« En général, il faut se redresser pour être grand: il n'y a qu'à rester comme on est pour être petit ». (Marivaux) La politesse est comme une fleur fragile, elle se cultive en pépinière familiale. A l'observation, peu de parents remercient leur progéniture pour un quelconque travail accompli dut-il être pénible. Cet enfant, souvent, brimé pour des broutilles, cultivera une rancœur sociétale qu'il exprimera le moment venu. A l'âge adulte, que l'on soit père, supérieur hiérarchique, chef de parti, enseignant ou même imam, on ne se départit jamais de cette attitude revêche et de ce ton injonctif. On donne l'impression de, par cette posture, à vouloir se démarquer nettement de celui ou celle qu'on côtoie au quotidien dans la vie professionnelle ou familiale. Il est rare qu'un responsable politique ou administratif de haut rang remercie un subalterne hiérarchique pour une tâche réalisée. Dans le meilleur des cas, il marmonnera une intelligible onomatopée en guise d'approbation. Dire merci, relèvera de la prouesse. Etre bienséant, apparait pour certains comme une faiblesse, et de là on développe une condescendance que rien ne justifie sauf, peut être, la suffisance surfaite du « moi ». La collaboratrice, debout et lestée de plusieurs parapheurs plaqués contre sa poitrine fera, longuement, le pied de grue pendant que son responsable agrippé à son téléphone pérorera des futilités avec son correspondant. Il lui jettera de temps à autre, un coup d'œil vrillé, manière de dire qu'il est incommodé mais sans lui offrir, pour autant, la possibilité de s'asseoir. La dame, d'un certain âge se fera appeler par son prénom en dépit de son statut matrimonial. Même la progéniture du chef qui fréquente les lieux est dispensée de la civilité. Cette manière de ne rien devoir au subalterne est visible à la simple lecture des rubriques nécrologiques de la presse, où il est rare, sinon exceptionnel, qu'un responsable de haut rang politique ou administratif présente ses condoléances à son subalterne hiérarchique suite à la perte de l'un de ses proches. Par sa fréquence, l'inverse en est devenu presque une constante. L'espace public, est quant à lui, le lieu où s'expriment toutes les distorsions aux règles de civilité. Que ce soit dans les banques ou les assurances qui, pour la plupart, ne relèvent pas de l'administration publique, service réputé rustre et gouailleur, on interpelle haut et fort les usagers ou clients par leur seul patronyme. Il s'agit souvent de jeunes guichetiers ayant à peine l'âge de notre petite descendance. On y répond docilement car la moindre remarque nous fera chèrement payer notre impudence. En cas de prise de bec, le chef ne sera d'aucun secours, il tentera de jouer à l'apaisement si ce n'est pas l'alignement sur son subalterne à qui il trouvera moult motifs de dédouanement. Le secteur libéral, n'est pas à l'abri de ces joutes verbales, ni exempt de cette propension à agir impunément en territoire biologiquement délimité. L'histoire pathétique de cette patiente qui se fait éconduire par un chirurgien dentiste en médecine de ville à Batna pour avoir commis un crime de lèse majesté en tentant d'expliquer son cas au praticien. La dame munie de son cliché panoramique, qu'il a pourtant lui-même prescrit, est reconduite, sans ménagement, vers la porte de sortie. Cette manière de servir n'est pas l'exclusive du personnel soignant masculin seulement, mais concerne aussi la gent féminine. Une praticienne du service public, cette fois ci à Hadjout, n'a pas trouvé mieux que de déchirer l'ordonnance qu'elle venait d'établir pour une vielle patiente. Le motif du courroux, n'était autre que cette anodine remarque de la patiente : « Mais ma fille, vous ne m'avez même pas touchée ! ». Ces deux exemples illustratifs, renseignent à eux seuls, sur cet état de délitement du savoir être et du savoir vivre. Faut-il aussi que ces attributs comportementaux aient été cultivés. Ce qui a été considéré jusqu'il n'y pas, si longtemps, comme incartade ou écart de comportement d'individus incultes est devenu un trait de caractère quasi collectif, touchant jeunes, vieux, hommes et femmes. Même l'instruction de niveau académique n'y fera rien, la transe et l'invective sont vite mises en branle dès que l'on s'estime égratigné dans son amour propre. L'insanité langagière est passée depuis, longtemps, dans le normatif quotidien. Cette hyperexcitabilité, ne s'arrête pas seulement aux échanges verbaux, elle prend des proportions alarmantes par les voies de faits conduisant à mort d'homme. Le meurtre, anciennement apanage de l'adulte, est passé dans les mœurs morbides de l'adolescent. L'intention