La pratique intensive des nouvelles technologies peut être préjudiciable pour le développement social, affectif et cognitif de nos enfants. Les sociétés occidentales ont pris conscience, grâce aux études publiées par des instituts de recherches américains et européens, des risques liés à l'utilisation sans contrôle des gadgets électroniques sur les petits, mais en Algérie rares sont les parents qui se préoccupent encore de l'impact des écrans sur le cerveau et la santé de leurs enfants. La scène est presque banale : dans un cybercafé de la banlieue d'Oran la quasi-totalité des postes sont occupés par des enfants et certains sont âgés à peine de six ans, voire moins. Ils passent toute la journée devant les écrans sans se soucier du temps qui passe. Des enfants scolarisés en cycle primaire et moyen veillent parfois à des heures tardives de la soirée pour consulter des sites destinés aux adultes ou jouer à des jeux en ligne ultra-violents : Grand Theft Auto IV, Battlefield 4, Assassin's Creed II, League of Legend, etc. Ces jeux, qui défrayent la chronique sous d'autres cieux par leur hyper-violence, sont joués par nos enfants dans le cybercafé du coin. Il y en a même des petits accros qui ont dépassé le seuil de dépendance psychologique et qui ne vivent que devant un écran. Il ne fait désormais plus aucun doute, tous les avis scientifiques convergent pour affirmer que l'utilisation intensive des gadgets électroniques peut avoir des effets irréversibles sur une personnalité en construction d'un enfant. Psychologues, médecins et parents donnent tour à tour leurs avis sur une question de société et d'actualité. «AU SECOURS, MON ENFANT EST ACCRO A L'INTERNET ET AUX JEUX VIDEO !» Les cas cliniques observés par des psychologues de la cellule d'écoute psychologique de l'hôpital d'Oran témoignent que la pratique intensive sans contrôle des nouvelles technologies par les enfants est une source de graves troubles du comportement chez les sujets accros. La psychologue, Siham Hasnaoui, avoue d'emblée l'existence d'une carence dans le suivi de la santé psychique de nos enfants. «Il n'y a plus d'accompagnement psychique des enfants par les parents. La personnalité de l'enfant se construit par le dialogue avec ses parents. Aujourd'hui, nous constatons que dans les couples qui travaillent, le vide émotionnel est souvent remplacé par la technologie. C'est une erreur fatale dans l'éducation des enfants. Jamais la technologie ne pourra combler l'affection des parents. Nous avons observé des cas cliniques d'enfants hyper dépendants aux gadgets technologiques qui vivent devant les écrans et ont rompu tout lien avec la société. Je me suis personnellement intéressée au cas d'un enfant qui passe tous son temps dans un cybercafé de 10h00 du matin jusqu'à 22h00 du soir sans prendre de pause pour déjeuner ou pour aller aux toilettes. Les jeux en ligne et l'internet sont devenus pour ce gamin une obsession. Il a développé une forme de dépendance pathologique qui peut entraîner de l'anxiété, des troubles du sommeil, la dépression et l'échec scolaire. Nombreux parents d'enfants accros ont commencé à prendre conscience de la gravité de cette dépendance à la technologie après avoir découvert que leurs enfants commettent des larcins à la maison ou à l'extérieur pour satisfaire leur obsession aux jeux ou pour se procurer un gadget électronique (smartphones, tablettes, Play Station )» précise cette psychologue. Elle ajoute : «un enfant qui passe 6 à 7 heures devant un écran aura sûrement des troubles de concentration, un sommeil perturbé et un isolement social. L'enfant accro se referme sur lui-même, ce qui va perturber le développement de ses compétences sociales et relationnelles nécessaires à son épanouissement. La plupart des petits accros ont un problème de concentration à l'école. Ils deviennent possessifs, anxieux, impulsifs et sont victimes de crises de colère». Les gadgets électroniques infligent aux enfants un environnement d'une intensité supérieure aux stimulations de la vie courante. Dans un jeu vidéo, les images, les sons et les couleurs défilent sur l'écran à une cadence supérieure à la capacité d'assimilation d'un enfant. Cette stimulation audiovisuelle a des effets néfastes sur la personnalité d'un enfant qui va intégrer cette excitation et peut développer une personnalité instable. L'envie répétée et irrépressible de l'enfant pour les jeux en ligne, la navigation sur la toile et les gadgets électroniques est à l'origine d'une dégradation des relations sociales et des difficultés à l'école. Le plus préoccupant est que l'usage intensif des nouvelles technologies par les enfants âgés de moins de neuf ans va irrémédiablement influencer leurs façons de penser, de voir le monde et de s'adapter à la société. Les exemples sur les effets des écrans sur la personnalité des enfants ne manquent pas. Le petit Abderrahmane a passé les premières années de sa vie devant un écran. Son éducation a été presque confiée par sa mère aux écrans. Discuter avec le petit Abderrahmane est une tâche ardue. On pourrait croire que c'est un personnage sorti tout droit d'un dessin animé. «Le gamin a appris sa langue maternelle des écrans. Il ne parle pas seulement en arabe classique mais, plus préoccupant, il imite le langage du corps et du visage des personnages de dessins animés. Le petit est presque sous hypnose. Il suit à longueur de journée des chaînes TV où les dessins animés s'enchaînent 24 heures sur 24. En grandissant, le problème de mon neveu s'est aggravé, car il ne se limite plus à voir la télévision, mais