Le caractère multidimensionnel de ce concept et la multiplicité des intérêts qu'il cristallise expliquent sa complexité et la difficulté de voir émerger un consensus autour de son acceptation. Retenons néanmoins qu'une entreprise est performante si elle crée de la valeur tant pour ses actionnaires que pour ses partenaires internes -les collaborateurs- et externes. Reste désormais à identifier les conditions de création de cette valeur. A cette fin, la littérature stratégique postule qu'il est nécessaire de se différencier de ses concurrents, qu'il importe de développer un avantage concurrentiel. La performance de l'entreprise est donc relative à sa capacité à développer un avantage concurrentiel à partir de ressources internes. Mais quelles sont ces ressources à partir desquelles l'entreprise génère de la valeur et dont l'idiosyncrasie et la difficulté à les substituer à d'autres fondent un avantage concurrentiel ? La difficulté à identifier aisément ces ressources tient à l'ambiguïté du concept même, car force est de constater qu'il recouvre deux objets de nature très différente : la ressource au sens économique du terme et la compétence. Or, seule cette dernière présente les caractéristiques des ressources stratégiques avancées par Barney (Ibid). En effet, les compétences s'inscrivent dans une histoire, une culture organisationnelle qui les rendent particulièrement difficiles à imiter et à transférer. La valeur générée par une organisation "ne résulte pas de la consommation d'un certain nombre de ressources prises indépendamment les unes des autres mais du déploiement organisé et planifié de combinaisons de ressources, d'ajustements dans le temps, c'est-à-dire de compétences d'assemblage, de coordination, de synchronisation, de mise en œuvre, d'adaptation" (Lorino et Tarondeau, 1998). La dimension stratégique d'une ressource est par conséquent fonction de sa mobilisation au travers d'une compétence ou d'un processus considéré comme stratégique. Ce disant, les tentatives d'explication de la performance d'un point de vue empirique suppose une observation des compétences plutôt que des ressources. "La compétence n'est pas un état ou une connaissance possédée. Elle ne se réduit ni à un savoir ni à un savoir-faire (contrairement à ce qui a été dit précédemment) [...] La compétence ne réside pas dans les ressources à mobiliser mais dans la mobilisation même de ces ressources" (Le Boterf, 1994). Puisqu'il n'y a de compétence qu'en acte, celle-ci est irrémédiablement liée à l'action qui, dans le cadre d'une organisation, est nécessairement collective. On retrouve donc, à travers la notion de compétence, l'action, ou les processus concrets de déroulement des activités collectives. C'est donc à partir de ces actions collectives qu'il convient de rechercher les moyens d'améliorer la performance des entreprises. Néanmoins, les recherches en sciences humaines et sociales sur le travail collectif ont posé l'architecture de la plupart des modèles analytiques pour la conception des outils collaboratifs : modèle du trèfle fonctionnel, modèle des 3 C, etc. (Courbon, 1998 ; Levan, 2004 ; Longchamp, 2003). Ces modèles s'accordent à différencier trois composantes essentielles du travail collectif : la coopération, la coordination et la communication. Ces différentes composantes constituent autant d'aspects fonctionnels, et les technologies de type groupware visent à outiller chacune d'entre elles (voir figure suivante). Figure 1. Typologie des groupwares selon le modèle des 3 C (adapté de Favier) La performance des entreprises dépend de la qualité de ses processus ou compétences stratégiques, ce que nous avons réduit à l'efficacité des actions collectives. Ce statut justifie l'attention qui leur est portée par différentes disciplines scientifiques. Chacune d'elles cependant privilégie une représentation mettant en exergue leur objet premier de recherche (l'individu, les structures ou les besoins fonctionnels). Il nous faut par conséquent chercher des principes de description des actions collectives qui permettent d'intégrer ces trois perspectives. La difficulté à modéliser les actions collectives tient à la nécessité de concilier des perspectives d'analyse opposées : l'individu et le collectif. Il importe par conséquent d'établir la représentation des actions collectives à partir d'un concept permettant d'articuler l'individuel et le collectif. Entre l'organisation et les connaissances, l'activité La recherche d'un concept permettant d'appréhender les phénomènes sociaux tant du point de vue de l'individu que du collectif nécessite d'élucider le rapport entre connaissances et organisations. Outre l'enjeu épistémologique, l'acuité de cette relation révèle le consensus selon lequel les phénomènes d'apprentissage et de connaissance jouent un rôle considérable dans la performance des entreprises. Du fait d'un cloisonnement disciplinaire, ces phénomènes sont malheureusement étudiés isolément. Ainsi, les recherches dont l'objet est la connaissance sont fondées sur le postulat que celle-ci n'est qu'un attribut individuel. Dans cette perspective, l'organisation constitue un simple arrière-plan, sans réelle influence sur le développement et la transmission de cette connaissance. A l'inverse, les travaux qui appréhendent ces phénomènes à travers l'organisation éludent généralement le paramètre individuel. Pourtant, il semble difficile d'imaginer qu'un sujet connaissant ne puisse pas être influencé par l'environnement dans lequel il agit. "L'organisation intervient très directement comme élément constitutif de la pensée et de l'action individuelle, elle rend possible l'action collective et lui donne sens, elle offre le cadre dans lequel se définissent de manière continue les processus de création de valeur pour la société". Il ne suffit pas de chercher à analyser les processus cognitifs pour comprendre les phénomènes d'apprentissage et de connaissance, car il est tout aussi important de comprendre l'influence