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L'ambassadrice des Etats-Unis en Algérie, Mme Joan A. Polaschik, au « Le Quotidien d'Oran » : «Avec le 51/49, les PME américaines ne viendront pas»
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 04 - 10 - 2015

Le Quotidien d'Oran : Si vous aviez à définir l'Algérie aujourd'hui, que diriez-vous ?
Ambassadrice des USA en Algérie Mme Joan A. Polaschik :
En tant qu'ambassadeur des Etats-Unis, il faut dire que l'Algérie est un partenaire très important pour nous. Nous avons une coopération excellente dans plusieurs domaines y compris la sécurité régionale, le secteur économique et les échanges culturels et éducatifs. Et je crois que ceci est très important parce que même si nous avons une histoire diplomatique très longue(1), je crois que les peuples algérien et américain ne se connaissaient pas très bien et je pense qu'à travers les programmes d'échanges dans les domaines culturel et éducatif, on peut rapprocher nos deux peuples. Il faut dire également que je trouve que l'Algérie est pleine de potentiel. C'est un moment important pour vous afin d'ouvrir et diversifier votre économie. Je pense qu'il y a une capacité impressionnante chez le peuple algérien.
Le Quotidien d'Oran : On constate que vous êtes très à l'écoute des acteurs politiques algériens. Quelles conclusions avez-vous déduit de vos différentes rencontres ?
Ambassadrice des USA en Algérie Mme Joan A :
Bien sûr, je suis à l'écoute des acteurs politiques et c'est le rôle du diplomate pour comprendre le pays. Il faut discuter avec tout le monde et c'est pour cette raison que je suis venue à Oran car il y a des institutions, des ONG, des hommes et des femmes d'affaires, des médias. J'essaie de comprendre à travers ces discussions [la situation du pays] afin de renforcer davantage les relations bilatérales. Et je crois que même l'ambassadeur algérien à Washington Bouguerra fait exactement le même travail aux Etats-Unis.
Le Quotidien d'Oran : Etes-vous satisfaite des relations économiques et politiques algéro-américaines et pensez-vous qu'elles pourraient être améliorées ?
Ambassadrice des USA en Algérie Mme Joan A :
Oui, en général je suis très satisfaite des relations économiques et politiques algéro-américaines. Nous avons une coopération excellente dans plusieurs domaines. D'abord dans la sécurité régionale. L'Algérie et les USA partagent la même vision dans ce dossier. Il faut prendre en considération les problèmes politiques et économiques au Sahel et ce n'est pas que militairement que nous allons résoudre les problèmes. Nous sommes très reconnaissants de ce que l'Algérie fait maintenant au Mali et en Libye pour trouver une solution politique, et nous sommes également très reconnaissants pour ce que fait l'Algérie avec tous ses voisins. L'Algérie offre par exemple des formations dans d'autres pays pour renforcer leurs capacités et ceci est très important avec les menaces terroristes qui existent malheureusement [dans la région]. Pour les relations économiques, il y a une bonne coopération mais je crois qu'on peut faire encore plus dans ce domaine.
Le Quotidien d'Oran : Peut-on s'attendre à un progrès dans la coopération et voir d'autres grandes décisions aussi importantes que celles qui lient Général Electrique et SONELGAZ ou celle entre Boeing et Air Algérie ?
Ambassadrice des USA en Algérie Mme Joan A :
Inchâa Allah ! C'est notre but. Le mois d'octobre prochain, je vais me rendre aux USA avec une délégation commerciale algérienne importante conduite par le ministre algérien de l'Industrie et des Mines, Bouchouareb Abdesselam qui regroupe des membres du FCE, de la CACI, du Conseil d'Affaires Algéro-américain, et de la Chambre Américaine de Commerce. J'ai décidé d'accompagner la délégation aux USA, c'est la première fois qu'un ambassadeur americain se rend là-bas avec une délégation algérienne car c'est un moment crucial pour l'Algérie. Il faut que l'Algérie diversifie son économie, et je crois que les sociétés américaines peuvent jouer un rôle très important car elles ont toujours la meilleure technologie et nous sommes vraiment engagés dans le transfert de la technologie et le développement du savoir-faire, et c'est ce dont l'Algérie a besoin.
Le Quotidien d'Oran : Selon vous, quelles seraient les nouvelles démarches algériennes fortes pour une dynamique conséquente de coopération entre Algériens et Américains ?
