Le prix du brent est coté la matinée du 18 août à 48,56 dollars et le wit américain à 42,11 dollars. En euros, le cours du brent est coté 43,87 euros et le wit 38,05 euros et le cours de l'euro est de 1,1069 dollars. Une appréciation du dollar aurait donné un cours plus bas. Selon Forex, le cours du dinar algérien a été coté à 105,41 pour un dollar et à 116,6866 pour un euro, une dépréciation inégalée depuis l'indépendance politique, près de trois fois depuis la dévaluation de 1994. L'objet de cette contribution est de faire une synthèse sur les raisons de la baisse du cours des hydrocarbures et son impact sur l'économie algérienne que nous avons analysé avec mon ami Antoine Halff, responsable du suivi du marché pétrolier au sein de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), ancien économiste en chef au département américain de l'Energie, le 24 octobre 2014, lors d'un débat à Radio France internationale (RFI) au moment où certains soi-disant experts induisaient en erreur l'opinion algérienne(1). Les neuf raisons de la baisse du cours des hydrocarbures Premièrement, la crise de l'économie mondiale, dont le ralentissement des pays émergents, Brésil-Inde, surtout de la Chine dont le ralentissement se répercute sur toute l'économie mondiale. La décision récente de la dévaluation de la monnaie chinoise peut être le signe précurseur d'une très grave crise mondiale future. Dans la mesure où l'on ne s'est pas attaqué aux fondamentaux de la crise, à savoir la suprématie de la sphère financière spéculative sur la sphère réelle, la distorsion entre la dynamique économique et la dynamique sociale. A ce déséquilibre offre/demande, s'ajoute la surproduction par rapport à la demande où existe un écart de plus de 2 millions de barils, l'OPEP dépassant largement son quota de 30 millions de barils/jour (plus de 32 mllions de barils jour). Deuxièmement, de l'introduction du gaz/pétrole de schiste américain qui bouleverse toute la carte énergétique mondiale, étant passé de 5 millions de barils/jour de pétrole à 8,5 actuellement étant prévu en 2016 plus de 10 millions de barils/jour avec la décision récente (2015) du Congrès américain d'autoriser les exportations notamment vers l'Europe. Avec les dernières découvertes technologiques aux USA (le fondement de tout développement étant l'économie de la connaissance), le cours plancher moyen pour le pétrole gaz-schiste contredisant les prévisions de certains experts qui avaient prédit un coût croissant, tourne autour de 60 dollars en moyenne, éliminant bien entendu les gisements marginaux, et pour les grands gisements, un prix plancher inférieur à 55 dollars et moins. Lié aux nouvelles mutations énergétiques mondiales, la réduction de plus de 50%, du coût des énergies renouvelables qui, horizon 2020, pourront devenir rentables grâce aux économies d'échelle, sans compter le charbon avec le recyclage du CO2 dont les réserves mondiales dépassent les 200 ans. Troisièmement, les rivalités au niveau de l'OPEP bien que cette organisation ne représente que 33% de la production mondiale commercialisée, 67% se faisant hors OPEP, de la rivalité Iran-Arabie Saoudite (plus de 35% de la production OPEP), qui ne veut pas perdre ses parts de marché. Qui peut avec les Emirats, le Qatar, Oman, le Koweït se permettre un cours plancher de 55/60 dollars, populations faibles et ayant d'importants fonds souverains. L'Arabie Saoudite (et horizon 2020 l'Iran) est le seul pays producteur au monde actuellement qui est en mesure de peser sur l'offre mondiale, en relation avec la stratégie des USA (n'existant pas de rivalités stratégiques) déterminant le prix plancher. Cette baisse des prix rentre dans le cadre d'enjeux géostratégiques, notamment pour affaiblir la Russie et sert les intérêts stratégiques des Etats-Unis et de l'Arabie saoudite, assure Thomas Friedman dans le New York Times. L'Algérie, la carte énergétique mondiale ayant profondément changé depuis les années 1970, représente moins