de nuire ne s'arrête pas au dissuasif, mais elle va jusqu'à l'élimination physique. Il ne se passe plus un jour, sans que la presse, principalement arabophone dite indépendante ne rapporte, homicides, infanticides ou parricides. Les rapts suivis d'assassinat, sont en passe de devenir une tendance sociétale. Une nouvelle caste de délinquants mystico-religieux, s'est emparée des lieux du culte où de véritables gangs de pseudo prédicateurs ont en fait des territoires libérés de l'autorité publique. L'histoire de cet Imam qui a attenté à la vie de son confrère pour avis convergent est édifiante à plus d'un titre. Cette inexorable décomposition du tissu social, est, à elle seule, un chantier qu'il faut au plus vite ouvrir. Les discussions sur l'envolée du prix de l'ail ou de la patate, deviennent surréalistes dans le contexte. L'émotion est toujours vive quand il s'agit d'un incident se déroulant dans notre champ immédiat ou quand il est rapporté par les médias, mais les drames vécus dans leur chair par des centaines de familles lors d'accidents de la circulation, accidents qui font bon an, mal an, près de 4.000 morts et 30.000 blessés dont des centaines d'handicapés à vie, nous laissent presque de marbre aussitôt le forfait commis. Car, l'accident mortel causé par le facteur humain, ne peut être considéré comme une inéluctable fatalité, mais comme une tentative de meurtre. Ne pas céder la priorité, doubler en sommet de côte, rouler la nuit sans feux, ne pas respecter l'arrêt obligatoire constituent tous un délit puni par la loi ; faut-il encore que la loi mette la main sur le collet des contrevenants. Ils ne sont, malheureusement, appréhendés qu'une fois leur forfait accompli et de manière sanglante. Retrait de permis de conduire et autres amendes, ne serviront à rien tant les racines de cette autre violence ne seront pas extirpées définitivement. Il n'a jamais été envisagé la limitation de la vitesse des véhicules par le bridage de leur mécanisme d'accélération à mettre sous contrôle permanent. En dépit du contentieux et de la réparation par l'assureur du préjudice subi, il ne vient plus à l'esprit des gens en cause de se rendre chez la famille de ou des victimes pour demander le pardon rédempteur, selon la tradition religieuse des anciens. A ce propos, les prédicateurs stars des plateaux télévisuels auraient été bien inspirés en émettant une fatwa (avis religieux) recommandant aux repentis de demander pardon aux familles de leurs victimes expiatoires. Cette démarche, même si elle n'absout pas totalement ceux qui ont mis fin à la vie de leurs semblables, apaisera, un tant soi peu, cette multitudes d'âmes tourmentées par une foule de questionnements. Mais, comme l'avis religieux n'est émis que quand il va dans le sens des convictions de son émetteur, il n'y a pas lieu d'en espérer une quelconque retombée positive. On tente, parfois même, de rendre la victime responsable de sa propre mort en portant des jugements ou de faux témoignages. On croit, fermement, que la réparation matérielle est une large et suffisante compensation dispensant l'auteur de toute démarche réconciliante. L'espace le plus approprié pour l'expression d'un savoir être ne peut être, à notre sens, que l'école. Ce terreau peut être aussi bien fécond que stérile de par la seule volonté de son encadrement. L'élève, est jusqu'à preuve du contraire, le fidèle reflet de son maitre ou de sa maitresse. Beaucoup d'enseignants, rapportent à la rue la déliquescence de l'école. Il est loisible de constater le contraire à la seule sortie des classes ; la tonitruante cohue faite de bousculades et de vociférations brise la quiétude des lieux jusque là paisibles. Les conducteurs automobiles, surpris par le flot désordonné sont, momentanément, obligés de s'immobiliser dans l'attente de l'accalmie. La sortie qui se fait sans encadrement, n'est jamais globale, elle est plutôt perlée et gare au conducteur qui croirait que la voie est réellement dégagée, il y aura toujours un ou deux petits échevelés qui traverseront la rue en trombe au risque de se faire renverser. Les boutiques qui font dans la confiserie sont prises d'assaut, et voilà que la canette de limonade, le paquet de chips ou le berlingot de flash, une fois évidé, joncheront le sol après le passage de la horde. Ces enfants censés recevoir un rudiment d'éducation civique, même si elle ne fait partie du programme, ne semblent pas mettre en application ce qui est supposé être appris. Servis, les chérubins ne diront pas « merci ! » au monsieur du magasin, en bousculant la vieille personne, ils ne diront pas « pardon ! ». Ainsi, voguera la galère.