Ambassadrice des USA en Algérie Mme Joan A :
D'abord, je crois qu'il faut dire que le climat des affaires en Algérie n'est pas très facile, même le gouvernement algérien le reconnaît, et depuis presque une année, il y a un projet entre le gouvernement algérien et la Banque mondiale pour améliorer le climat des affaires dans le cadre du projet " doing business ". Comme vous le savez, le classement annuel de l'Algérie pour la compétitivité économique n'est pas très bon (2). Je sais que l'Algérie est en train d'essayer d'améliorer son classement pour ce qui est de la facilité à faire des affaires " ease of doing business ". Il faut une ouverture, et moi je discute toujours de la fameuse règle 51/49 (3) qui freine les investissements étrangers en Algérie. Bien sûr que les grandes entreprises comme General Electric ou Renault et Maessy Fergusson sont bien installées en Algérie avec la règle 51/41…mais selon l'expérience américaine, c'est les PME qui sont le moteur de croissance économique. Et je vous assure qu'avec la règle 51/49, les PME américaines ne viendront pas en Algérie.
Le Quotidien d'Oran : Des spécialistes du secteur de l'énergie soutiennent que l'option de l'Algérie pour le gaz de schiste est dictée par des multinationales américaines qui sont d'ailleurs en lice pour des projets en Algérie. Quelle est votre appréciation sur cette question ?
Ambassadrice des USA en Algérie Mme Joan A :
Je suis ici en Algérie depuis une année (4). Et maintenant, je peux vous assurer que personne ne peut dicter à l'Algérie ce qu'elle doit faire, c'est clair ! Le gouvernement américain et les sociétés américaines respectent la souveraineté algérienne. C'est le choix du gouvernement et du peuple algériens s'ils veulent développer le gaz de schiste. Et si le peuple et le gouvernement algériens optent pour l'exploitation du schiste, alors, bien sûr, les sociétés américaines sont prêtes à les aider. Mais le choix reste le vôtre.
Le Quotidien d'Oran : Le rapport du département d'Etat américain sur la situation des droits de l'Homme et des libertés publiques, publié en juin dernier, épingle l'Algérie (5). Sur quoi se base le département d'Etat pour aboutir à de telles conclusions ?
Ambassadrice des USA en Algérie Mme Joan A :
Le rapport annuel des droits de l'Homme et des libertés publiques est mandaté par le Congrès américain et le rapport existe depuis le président James Earl Carter (1977 à 1981). Ce rapport est un gage de notre politique étrangère de toujours soutenir les processus et les institutions démocratiques. Les USA élaborent un rapport même sur la situation des droits de l'Homme à l'intérieur de notre territoire national… On a commencé à faire ça sous la Secrétaire d'Etat Hillary Clinton… Nous nous critiquons nous-mêmes, c'est important de le souligner. Concernant la situation des droits de l'homme en Algérie, le rapport a été établi sur la base d'un recueil des témoignages de tous les acteurs de la société (ONG, presse, partis, institutions publiques…). Et depuis quelques années, nous avons établi un dialogue stratégique avec le gouvernement algérien ou nous abordons la question des droits de l'homme. C'est un domaine important dans nos relations bilatérales et nous allons continuer à travailler sur ça.
Le Quotidien d'Oran : Pensez-vous que le niveau actuel de coopération est suffisamment solide pour s'élargir au domaine de l'armement ?
Ambassadrice des USA en Algérie Mme Joan A :
D'abord, il faut rappeler que l'Algérie et les Etats-Unis partagent la même vision sur la situation de la région. L'option de la solution militaire est exclue par nos deux gouvernements. Il faut travailler sur les racines (origines) de ces conflits, c'est-à-dire les questions politiques, économiques et de développement. Et c'est pour cela que nous sommes très reconnaissants pour ce que l'Algérie fait au Mali pour le processus politique. Nous avons aussi des échanges militaires, notamment des programmes de formation… Mais je dois dire que les Etats-Unis peuvent apprendre de l'Algérie, parce que vous avez une très bonne expérience dans la lutte contre le terrorisme, et je suis contente que nous ayons plus d'échanges dans le domaine militaire.
Le Quotidien d'Oran : Où en est la coopération dans la lutte anti-terroriste et quelle analyse faites-vous aujourd'hui de la situation au SAHEL ?
Ambassadrice des USA en Algérie Mme Joan A :
La coopération sur la sécurité régionale est excellente. Sur la situation au Sahel, il y a beaucoup de problèmes maintenant. Les racines (origines) de ces conflits sont toujours socio-économiques.
Le Quotidien d'Oran : de nombreux observateurs affirment que l'aval donné par les Occidentaux pour la chute de Kadhafi est la principale cause de la déstabilisation de la région. Partagez-vous cette opinion ?
Ambassadrice des USA en Algérie Mme Joan A :
D'abord, il faut dire que j'ai une petite expérience personnelle en Libye. J'ai travaillé là-bas de 2009 à 2012; j'ai été présente en Libye avant, pendant et après la révolution. Je me rappelle très bien la nuit du 20 février 2011. J'étais à Tripoli à cette époque et il y avait des rumeurs disant que Kadhafi allait quitter le pays et il y avait même des fusillades. Et tout d'un coup, c'était le silence, et puis on a commencé à entendre des cris : " Le peuple veut la chute du pouvoir !".