il jongle d'un écran à l'autre. Il n'est pas assez ancré dans le réel», regrette son oncle. La docteur Aïcha Dahdouh-Guermouche, maître de conférences «B» en psychiatrie, chef unité psychiatrie côté femme au service des urgences psychiatriques de l'hôpital d'Oran, avoue que la recherche scientifique sur l'impact des écrans sur les enfants en est toujours à ses balbutiements. «Il existe un courant de recherche sur ce sujet, mais il y a pour l'instant peu de résultats. Il nous faut suffisamment de recul pour prendre une position tranchée», soutient cette psychiatre. Le directeur de la Santé de la wilaya d'Oran concède, de son côté, que rien n'a été entrepris pour étudier de près ce phénomène. «Nous ne disposons ni d'études ni de statistiques sur l'impact des écrans sur les enfants», confie Abdelkader Guessab, DSP de la wilaya d'Oran. LA PRATIQUE PRECOCE ET ABUSIVE DES ECRANS A UN EFFET AVERE SUR LA SANTE Les avis restent en fait mitigés sur l'impact des écrans sur le psychique des enfants, mais pour les médecins l'effet de la pratique précoce et abusive des gadgets électroniques sur la santé des bambins est avéré. L'addiction des enfants aux écrans à pour conséquence directe un manque d'activité physique et la sédentarité qui peuvent développer à court terme un risque de surpoids et une obésité morbide. La sédentarité des enfants a un coût, avertissent les médecins du service Prévention et de celui de la Santé scolaire à la DSP d'Oran. Le manque d'activité physique altère le développement des fonctions motrices des enfants. Les médecins du service de la Prévention de la direction de la Santé d'Oran sont inquiets de la progression de la surcharge pondérale parmi les enfants. Le phénomène a pris une telle ampleur dans les écoles qu'il est en train de devenir un problème de santé publique. Cette progression de l'obésité morbide parmi les enfants est due à deux facteurs : la sédentarité et le changement des habitudes alimentaires (restauration rapide, mauvais grignotage, consommation de produits congelés et chips...). Les enfants passent leur temps devant les écrans tout en grignotant n'importe quoi sans se soucier de leur santé. Parmi les conséquences de ce mode de vie malsain, il y a une progression de plusieurs maladies chroniques parmi les petits (obésité morbide, diabète, maladies du cœur ). La prévalence du diabète chez les enfants de moins de 15 ans a sensiblement progressé ces dernières années. La wilaya d'Oran enregistre le taux de prévalence le plus élevé à travers le territoire national avec 30 cas pour 100.000 habitants. Les services sanitaires recensent chaque année 3.000 nouveaux cas d'enfants diabétiques à l'échelle nationale. Dans les trois grandes villes du pays (Alger, Oran, Constantine), la prévalence du diabète infantile est de 1 enfant sur 500. Il s'agit souvent de diabète de type 1 ou insulinodépendant. Il existe, selon une récente enquête de l'association de protection de l'enfance, près d'un million d'écoliers diabétiques en Algérie. La frange la plus touchée est celle des enfants du primaire. L'autre problème de santé constaté par les médecins est la baisse de l'acuité visuelle chez les enfants. La prévalence des amétropies (myopie, hypermétropie, astigmatisme) chez les écoliers a progressé d'une manière alarmante. Les médecins ont recensé ainsi 15.919 cas durant le premier trimestre de l'année scolaire 2015/2016 dans la seule wilaya d'Oran. Les amétropies constituent le premier motif de consultation ophtalmologique à Oran. Cette hausse de la prévalence des amétropies chez les enfants est due à une sollicitation accrue de la vision de près (jeux vidéo, ordinateur, télévision). Des yeux trop sollicités vont induire souvent une baisse de la vue. Les jeux vidéo sont à l'origine de la fatigue visuelle: lourdeur des globes oculaires, rougeurs, picotements, éblouissements, myopie temporaire, maux de tête. Ces symptômes risquent d'évoluer avec le temps en une baisse rapide et irréversible de la vision. L'USAGE DES GADGETS ELECTRONIQUES DOIT ETRE ENCADRE PAR LES PARENTS Les psychologues que nous avons interrogés tout au long de notre reportage sont unanimes : la pratique des nouvelles technologies doit être encadrée par les parents. Ces derniers ont pour responsabilité de surveiller le temps passé par les enfants devant l'écran pour les aider à ne pas devenir accros. Nombreux experts recommandent de limiter l'usage des gadgets électroniques au minimum. Ils avancent l'argument que les dirigeants des grandes entreprises de Silicon Valley interdisent à leurs propres enfants de toucher à une tablette ou à un smartphone. Le fondateur d'Apple, Steve Jobs, avait assuré en 2010 qu'il tenait ses enfants éloignés des écrans. Pour les patrons de Silicon Valley, les gadgets électroniques sont une menace pour la créativité, le comportement social et la concentration des enfants. D'autres, par contre, défendent l'idée d'un accompagnement des enfants par les parents dans l'usage des écrans. Ils estiment que l'enfant ne doit pas rester seul avec une tablette ou un smartphone. «Il faut durcir la réglementation régissant les activités des cybercafés. Un enfant non accompagné par un parent n'a pas le droit d'accéder seul à un cybercafé. Il est déconseillé d'acheter un smartphone à un enfant de moins de 15 ans et d'installer des téléviseurs dans les chambres d'enfants. Les contrôles parentaux doivent être activés sur tous les ordinateurs de la maison. L'usage des gadgets électroniques ne devra pas dépasser les trois heures par jour», recommande la psychologue Siham Hasnaoui.