de 2% du quota OPEP, 0,7% des réserves mondiales de pétrole, 2% de gaz naturel, en voie d'épuisement du fait de la forte consommation intérieure et des subventions généralisées source de gaspillage, horizon 2030, au moment où la population approchera 50 millions d'habitants. Je ne parlerai pas du Venezuela qui est en semi-faillite, la dette extérieure dépassant les 70% de son PIB. Ces deux pays ont une influence marginale au sein de l'OPEP. Quatrièmement, la stratégie expansionniste russe à travers le géant Gazprom, qui a toujours profité de la baisse du quota OPEP pour prendre des parts de marché. Et ce, à travers les nouvelles canalisations, le North et le South Stream (gelé temporairement) approvisionnant l'Europe (125 milliards de mètres cubes gazeux), la Russie ayant besoin de financement, les tensions en Ukraine n'ayant en rien influé sur ses exportations en Europe où sa part de marché a été de 30% entre 2013/2014 et investissant récemment pour le marché asiatique à travers les canalisations. La Russie et l'Iran malgré des discours diplomatiques, privilégieront dans un proche avenir leurs intérêts propres, n'existant pas de sentiments dans la pratique des affaires. Cinquièmement, du retour probable sur le marché de la Libye, 800.000 barils/jour actuellement et pouvant aller vers plus de 2 millions de barils/jour, de l'Irak avec 3,7 millions de barils/jour (deuxième réservoir mondial à un coût de production inférieur à 20% par rapport à ses concurrents) pouvant aller vers plus de 8 millions de barils/jour et surtout l'Iran, qui déversera à court terme plus d'un million de barils/jour dès janvier 2016 et pouvant aller jusqu'à quatre, cinq millions de barils/jour d'exportation dès 2017/2018. L'Iran qui verra ses avoirs débloqués d'environ 100 milliards de dollars, qui possède 160 milliards de barils de pétrole et 34.000 milliards de mètres cubes gazeux traditionnels (2ème réservoir après la Russie) a besoin de financement pour reconstruire son économie totalement dévastée et qui ne respectera vraisemblablement pas son quota, idem pour l'Irak et un retour éventuel de la Libye. Signalons par ailleurs, les nouvelles découvertes dans le monde en Afrique, en Amérique latine, en Asie, notamment en offshore en Méditerranée orientale, 20.000 milliards de mètres cubes gazeux expliquant en partie les tensions au niveau de cette région, et le Mozambique qui pourrait être le troisième réservoir d'or noir en Afrique. Sixièmement, Les perspectives, horizon 2017-2020, ont pour objectif stratégique de renforcer l'efficacité énergétique grâce à une transition énergétique maîtrisée, avec d'implorantes résolutions prévues lors de la rencontre avant la fin de l'année 2015 à Paris sur le réchauffement climatique notamment dans le bâtiment et le transport. Le réchauffement climatique, selon un rapport récent de la CIA, est une menace pour l'humanité, pire que le terrorisme, expliquant la position officielle actuelle du président américain et ce, dès 2030 qui implique une économie d'énergie d'environ 20%, horizon 2020, et 30%, horizon 2030. Septièmement, les tendances sont à un nouveau modèle de consommation énergétique car si la Chine et l'Inde avaient le niveau de vie et le même modèle de consommation actuel que l'Europe et les USA, il faudrait selon les spécialistes trois à quatre fois la planète actuelle, l'avenir de l'humanité reposant sur le carbone (voir mon intervention au Sénat français à l'invitation de mon ami Jean-Pierre Chevènement en décembre 2014 sur la transition énergétique). Aussi, une nouvelle division et spécialisation internationale avec la concentration de l'industrie manufacturière en Asie (Chine/Inde approchant 3 milliards d'habitants) nécessitera un nouveau modèle de consommation énergétique, reposant sur un bouquet énergétique dont les énergies fossiles classiques mais cette fois les relations clients-fournisseurs étant à leurs avantages, pour avoir des avantages comparatifs pousseront à la baisse