J'habitais juste à côté du Souk El Djoumaa et j'étais ainsi un témoin ce jour des affrontements violents à Tripoli (6). Les manifestants s'étaient dirigés vers la place verte et puis les forces de Kadhafi avaient commencé à tirer sur les gens. Donc ce n'était pas une révolution de l'Occident mais du peuple libyen. Et je crois qu'il faut savoir qu'il y avait beaucoup de faiblesses (failles) dans le système libyen de Kadhafi. Il a cassé toutes les institutions, ce qui explique la situation actuelle dans le pays. Je suis convaincue que même s'il n'y avait pas eu une intervention de l'OTAN dans ce pays, la Libye aurait eu des problèmes plus tard car Kadhafi avait cassé toutes les institutions. Et même quand Kadhafi était au pouvoir, il y avait des enjeux…entre ses fils…c'était un système sale (incompétent et perverti). Les gens qui disent que Kadhafi était un gage de stabilité dans la région se trompent, et c'est notre travail avec la communauté internationale de soutenir le peuple libyen pour trouver une solution politique, et c'est notre devoir de soutenir le processus de l'ONU et essayer d'encourager un accord entre les différentes parties libyennes. Nous devons aussi travailler avec les Libyens pour reconstruire le pays et rétablir des institutions propres. .
Le Quotidien d'Oran : Quel premier bilan pourriez-vous établir sur ce qu'on appelle le "Printemps arabe" ?
Ambassadrice des USA en Algérie Mme Joan A :
Je crois franchement que c'est trop tôt pour parler de bilan. C'est une période de transition. C'est clair que c'est un moment difficile pour la région. La politique américaine actuelle a pour objectif de soutenir les aspirations des peuples arabes. Tout ce que veulent les peuples arabes aujourd'hui c'est une vie normale, une vie meilleure pour eux et leurs enfants. Donc, la politique américaine en ce moment c'est justement de soutenir les politiques qui vont garantir la croissance économique et renforcer les institutions démocratiques.
Le Quotidien d'Oran : L'opinion publique arabe est convaincue que le problème palestinien est au cœur de toutes les grandes turbulences que vit aujourd'hui le monde arabe. Favorisée par la crise économique mondiale et les tiraillements géostratégiques ici et là, la montée en puissance de ces turbulences est importante. Faudra-t-il attendre que les élections présidentielles américaines se fassent pour que s'initient de nouvelles initiatives de paix ?
Ambassadrice des USA en Algérie Mme Joan A :
Je vous assure que je n'ai jamais vu un secrétaire d'Etat américain aussi engagé que John Kerry pour trouver une issue à ce conflit. Il travaille chaque jour sur le conflit israélo-palestinien. Il a programmé plusieurs rendez-vous à New York dans le cadre de l'assemblée générale des Nations Unies pour trouver une solution à ce conflit. Il faut simplement voir l'agenda de nos responsables qui œuvrent d'une manière continue pour une solution équitable et durable au Moyen-Orient. Il faut rappeler toutefois que ce n'est pas aux Etats-Unis de trouver une solution mais c'est les deux parties du conflit qui doivent s'engager davantage et faire des choix un peu difficiles pour la paix.
(1) L'Algérie a été l'un des premiers pays à reconnaître les Etats-Unis d'Amérique en 1795
(2) Le dernier rapport du Forum économique mondial sur la compétitivité économique classe l'Algérie 79e sur un listing de 144 pays.
(3) Instaurée par la loi de finances complémentaire 2009, la règle dite des 51-49% fixe la part de participation d'un investisseur étranger dans une société de droit algérien à 49%. Cette règle est prévue par l'alinéa 2 de l'article 4bis du code de l'investissement selon lequel : " Les investissements étrangers ne peuvent être réalisés que dans le cadre d'un partenariat dont l'actionnariat national résident représente 51% au moins du capital social.. ". A tort ou à raison, cette règle est considérée comme un frein au développement des investissements étrangers en Algérie
(4) Madame Joan A. Polaschik a prêté serment en qualité d'Ambassadrice des Etats-Unis d'Amérique auprès de la République Algérienne Démocratique et Populaire, le 15 août 2014.
(5) Le dernier rapport américain sur la situation des droits de l'Homme en 2014 publié le 25 juin dernier épingle l'Algérie sur une série d'atteintes aux droits de l'Homme, citant des cas de fraude électorale durant l'élection présidentielle 2014 et l'arrestation des chômeurs de Laghouat. Dans ce document long de 37 pages, les Américains font essentiellement trois reproches aux dirigeants algériens : une liberté de réunion et d'association restreinte, une justice partiale et un recours excessif à la détention provisoire.
(6) Les affrontements entre protestataires et partisans de Kadhafi avaient gagné la capitale libyenne Tripoli le 20 février 2011. Des heurts avaient éclaté entre des milliers de manifestants et des pro- Kadafi sur la place Verte de Tripoli.i.


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