des dessertes mondiales. Qui est coupable ? Et, depuis, d'autres fortunes se sont imposées sans que l'on se pose les bonnes questions. Comment ont-elles pu se constituer ? Et puis ? Et puis, poursuite de la glissade. Aucun fonctionnaire, chargé des licences d'importation ne s'est jamais interrogé, officiellement, sur le bien-fondé d'un transfert de devises pour l'achat de chewing-gum, pour exagérer à peine. Pourquoi ne l'a-t-il pas signalé ? Parce qu'il s'est tu ou on l'a fait taire ? Ou que la richesse, apparente, l'ait troublé. Complexé. Fait craindre les pires représailles à son encontre. Les Algérois -qui ont le sens de l'humour et de la formule- les appellent des « hchicha talba maaicha ». La petite herbe qui ne demande qu'à vivre. Ces herbes sont devenues si nombreuses qu'elles tapissent aujourd'hui le pays. Et pendant ce temps ? On nous bassine permettez-moi l'expression- avec la reconnaissance de crime de guerre par l'ennemi d'hier, quand l'ennemi, aujourd'hui, est intérieur. Quand les bateaux de pêche, de très fort tonnage conditionnent les poissons pendant ce temps-là, nous nous inquiétons de la longueur de notre sardine, laborieusement pêchée, échappée de la prise de masse. Je ne voudrais ajouter davantage à la morosité ambiante, ajouter un écrit anxiogène à la masse d'écrits anxiogènes qui couvrent les colonnes de la presse. Mais permettez-moi de me demander à quoi sert un ministère de la Culture quand les manifestations culturelles sont sponsorisées par un centre culturel étranger. Comme à Oran. Une sardine. Pendant que l'on s'intéresse, tous en chœur, au festival de la culture arabe de Constantine. Un mérou. Alors que l'on se tue à répéter que cela ne concerne pas, au premier degré, le peuple amazigh. Et que les fonds engagés là auraient été bien mieux utilisés s'ils avaient permis la rénovation des écoles de la Sénia dont l'état de délabrement affligea Madame la Ministre de l'Education, ou bien alloués au financement -avec d'autres ressources- à l'embauche d'enseignants de la langue berbère qui, semble-il, se font toujours désirer. La réponse au drame national que furent les massacres de Guelma, Kherrata, et dans beaucoup de villes de l'Algérie éternelle, nous la connaissons tous. C'est l'éveil. Le réveil. Le défi. C'est ce jeune scout qui brandit le drapeau national face au canon. Et qui tomba sous les balles. C'est son camarade qui reprit le flambeau et paya le même prix. Eux qui sonnèrent le réveil des consciences. Qui préluda à Novembre. Cyniquement, j'oserai l'histoire qui nous offrit ce 8 Mai 1945. Ce jour terrible qui montra la voie de l'action à des militants, ô combien sincères, mais qui discutaient depuis si longtemps du sexe des anges. Comme aujourd'hui.