Une atmosphère très particulière règne ces tous derniers jours au niveau des trois principaux marchés hebdomadaires aux bestiaux d'El-Bayadh, de Bougtob et d'El-Abiodh Sid Cheikh , véritables plaques tournantes du mouton et qui attirent une clientèle résidante autant dans les wilayas de l'est que celles du centre ou de l'ouest du pays. Les éleveurs et intermédiaires, venus par régiments entiers, écument les lieux bien avant le premier chant du coq et jusqu'en milieu de journée. Ils savent quand et comment tirer les ficelles, faisant grimper les prix fixés au départ sur chaque tête de mouton, en s'arrachant des lots de plus de vingt parfois cinquante têtes à coup de grosses liasses de billets de banque. Des dizaines de milliers de têtes, attachées les unes aux autres sont proposées à la vente, passent entre les mains de plusieurs acheteurs en l'espace de quelques minutes, au milieu d'un brouhaha indescriptible. Les maquignons jouent des coudes au milieu de cette foule d'éleveurs et font de leur mieux pour ne pas se faire piéger par une faune d'intermédiaires sans vergogne, à la affut de la moindre faille dans la transaction d'achat, pour fixer des prix à faire dresser les cheveux sur la tête et donner des sueurs froides dans le dos des malheureux chefs de familles qui ne font hélas que de la figuration, pris entre le marteau et l'enclume avec quelques billets de banque en poche. La bataille est inégale entre ces derniers et ces centaines de maquignons qui s'interposent entre le client et l'éleveur, raflant au passage plusieurs têtes au prix de gros. La mise à prix est fixée par l'éleveur qui ne manque pas de lever la barre au plus haut, surtout lorsqu'on sait que rares seront les heureux chefs de famille qui pourront s'offrir le mouton de l'Aïd et pour ceux qui oseraient s'aventurer sur ce terrain marécageux et franchir le seuil des marchés aux bestiaux, de drôles de surprises les attendent et les éleveurs leur feront voir des vertes et des pas mûres. Des agneaux âgés de deux années sont cédés au bout de moult tractations à plus de 45 000 DA, la brebis assez grasse pesant plus de 20 Kg est proposée quant à elle à plus de 32 000 DA, et gare à ceux qui sont séduits par les cornes d'un bélier, ils seront contraints de laisser des plumes en mettant le prix fort, soit de 60 000,00 DA à 70 000,00 DA. Il faut souligner à ce propos que ces tarifs s'appliquent au prix de gros, soit par lots entiers de plus de 10 bêtes. Pour le chef de famille qui s'aventure dans ces lieux, mieux vaut pour lui assister aux opérations de marchandage en tant que figurant que de tenter de tirer le diable par la queue. Peu avant midi, les marchés se vident peu à peu et les vrais gagnants dans ce bras de fer sont indéniablement ces maquignons qui embarquent leur butin, des milliers de têtes achetées après d'âpres et interminables palabres, qui leur rapporteront certainement des bénéfices faramineux en d'autres lieux à la veille de la fête du sacrifice. Cette flambée des prix s'explique, de l'aveu de tous les éleveurs de la région, par une longue période de sécheresse, soit plus de deux années consécutives, à laquelle s'est greffée toute une série de surcoûts liés à l'élevage du cheptel ovin. A ce propos, il y a lieu de citer la cherté et la rareté de l'aliment du bétail dont le prix a atteint des sommes inouïes, 3 500,00 DA pour le quintal d'orge et 2500,00 DA pour celui du maïs concassé au goût âpre et à la qualité douteuse, le gardiennage des troupeaux qui exige une errance en permanence à travers les Hauts Plateaux. Autre contrainte, le pasteur qui devient de plus en plus exigeant en imposant au patron un salaire mensuel moyen de plus de 30.000 DA, en sus d'une prise en charge totale de toute sa famille, et il faut dire que cette catégorie de travailleurs, à l'heure qu'il est, ne court pas les rues. D'un autre côté, les éleveurs justifient cette hausse brutale du prix du mouton durant cette année par les dures conditions de travail qu'exige l'engraissement en masse des béliers retenus pour être cédés uniquement à la veille de l'Aïd et qui exigent des moyens matériels conséquents, comme des hangars en dur contre les rigueurs du climat, des puits et forages, et enfin des moyens mécaniques pour le transport de l'aliment du bétail qu'il faut ramener du nord du pays. Ils ne sont pas assez nombreux les chefs de famille qui pourront s'offrir le luxe de ramener un mouton à leurs proches en cette veille de l'Aïd et même les caprins, considérés comme le bélier du pauvre affichent des prix inabordables dépassant allégrement, pour un chétif chevreau de moins de dix kilogrammes, la barre des 20 000 DA et sur ce registre, les candidats à l'achat ne se bousculent pas au portillon.