Force est de reconnaître qu'avec leur gourmandise transgressive des privilèges, du fric et de «la déraison», nos responsables sont devenus comme des nuées de vampires, tout juste sorties d'un film d'horreur ! Mais pour dévorer quoi ? Sans doute la chair de notre dignité, notre honneur ou plutôt ce qu'il en reste. Pour cause, au nom d'un marketing politicien d'on ne sait quelle nature, ils ont vendu leur âme au diable, dilapidé le legs révolutionnaire hérité d'une épopée populaire glorieuse, étatisé la corruption, «désétatisé» l'Etat, tribalisé le pouvoir, profané le sacre des institutions, banalisé l'école, dévalorisé l'éducation, corrompu «moralement» par la rente des citoyens déjà longtemps sevrés de culture civique, rendu fous les quelques associations ou partis qui leur posent problème... et la liste des griefs retenus contre eux n'est que trop longue. Le hic est que, dans des proportions bien pires que dans la sphère politique, ces responsables-là incarnent, à eux seuls, une machine plus que destructrice du cycle culturel dans la société. Et quelle société pardi ? Car peut-on en fait appeler «société», ce semblant de tribu semi-moderne qu'est la nôtre ? Laquelle, quoique nageant dans une sécheresse culturelle, ferme encore des cinémas et en ouvre à la place des pizzerias, adore les gargotes et déteste les bibliothèques, court derrière l'argent et délaisse les livres et la connaissance, encourage la piétaille ignorante de truands fortunés et fait fuir ailleurs sa crème et son intelligence ? Jamais ! D'autant que cela ne fait que porter préjudice à ses citoyens, au vivre-ensemble, à la démocratie, à la conscience de la nation, etc. A vrai dire, il n'est jamais si ardu de trouver le repaire de l'anti-culture en Algérie tant qu'il y a en face des nôtres des walis, des députés et même des ministres qui ne lisent pas ! Une intelligentsia qui s'abrutit à dessein, tombant dans le piège tendu par «le système d'abrutigentsia» qu'elle venait de construire. Et parallèlement, nos citoyens les imitent et se transforment, eux, en esclaves de leur bêtise. Si, ce faisant, les premiers réduisent à néant leurs chances d'être à la hauteur des attentes des seconds, ces derniers renforcent à leur corps défendant le stéréotype de la «ghachomanie». Une tare rédhibitoire qu'on leur prête d'en haut afin de les infantiliser et les maintenir à jamais soumis. Somme toute, la ghachomanie n'est rien d'autre que le fait de se noyer dans l'obsession de la bigoterie collective, la fausse dévotion et la religiosité d'apparat. Et, en même temps, refuser de consentir le moindre sacrifice pour s'instruire, se cultiver, aller au cinéma, se civiliser, etc. Bref, un statut «merdique» qui rend dépendant, arriéré, retardataire. Ainsi, nos responsables et nos citoyens seront-ils dans le viseur de cet «analphabétisme programmé», se faisant remonter chaque jour les bretelles par la médiocratie. Et pourtant, en bas de l'échelle des valeurs, les uns et les autres se croient supérieurs ! A force de s'être menti à eux-mêmes, ils ont fini par se croire des «génies» et faire accroire les autres qui ne les croient pas mais qui, le comble, leur donnent la fausse impression de les avoir crus ! Une espèce de mythomanie dissociative qui affaiblit l'appareil immunitaire de la raison. Comme une femme qui s'étrangle, s'arrache les cheveux et se larde le visage dans une énième crise d'hystérie. Puis, soucieuse de se donner une belle image, elle s'assagit soudain, parle aux autres de son mari, sa vie conjugale, ses enfants, l'avenir, etc. En gros, la combinaison maléfique entre l'auto-mensonge, la haine de soi et de l'autre, l'inculture créera à la longue un compost empoisonné. Il y a donc pléonasme entre inculture et violence avec un effet cumulatif qui nous est plus que nocif : le fanatisme.