de la structuration du contexte d'action telles que la division du travail, la configuration organisationnelle ou les logiques communautaires par exemple. Le concept susceptible de réconcilier ces deux perspectives est l'activité : "L'activité humaine, activité individuelle du sujet qui apprend et construit des connaissances en agissant, activité collective organisée qui permet de produire des prestations et des activités investies de sens par la société". L'activité "chevauche" le cloisonnement disciplinaire évoqué plus haut et offre une perspective épistémologique nouvelle, une épistémologie de l'action (Hatchuel, 2005). Sa dualité permet d'investir la pensée du sujet ainsi que le fonctionnement des organisations. L'organisation apparaît comme un système social d'action, et l'activité de l'individu se caractérise comme fait social organisée. L'activité apparaît comme le concept pertinent pour modéliser les actions collectives. Modélisation de l'activité collective L'épistémologie de l'action proposée par Hatchuel (Ibid) s'articule autour de deux rapports fondamentaux : Les rapports sujet-sujet ou sujet-collectif, définis comme processus de relation ; Les rapports sujet-objet qu'il définit comme processus de rationalisation ou de formation des savoirs. Dans ce cadre épistémologique, la vérité ne s'impose pas à l'observateur tout comme elle ne se révèle pas à sa seule expérience sensible, mais résulte de la combinaison des deux. Ce double rapport entre lequel s'immisce la réalité renvoie à cette structure duale relation/connaissance qui caractérise les organisations productives et les innovations managériales (David, 1996). Les rapports sujet-objet sont naturellement associés aux connaissances, c'est-à-dire à "l'ensemble des informations, représentations et savoir-faire, produits, partagés, mémorisés par tout ou partie de l'organisation" (David, Ibid). Les rapports sujet-sujet renvoient aux relations définies par l'auteur comme les "différents types de contacts et de connexions, directs ou non, formalisés ou non, entre les entités (acteurs ou groupes d'acteurs) de l'organisation". Au niveau d'analyse privilégié, ces relations constituent l'organisation des différentes contributions ou connaissances afin d'atteindre un objectif donné. Elles fondent la structure des activités et sont induites notamment par l'organisation du travail et les relations hiérarchiques. Le niveau de détermination de ces deux composants de l'activité est variable. Il traduit le degré perçu d'incertitude ou de maîtrise du marché. Plus la demande des clients est connue à l'avance par exemple, plus les connaissances et leurs articulations pour y répondre seront anticipées, donc déterminées à l'avance. Le révélateur de cette incertitude est le niveau d'autonomie de décision accordé à un acteur ou un groupe d'acteurs. Cette autonomie est révélée par l'organisation du travail mais elle aussi "appréciée" par ceux-là mêmes qui en bénéficient ou en sont privés. Révéler la réalité de ce niveau de détermination ou de maîtrise des connaissances et des relations suppose la confrontation des perspectives organisationnelle et individuelle. Les niveaux de maîtrise des relations et des connaissances constituent deux axes permettant de dessiner un quadrant d'activité. Taxinomie des activités collectives Sur la base du modèle décrit précédemment, une taxinomie des activités collectives liées à chaque quadrant peut-être définie. Rappelons que la modélisation de l'action collective s'articule autour de 2 axes : un premier axe qui définit le degré de maîtrise de la connaissance de l'équipe (fort versus faible) vis-à-vis des objectifs du travail collectif ; un second axe qui définit le degré de détermination des relations interindividuelles (fort versus faible) vis-à-vis du rôle de chacun des membres. Par conséquent, une taxinomie à 4 éléments peut être dégagée (voir figure suivante). Figure 2. Taxonomie des activités collectives selon les axes de la connaissance et des relations Notons que la recherche de la coopération devient un outil de gestion des facteurs de rigidité et d'inertie organisationnelles (invariants culturels bloquants). Progressivement, elle conduit l'entreprise à éviter d'être une entité passive ou simplement réactive face aux stimuli de l'environnement. Mais la logique coopérative nécessite de la part du dirigeant de solides représentations en interaction avec le processus de participation et d'adhésion (Jodelet, 1989). Le temps et la permanence des actions prennent tout leur sens ; une nouvelle rationalité organisationnelle émerge et sera acceptée par les principaux membres de l'entreprise et les habitudes relatives au renouvellement stratégique prennent ainsi progressivement place. La construction des représentations favorables au réseau d'exploitation des compétences s'appuie, d'une part, sur la démarcation qui conduit à rompre avec les routines et les habitudes structurant le contexte organisationnel classique, et d'autre part sur le même tissu organisationnel pour y trouver la dynamique nécessaire à la création de la valeur. Conclusion Les mutations que vit aujourd'hui la fonction RH l'ont conduite à repenser son organisation et ses objectifs. Ainsi, alors qu'il y a encore peu de temps son rôle administratif était le plus visible, elle s'affirme aujourd'hui comme faisant partie intégrante de la stratégie d'entreprise et source de création de valeur. Les priorités RH doivent être alignées avec les impératifs stratégiques, en jouant sur le levier de la culture de travail. Cette réflexion doit être menée au niveau du comité de direction. Par ailleurs, il est fondamental que les politiques RH soient alignées sur les préoccupations des métiers, afin qu'un dialogue puisse s'instaurer entre le DRH et les autres dirigeants de l'entreprise. Enfin, il faut fonder l'excellence des RH en s'adaptant aux nouvelles manières de "délivrer" des services RH avec le maximum d'efficacité. *Consultant en management