les prix. Huitièmement, l'occupation par les terroristes de champs pétroliers et gaziers les écoulements au marché noir notamment en Irak pour un baril entre 30/40 dollars. Neuvièmement, l'évolution des cotations du dollar et l'euro, toute hausse du dollar, bien que n'existant pas de corrélation linéaire, pouvant entraîner une baisse du prix du baril. Les six impacts sur l'Algérie de la baisse du cours du pétrole L'on doit raisonner à prix constants et jamais à prix courants; un cours de 20 dollars en 1985 étant l'équivalant de 90 dollars et plus en termes de pouvoir d'achat de 2015. La LFC 2015 prévoit une recette de 34 milliards de dollars pour Sonatrach au cours moyen de 60 dollars, le prix du gaz étant indexé sur celui du pétrole, devant déduire 25% de charges pour le profit net. A 40 dollars (une baisse d'un dollar en moyenne annuelle occasionnant un manque à gagner de 600 millions de dollars) donnerait une recette de 22 milliards de dollars à Sonatrach et un profit net de moins de 17 milliards de dollars. En cette année 2015, l'Algérie étant Sonatrach et Sonatrach l'Algérie, je recense six impacts sur la société algérienne de la baisse des recettes des hydrocarbures en cette année 2015, qui sont à relever. Premièrement, sur le niveau des réserves de change qui étaient de 194 milliards de dollars fin 2013 et qui risquent d'être inférieures à 140 milliards de dollars fin 2015. Deuxièmement, sur le niveau du fonds de régulation des recettes (différence entre le cours moyen et 37 dollars) qui est passé pour la même période de 60 milliards de dollars et qui clôturera à un niveau inférieur à 30 milliards de dollars fin 2015. Troisièmement, sur la valeur du dinar corrélé à 70% aux réserves de change via les hydrocarbures, qui est passée de 76 dinars début 2014 pour un dollar à 105 dinars un dollar et près de 117 dinars un euro le 18 août 2015, voilant l'importance réelle du déficit budgétaire et gonflant artificiellement le fonds de régulation des recettes. Avec des réserves de change de 10/20 milliards de dollars, le cours officiel du dinar algérien dépasserait 200 dinars un euro, en cas d'une non-dynamisation des sections hors rente, la valeur d'une monnaie reposant avant tout sur la production et la productivité. Quatrièmement, nous aurons un impact sur le rythme de la dépense publique qui détermine fondamentalement le taux de croissance avec les effets indirects à 80%, 97% des exportations provenant des hydrocarbures et important 70% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d'intégration ne dépasse pas 15%. Environ 83% de la superficie économique est constituée de petits services/commerce, et secteur industriel pesant moins de 5% du PIB. Cinquièmement, sur le niveau d'inflation qui est actuellement compressé par les subventions et les transferts sociaux pour 60 milliards de dollars, soit 27/28% du PIB, le dérapage du dinar gonflera forcément le coût de l'ensemble des entreprises, donc sur le prix final si l'on veut éviter la faillite de ces entreprises et se pose le problème des prix subventionnés. Cela a un impact sur le pouvoir d'achat des Algériens qui est corrélé à 70% sur les recettes de Sonatrach qui a engrangé 760 milliards de dollars en devises entre 2000/2014 et a permis une importation en devises de 585 milliards de dollars, la différence des réserves de change au 31/12/2014. Méditons notre expérience de l'ajustement structurel imposé par le FMI entre 1994/1996, qui a laminé les couches moyennes, imposé une dévaluation du dinar passant de 20/25 dinars un dollar à 45 dinars un dollar, et récemment, l'expérience d'austérité de la Grèce où le pouvoir d'achat a été diminué de près de 40%, pays qui, avec 11 millions d'habitants, a un PIB supérieur à celui de l'Algérie. Sixièmement, l'impact sur le niveau de création d'emplois pouvant conduire à d'importantes tensions sociales, voire politiques ayant privilégié jusqu'à présent non les emplois productifs mais les emplois-rente, gonflant