Acclamé à Cannes pour son rôle dans le film «Fatima» de Philippe Faucon, l'écrivain-journaliste Chawki Amari se confesse au Quotidien d'Oran. Désormais il veut produire, réaliser, écrire (et jouer dans) des films. Le cinéma offre un second souffle à l'auteur de la célèbre chronique de dernière page d'El Watan. Très à l'aise à Cannes comme si c'était un habitué de longue date, Chawki Amari a fait sensation lors de la présentation du film de Philippe Faucon «Fatima» où il joue le rôle de l'ex-mari de la protagoniste principale. Le soir, le bateau d'Arte où se déroulait la soirée du film tanguait un peu mais ce n'était peut-être que l'effet du champagne qui coulait à flots. Toute l'équipe du film bichonnait le comédien venu d'Alger, ce qui veut dire que Chawki Amari s'est fait beaucoup d'amis durant le tournage et qu'il peut donc être sympathique. La nuit était délicieuse, et Chawki Amari retrouvant son vieux pote d'au moins 20 ans imposa un mini-sommet « Vérité et réconciliation » avant de balayer comme un bon prince les incompréhensions, les fâcheries et les disputes du passé. Une nouvelle page ? Oui, car désormais le très jeune quinquagénaire entame une nouvelle vie dans le monde du cinéma. En deux ans, trois mouvements il a touché le tiercé gagnant. Apparaître dans un des films les plus emblématiques de notre présent «Inland» de Tariq Teguia, jouer dans «Les Jours d'avant» du très prometteur Karim Moussaoui et venir à Cannes dans un film français audacieux et réussi, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs. Trop de réussite fait mal au cœur (oui les Algériens ont un cœur). On avait le choix entre deux options. Profiter d'un moment d'inattention pour balancer par-dessus bord Chawki Amari, ni vu ni connu. Ou l'interviewer au vu et au su de tout le monde. On était déjà trop bourré pour envisager la première option, va donc pour la seconde. LE QUOTIDIEN D'ORAN: Quel effet ça fait de se voir en grand sur un écran ? CHAWKI AMARI: C'est horrible comme sensation. Chaque fois que je savais que j'allais apparaître j'étais crispé, je me trouve catastrophique : j'aime pas ma tête, j'aime pas ma façon de jouer, j'aime pas mes tics que je suis le seul à connaître. Pourtant les gens trouvent que je joue bien... Bien sûr il y a ceux qui le disent par politesse, mais d'autres trouvent que mon jeu est naturel. C'est subjectif, sans doute, mais je déteste me voir à l'écran et je ne sais pas si c'est le cas de tous les comédiens professionnels dont je ne fais pas partie. C'est comme à l'époque où l'on s'enregistrait dans les magnétophones à bandes et qu'on n'arrivait pas à reconnaître sa voix. Sans doute parce qu'on a une voix intérieure qui n'a rien à voir avec celle que les gens entendent. Et une image qu'on se fait de soi qui n'a rien à voir ou si peu avec celle que les gens ont de vous et qui s'imprime dans un film par exemple. LE QUOTIDIEN D'ORAN: Tes premiers pas dans le cinéma ne passent pas inaperçus. Bon choix que celui de jouer dans «Inland» de Tariq Téguia, «Les Jours d'avant» de Karim Moussaoui et «Fatima» de Philippe Faucon. CHAWKI AMARI: Ce n'est pas vraiment des choix. Téguia est un ami et je n'apparais que 3 minutes dans «Inland». Karim Moussaoui je le connais un peu et c'est lui qui a insisté pour que je joue dans son film. Philippe Faucon que je ne connaissais pas m'a vu dans « Les Jours d'avant» de Karim Moussaoui. A lui aussi j'ai dit et redit que je n'étais pas un acteur professionnel. Mais quand les gens vous disent on vous veut tel que vous êtes c'est difficile de refuser. LE QUOTIDIEN D'ORAN: Est-ce que le cinéma est une nouvelle passion pour toi ? CHAWKI AMARI: Oui mais je suis plus tenté par la réalisation et l'écriture de scénario que par le jeu. Mais bon, je ne vais pas te mentir, être acteur c'est bien aussi, ça te paye des vacances, des voyages, tu te retrouves au bord de la piscine entouré de jolies filles... LE QUOTIDIEN D'ORAN: Tu as produit «Passage à niveau» de Anaïs Djaâd, est-ce que tu envisages réellement de passer à la réalisation ? CHAWKI AMARI: Bien sûr, d'ailleurs cette année je vais réaliser une série de courts-métrages. Et j'ai déjà deux scénarios qui sont prêts que je vais vendre. La réalisation m'intéresse depuis longtemps déjà. LE QUOTIDIEN D'ORAN: Quel type de courts-métrages ? CHAWKI AMARI: Je veux mettre en scène une série de 5 courts qui sont déjà écrits, de 6 à 7 minutes chacun. Un peu comme les chroniques que je fais pour El Watan, avec une intrigue dès le départ sujet fort et une chute bouleversante. C'est visuel, avec un travail sur le son, sur les musiques choisies, mais sans paroles, sans dialogues. Moi qui travaille habituellement qu'avec les mots, ça me change un peu. Il y a maintenant en Algérie des jeunes formés aux métiers du cinéma, qui viennent à l'heure, travaillent sans se plaindre et qui possèdent le matériel qu'il faut pour qu'on puisse produire des films de bon niveau. Ils font du super boulot. On trouve même de bons comédiens sur place. Dernièrement