Femmes d'ici, femmes d'ailleurs, femmes d'aujourd'hui, femmes de demain, femmes enfants, femmes nubiles, caméristes, servantes, chefs d'entreprises ou ministres, soumises ou battantes, martyrisées ou résistantes, quel que soit leur statut social, professionnel ou familial, toutes sont logées à la même enseigne. Aujourd'hui, partout dans le monde, la gent féminine est autorisée à festoyer, durant une journée, voire parfois une simple demi-journée, les hommes s'autorisant à exercer leur hégémonisme, dans tous les domaines, le reste de l'année. L'existence, même, de cette journée de liberté, constitue paradoxalement, la preuve évidente de la persistance d'une discrimination honteuse. Mais quoi qu'en en dise, accorder aux femmes un tel répit, rendre hommage à leur héroïsme, à leur courage, souligner leurs talents et leur persévérance, c'est bien ! Mais lorsque l'on sait que durant les 364 jours restants, tout est fait pour régenter leur vie, pour les empêcher de décider de leur sort et de prendre une part active à la vie sociétale, on ne peut s'empêcher d'affirmer que le 8 Mars n'est qu'une hypocrisie, de plus. Comment festoyer, alors que la décolonisation des femmes (selon l'expression de Simone de Beauvoir, l'auteure du « Le Deuxième sexe») est loin d'être une réalité ? Comment se réjouir, alors que les pratiques ségrégationnistes ancestrales perdurent et que les sévices endurés, au quotidien, maintiennent les femmes dans un statut d'être mineur? Jusqu'à quand allons-nous tolérer le sort fait à nos mères, sœurs, épouses, filles ou amies, au foyer comme aux champs, à l'usine comme au bureau, dans l'entreprise comme dans la rue ? Décidée le 8 mars 1910 à Copenhague, par la Confédération Internationale des Femmes socialistes qui venait de voir le jour, pour réclamer le droit des femmes à participer au vote, cette date symbole est, aujourd'hui, un événement mondial. Depuis lors, les revendications n'ont cessé de s'affirmer à l'échelle de la planète. Les défilés réunissent des millions de femmes qui marchent pour réclamer leurs droits. Chose curieuse, les Nations unies n'observent cette Journée internationale, consacrée à la Femme, que depuis 1975. En France, il a fallu attendre 1982 pour que le Gouvernement français se décide à instaurer le caractère officiel de l'événement. Un siècle après le premier vote des hommes, les Françaises ont fini par affirmer leurs voix. L'ordonnance du 24/04/1919 leur a donné le droit au vote. Durant les années soixante, ces dernières ne pouvaient ni gérer leurs biens, ni ouvrir un compte en banque et encore moins exercer une profession, sans l'autorisation de leurs époux. Recluses au sein de leurs foyers, depuis la nuit des temps et subissant, sans vergogne, les diktats de la gent masculine, les femmes continuent à vivre des situations scandaleuses. Certes, des progrès notables ont été accomplis, ce dernier demi-siècle. Le combat des femmes a gagné du terrain. Cet énième anniversaire est là pour nous rappeler que les luttes, en faveur de l'égalité, n'ont pas été vaines. Mais, à ce jour, les acquis demeurent fragiles et le chemin qui reste à parcourir demeure long et parsemé d'embûches. Libérées du joug colonial, les Algériennes, maquisardes ou civiles, ont très vite constaté, au lendemain de la guerre que la souveraineté venait de leur être confisquée, au nom d'une idéologie archaïque et rétrograde. Les Moudjahidate qui ont soigné, transporté des armes et même, parfois, combattu l'arme au poing, dans les maquis, tout comme les intellectuelles, les femmes de lettres, les artistes, les sportives et les femmes au foyer, qui ont hissé, très haut, le drapeau de l'Algérie, ont, pour la plupart, été dépossédées de leur combat. Ces oubliées de l'Histoire, qui ont lutté dans l'anonymat le plus total, ont été cantonnées dans l'ombre, embastillées dans leurs logis, ignorées en tant qu'êtres humains. Tout a été fait pour nier leur présence de la sphère publique, faire disparaître leurs corps, masquer leurs visages. Vainement, elles ont tenté de recouvrer leurs droits fondamentaux, de conquérir leur propre légitimité. Mais face aux tenants d'un fondamentalisme rétrogrades et face aux pratiques moyenâgeuses, l'intégrité de la gent féminine est devenue problématique. Malgré la ferme résistance du mouvement féminin, malgré tous les piquets de grève, devant l'Assemblée populaire nationale et les manifestations de rue des années 80, et malgré l'espoir des premiers Etats Généraux des Femmes Libres (1989), le