d'ailleurs artificiellement le taux de chômage officiel : pléthore dans les administrations, sureffectifs dans les entreprises publiques, emplois temporaires très peu pour ne pas dire improductifs comme faire et refaire des trottoirs Pour une vision stratégique de sortie de crise La rationalisation des choix budgétaires est une solution urgente de court terme. La baisse des cours étant de longue durée, devant toujours prendre le scénario le plus pessimiste, éviter des choix hasardeux ayant peu d'impacts économiques et sociaux à terme, l'objectif est maintenant de concevoir une vision stratégique à moyen et long terme, sinon, cela équivaudrait à du replâtrage. Donc à court terme, pour ne pas toucher le niveau de vie des couches les plus défavorisées, déjà mal en point, une rigueur budgétaire s'impose, et l'Etat à travers tous ses démembrements, devant donner l'exemple, un rapport de la Banque mondiale concernant les infrastructures en Algérie montrant des surcoûts variant de 20 à 30% par rapport aux normes internationales. Une réorientation de la politique socio-économique est nécessaire, tenant compte des nouvelles et importantes mutations tant technologiques, économiques que géostratégiques mondiales, si l'on veut éviter le scénario dramatique des impacts des années 1986, qui risquent d'être plus intense, deux fois peut-être, du fait des tensions géostratégiques et d'une jeunesse nouvelle aspirant à un modèle de consommation des pays développés, l'ayant habitué d'ailleurs à cela, constituant donc un danger pour la sécurité nationale. L'Algérie, sans chauvinisme, a toutes les potentialités pour surmonter cette étape difficile, contrairement aux années 1986, a une dette extérieure inférieure à 4 milliards de dollars, des réserves de change qui risquent de fluctuer entre 135/140 milliards de dollars fin 2015. L'Algérie peut réaliser cette transition hors hydrocarbures dans le cadre des valeurs internationales, sous réserves d'un changement profond de comportements de nos responsables habitués à dépenser sans compter, impliquant donc certaines conditions. Cela renvoie à l'instauration de l'Etat de droit, de la bonne gouvernance, de la moralité des dirigeants et de la constitution d'un front social interne solide. La situation est grave et la sécurité nationale est menacée. L'Algérie a besoin de rassembler en ces moments difficiles tous ses enfants, tenant compte des différentes sensibilités, source d'enrichissement mutuel, au lieu de diviser sur des sujets secondaires. (1) Débat d'une brûlante actualité que vous pouvez écouter le débat sur Radio France internationale (voir site RFI) qui a été diffusé heure de Paris 12h-13h le 25 octobre 2014 entre le professeur Antoine Halff, responsable du suivi du marché pétrolier au sein de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), ancien économiste en chef au département américain de l'Energie, professeur d'économie de l'énergie à Columbia University et le professeur Abderrahmane Mebtoul (Algérie), expert international, directeur d'études au ministère de l'Energie-Sonatrach (1974/1979-1990/1995-2000/2006). Le débat a été animé par Jean-Pierre Boris, responsable du département Afrique à RFI où nous avons annoncé la levée de l'embargo sur l'Iran la fin du premier semestre 2015 et analysé l'impact de l'entrée de l'Iran sur le cours du marché pétrolier. Voir notre intervention ronéotypée au Club des Pins (Alger) devant le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, et les membres du gouvernement le 04 novembre 2014 ayant proposé la rationalisation des choix budgétaires, un comité de crise et une conférence nationale - Nos interviews aux quotidiens Liberté - El Khabar - Ennahar - Ech-Chaab El-Djoumouria - Les télévisons EnnaharTV- DzaïrTV El Khabar TV El BiladeTV, entre le 16/17 août 2015. NB: toute reproduction sans citer l'auteur est interdite et devant reproduire l'intégralité avec les références. *Professeur des Universités, expert international