je suis allé voir «Cinéma Chkoupi» de Bahia Allouache que je n'ai pas trop aimé mais il y avait de jeunes comédiens qui étaient très bons, vraiment. Je suis très confiant sur l'avenir du cinéma algérien. Tiens, par exemple, on a beaucoup critiqué l'Ansej, et c'est vrai que beaucoup de jeunes ont pris de l'argent pour s'acheter des voitures ou pour se marier, mais cela a permis à d'autres de créer de vraies structures productives. Dans «Passage à niveau» de Anis Djaâd, on a travaillé avec une équipe son qui s'est constituée grâce au prêt Ansej, et depuis ils sont sollicités par plusieurs boîtes de production. LE QUOTIDIEN D'ORAN: A qui as-tu proposé les scénarios déjà prêts? CHAWKI AMARI: A personne, c'est pour cela que je vais passer à la réalisation. En Algérie, les cinéastes veulent tout faire tout seuls, écrire, réaliser, tenir le projecteur. A la manière de Merzak Allouache. Quand tu proposes un scénario à un réalisateur il le prend mal, comme si c'était une insulte, comme si tu insinuais qu'il ne savait pas lui-même écrire... Alors qu'ailleurs dans le monde, scénariste c'est un métier à part entière, et il en faut des fois plusieurs pour réussir le film. LE QUOTIDIEN D'ORAN: Et tu te vois réalisateur, grand pacha en chef en train de diriger toute une équipe? CHAWKI AMARI: Oui il faut foncer. Je suis passé du dessin au journalisme, puis de la chronique à la littéraire. A chaque fois je me demandais si j'allais pouvoir assurer ce passage d'un genre à l'autre. L'idée pour avancer est de ne pas avoir peur de se planter. Et puis aujourd'hui à mon âge, je n'ai plus rien à prouver, je peux me permettre de me faire ramasser s'il le faut. LE QUOTIDIEN D'ORAN: Et à part le cinéma, comment se passe ta vie au quotidien ? CHAWKI AMARI: Une vie algéroise, avec névrose, angoisse, joie et pleurs. Tous les trois jours tu te disputes avec ta copine, une fois par semaine avec tes copains, et après on se retrouve. Une vie de névrose totale, mais vraiment ! LE QUOTIDIEN D'ORAN: Tiens à cet effet, est-ce que tu as des nouvelles de Y.B. (Yassir Benmiloud)? CHAWKI AMARI: Ah, tu veux qu'on parle de Yassir. Il a disparu de la scène, c'est toi qui as ressorti des vieilles histoires d'il y a 30 ans en évoquant sa pauvre mère, et ce n'est pas sympa. A sa place j'aurais pas apprécié. Bref, la dernière fois que j'ai vu Y.B. ça doit remonter à 4 ou 5 ans je crois. C'était à Paris chez lui, dans une ambiance comment dire... très enfumée voilà. On ne faisait que fumer dans son petit 3 mètres carrés à la parisienne. Il m'a parlé d'un projet de série pour la télévision et voulait que je collabore avec lui. En fait il s'agissait d'une vieille idée que je lui avais moi-même refilée il y a 20 ans, une sitcom qui se déroulerait dans une supérette avec comme personnages récurrents, les caissières, le vigile, le voleur, le patron et quelques clients. Je pensais qu'on discutait de choses et d'autres entre amis dans une ambiance vaporeuse qui incite à dire tout et n'importe quoi. Mais en fait dès que j'ai dit oui, j'ai vu surgir sa femme qui est aussi son agent avec des contrats déjà prêts pour que je les signe. Là, j'ai dit non... Mais c'était trop drôle en fait. Et puis en vrai je n'aime pas le concept de sitcom... Je n'ai plus revu Yassir Benmiloud depuis cette soirée étrange. Mais je l'aime beaucoup. LE QUOTIDIEN D'ORAN: Moi aussi. Et avec Kamel Daoud, que j'aime davantage pour des raisons opportunément évidentes, est-ce vous vous voyez souvent ? CHAWKI AMARI: De moins en moins, car depuis une année il est très occupé. Mais de temps en temps il vient me voir à Alger ou je vais lui rendre visite à Oran. Mais bon, on l'attend au tournant. Parce qu'on sait comment ça se passe. Après la notoriété, ils vont commencer à l'oublier, et après ça va être « Allo ici Wahran, on va boire des bières chez Kader?». Sauf s'il accepte d'aller au dîner du Crif et auquel cas je ne lui adresserai plus la parole. Il m'a dit qu'il va résister au dîner du Crif, mais moi j'ai tenu à lui préciser que même aller au petit déjeuner du Crif ça ne passera pas (rires). LE QUOTIDIEN D'ORAN: Du coup, tu ne te sens pas trop seul à Alger quand tous les autres écrivains sont partis ailleurs ? Surtout qu'avec les rares qui sont restés, ce n'est pas toujours évident. Comme Adlène Meddi, par exemple, il paraît que tu ne lui adresse plus la parole... CHAWKI AMARI: Ah, non, non et non. Avec lui c'est fini. D'ailleurs je vais profiter de cette interview pour dire clairement que Adlène Meddi est un coooon. Lui et sa femme, c'est n'importe quoi. Kamel Daoud reste un ami et encore un écrivain algérien, peut-être qu'il finira à la manière d'un Sansal par aller vivre à Berlin sud, mais pour l'instant il est avec nous. Et puis, je ne suis pas si isolé que ça, faut pas exagérer. Par exemple, Mustapha Benfodil qui n'est pas vraiment un ami mais qui est un écrivain de ma génération, il vit toujours à Alger. Et il y a d'autres... LE QUOTIDIEN D'ORAN: Des noms ? CHAWKI AMARI: Non, du champagne !