code de la famille, (adopté en juin 1984), semble avoir, définitivement, scellé le sort des femmes algériennes. Intolérance, violence et actes répréhensibles sont devenus monnaie courante, durant ces deux dernières décennies, au sud comme au nord du pays. A ce jour, le texte anticonstitutionnel humiliant et révoltant n'a pas fait l'objet d'abrogation. Il a même été mis en exergue vu qu'aucune loi antidiscriminatoire, aucune loi égalitaire n'a été promulguéen à ce jour. Malgré cela, le combat des femmes gagne du terrain. Elles réussissent mieux que les garçons, dans les études, occupent des emplois salariés, en constituant, parfois, l'essentiel des effectifs dans certains secteurs, comme celui de l'Education nationale par exemple. Certaines, après avoir et arraché des galons, y compris dans la police, dans l'armée et dans la politique, chasse, longtemps, gardée des hommes, ont finalement acquit droit de cité. Cela dit, malgré tous ces succès enregistrés, le combat est loin d'être gagné. L'oppression se poursuit. Et ce ne sont pas les quelques femmes ministres, wali ou cadres supérieurs de la Nation qui cacheront la forêt de nos contradictions politiques. Les comportements machistes demeurent, encore, très fréquents, dans tous les milieux y compris chez certains intellectuels qui déclarent, haut et fort, leur anti-misogynie. Victimes de violences familiales, maltraitées au sein de leur famille, elles se trouvent, parfois, dans l'obligation d'accepter l'inacceptable, pour protéger leurs enfants, pour éviter de nuire à leurs familles ou, tout simplement, pour éviter le divorce qui, chez nous, fait de la femme une pestiférée. Combien de femmes, diplômées et cultivées, aux trajectoires hors du commun ont laissé leur ambition se dégrader, en acceptant des postes subalternes, pour éviter de briller face à leurs époux ? Combien d'autres, médecins, enseignantes, ingénieurs, spécialistes, dans des disciplines déclarées masculines, se sont résolues à accepter l'enfermement à domicile et l'esclavage familial, pour mettre fin aux perpétuelles scènes de ménage de maris machistes jaloux ? Combien d'autres se trouvent dans l'obligation d'accepter des mariages forcés, décidés par les parents, pensant faire faire le bonheur de leurs enfants ? Combien meurent des suites de violences conjugales ? Combien, enfin, se suicident, chaque année, ne pouvant plus supporter les conditions de vie archaïque et les règles dogmatiques qui leurs sont imposées par certains maîtres à penser qui n'hésitent pas à invoquer les textes sacrés sortis de leur contexte ? Que dire des démunies, privées d'éducation, traitées comme des parias, des êtres inférieurs, sans droits, sans soins, ignorant le planning familial, la contraception, l'avortement, les dépistages de maladies, tel le cancer du sein? Que dire de toutes ces femmes répudiées, pour un oui ou pour un non, jetées à la rue du jour au lendemain, parfois avec leurs progénitures ? Comment expliquer le fait que ce sont celles qui, précisément, donnent naissance et reproduisent la vie dans leur corps, celles qui sont les plus fortes devant la souffrance et résistantes, face au vieillissement, qui vivent dans la précarité et le dénuement le plus total ? Sur fond de misère sociale, le poids des traditions demeure, encore, très puissant. Il faut peut-être commencer par décoloniser les imaginaires en menant une lutte acharnée contre l'obscurantisme. Il faut ensuite s'attaquer aux fondements de la misogynie. L'esprit formaté, dès le plus jeune âge, est à l'origine de nombreux dysfonctionnements. A peine pubère le garçon est, au sein de sa famille considéré comme l'adulte de la maison, par la mère le plus souvent qui s'évertue à éduquer sa ou ses filles au service exclusif de l'homme. Il importe donc, si l'on veut vraiment briser l'ostracisme actuel à l'égard des femmes et faire évoluer les mentalités, de tout faire pour instaurer une législation équitable, loin des pratiques sociales et des mentalités rétrogrades. Tel est l'enjeu crucial. La célébration annuelle de La Journée Internationale des Femmes devrait, à tout le moins, permettre de prendre conscience des pénibles conditions de vie des femmes. A côté des expositions, vernissages et autres manifestations à caractère socioculturel, le mouvement associatif se doit de relancer l'impératif débat sur leurs préoccupations, leurs difficultés, leurs aspirations, mais aussi sur l'égalité des droits, les violences familiales. * Citation attribuée à A.Malraux