L'avant-projet de la loi de finances 2016 est tombé comme un couperet : le budget de la culture 2016 s'effondre de 62% par rapport à 2015, une première historique. Epargnée jusque-là par les coupes budgétaires, la culture a été, depuis l'accession de Bouteflika au pouvoir en 1999, une priorité pour le régime en place. Ainsi, entre 2003 et 2013, le budget de la culture a été multiplié par 8 pour atteindre le montant historique de 561 millions de dollars, soit le tiers du budget national d'un pays comme le Mali, ou encore les budgets de la culture du Portugal et de la Grèce réunis. L'explication de l'intérêt porté par le régime à la culture trouve sa source, d'un côté, dans son obsession d'acquérir une légitimité politique qui lui a toujours fait défaut, et d'un autre côté, dans le rapport qu'entretient ce même régime avec les élites progressistes réputées être très actives dans le secteur culturel. En effet, dès l'an 2000, plusieurs manifestations culturelles d'envergure ont été organisées pour vendre une image colorée d'une Algérie meurtrie par une guerre civile dévastatrice. Ainsi, de l'année de l'Algérie en France (2003) à Constantine capitale de la culture arabe (2015), en passant par Tlemcen capitale de la culture islamique (2011), une dizaine d'évènements culturels se sont succédé, engloutissant au passage quelque 2 milliards de dollars. Aucun impact socioéconomique de ces manifestations n'a pu être mesuré à ce jour. En outre, le régime développe, depuis l'indépendance du pays, un grand complexe et une animosité avérée vis-à-vis de l'élite progressiste urbaine, qu'il considère comme étant encore plus dangereuse pour sa survie que les forces islamistes obscurantistes, en ce sens où, par ses compétences techniques, cette élite progressiste peut aisément remplacer des responsables acquis à la cause d'un régime, du moins, selon les cadres du régime. Sous la houlette d'un ministère de la Culture plus fort que jamais, une culture officielle " sous le haut patronage " a émergé. Coupée de la réalité des populations, elle n'attire que les membres d'une nomenklatura de type rural qui croit pouvoir accéder à l'urbanité en consommant une culture officielle de type soviétique. Sauf que la chute du prix du baril est passée par là. En 2016, le budget du ministère de la Culture chute de 437 millions de dollars en 2015 à 167 millions de dollars, soit une baisse historique de 63%. Engagé dans des dépenses fixes faramineuses depuis une dizaine d'année, les conséquences de la baisse du budget consacré à la culture sur le ministère de la Culture seront catastrophiques : d'ores et déjà, le ministre de la Culture a annoncé le gel d'une dizaine de projets de construction d'infrastructures culturelles, ainsi que la suppression de 130 festivals parmi les 200 existants. Dans le futur proche, il n'est pas écarté que des licenciements de personnels et des fermetures de structures culturelles soient opérés. Pour l'actuel ministre en charge de la culture, la solution est toute trouvée: ouvrir le secteur culturel aux investisseurs privés. Il est à rappeler que le secteur privé a été banni de toute participation au développement du secteur culturel depuis une quinzaine d'années -mais aussi le secteur indépendant (associations, etc.)-, notamment à travers un ensemble de textes législatifs particulièrement restrictifs, voire liberticides. Il est clair que le secteur privé n'investira pas dans un secteur verrouillé, où le risque de perdre de l'argent est très grand. Pour conclure, si la baisse drastique dans le budget de la culture de 2016 sonne le glas d'une culture officielle exogène, elle ouvre aussi la porte aux espoirs portés par une société algérienne qui a longtemps souffert de ne pas pouvoir créer, diffuser et distribuer librement ses expressions culturelles et d'y avoir accès de manière à favoriser son propre développement.