Pionniers ? Incontournables ? Prisés ? Pas vraiment. Les festivals en Algérie suffoquent et s'éloignent de leur spécialisation à travers une programmation souvent aléatoire et floue. Nos experts expliquent pourquoi . «Les festivals en Algérie sont une aubaine pour la mobilité des artistes locaux et aussi internationaux, encore faut-il qu'ils soient considérés comme un véritable facteur de développement», affirme Samir Benmehid, créateur de manifestations culturelles, qui a longtemps collaboré à l'élaboration de dizaine de festivals en Algérie et a très vite déchanté. «J'ai fait mes études à Annaba, puis à Berlin pour aboutir à une maîtrise dans le domaine culturel et de la communication. Il m'a fallu moins d'une année pour comprendre que la culture n'a pas de place chez nos politiques et influence peu l'économie dans les wilayas», explique-t-il. L'Algérie compte 113 festivals locaux, 27 nationaux et 26 internationaux, dont beaucoup «sont passés sous la coupe du ministère de la Culture avec un instrument illégal nommé ‘‘institutionnalisation'', car aucun texte légal n'explique comment celui-ci peut s'opérer», souligne Ammar Kessab, expert en politiques culturelles. Il faut savoir que le ministère de la Culture «puise dans ses comptes ainsi que dans son budget annuel pour financer les différentes institutions et activités sous sa tutelle. Et pour multiplier ses ‘‘comptes spéciaux'', dans le but d'augmenter indirectement son budget, le ministre de la Culture procède, depuis quelques années, à la multiplication des manifestations culturelles d'ampleur, même si celles-ci sont parfois reproduites», explique Kessab, ainsi, selon lui, l'année de l'Algérie en France en 2003, Alger capitale de la culture arabe en 2007, le Festival panafricain d'Alger en 2009, Tlemcen capitale de la culture islamique en 2011 et la célébration du cinquantenaire de l'indépendance en 2012 «ont permis de maintenir le budget de la culture à un niveau élevé pour financer notamment une centaine de festivals annuels institutionnalisés, extrêmement budgétivores.» A partir de 2007, année de l'organisation d'Alger capitale de la culture arabe, le budget de la culture en Algérie a augmenté d'une façon spectaculaire. Casse-tête Notre expert l'estime à seulement «38 millions de dollars en 2005, mais a atteint son niveau historique de 561 millions de dollars en 2012, année qui a coïncidé avec la célébration du cinquantenaire de l'indépendance.» En 2014, le budget de la culture a atteint «314 millions de dollars, dont 16% sont destinés à l'organisation de la manifestation Constantine capitale de la culture arabe 2015. Pour la première fois, un budget pour une grande manifestation a été directement intégré dans le budget du ministère et non pas, comme auparavant, versé dans un compte spécial», conclu-t-il. Sur un plan interne, la communication et la diffusion sur les festivals restent un véritable casse-tête puisque inadaptées à la demande et l'attente du public. «Il est difficile d'avoir la programmation d'un festival deux semaines avant l'événement. Il n'y a pas une publication annuelle comme à l'étranger, de cahier de festival. Il n'existe pas de suivi sur le plan de la communication, ni de remise en question, encore moins une réflexion qui englobe, à la fois, la culture de la région et la demande du public, il suffit de lire les intitulés des festivals pour le constater», se plaint l'universitaire Nadia Hamadi. «Je me rends à un festival pour son contenu et souvent les indicateurs utilisés pour le classifier ne sont pas en cohérence avec la programmation ou la spécialisation», affirme Nadia Hamadi. «Je prends l'exemple de deux festivals en Algérie ; d'abord le Festival international de la bande dessinée qui avait pourtant relancé à un moment l'édition et la diffusion de la BD en Algérie. Pourtant, chaque année, ce sont les mêmes éditeurs qui y exposent, les ateliers n'ont pas d'objectifs, les thématiques des conférences ne concernent que le conférencier et son pays d'origine. Il ne suffit pas d'inviter des dizaines de personnalités, connues ou pas, pour faire tourner un festival», ajoute-t-elle. «Il y a aussi le festival Dimajazz de Constantine, un événement annuel qui fait vivre la ville une fois par an et offre au public une programmation exceptionnelle, il faut le reconnaître. Pourtant, ce festival ne représente pas le jazz en terme de genre musical rigoureux, mais englobe plusieurs genres musicaux, et quelques courants du jazz survenus après les années 1960. Il suffit de regarder la programmation, on le remarque d'année en année, les organisateurs s'écartent de la spécialisation du festival et vont vers un festival de musiques du monde. Se rendent-ils compte de cette mutation ? Je ne le crois pas, puisque pour faire vivre un festival il faut des têtes d'affiche. La spécialisation en Algérie n'est pas une priorité», conclut-elle.