Et l'Algérie est-elle concernée par ce qui se passe dans ce beau monde ? Revenons au lien de toute cette analyse avec la situation écono-mique et financière de l'Algérie et sa relation avec notre politi-que monétaire et financière depuis 1999. Cette année correspond, en effet, à l'année où Bill Clinton avait dérégulé le fonctionnement des marchés financiers (abrogation de l'essentiel des dispositions du Galss-SteagallAct) et où la situation économique de l'Algérie avait pris un nouveau virage (sortie d'un douloureux plan d'ajustement structurel sous l'œil du FMI et redressement des prix du pétrole). Nous nous éloignerons probablement des débats qui agitent la finance mondiale concernant la régulation et son rôle dans la gestion précoce et proactive des crises que le monde subit régulièrement. Mais nous resterons quand-même dans le vif du sujet de l'usage à faire de la finance, de la politique monétaire et des choix des modes de fonctionnement macro-économique d'un pays comme l'Algérie : dette publique vs dette privée, dette domestique vs endettement extérieur, modalité de financement de l'économie en situation de crise, même si dans le cas de l'Algérie, il s'agit des prix des hydrocarbures. Dans le cas de l'Algérie, c'est en réalité l'inverse des problématiques mondiales que le pays doit résoudre : comment gérer la dégradation des finances publiques en situation de crise ? Dans quelles conditions les autorités et les pouvoirs publics peuvent recourir aux différents modes de financement de l'économie ? Quels seraient les impacts des choix à faire sur l'économie réelle ? Quels seraient les risques auxquels les agents économiques seront exposés dans chacun des scénarios ? Les financements en fonds propres que l'Algérie avait utilisés depuis 1999 tout en remboursant l'essentiel de sa dette extérieure, pour financer son économie, et en particulier, des investissements d'infrastructure conséquents et pour soutenir une croissance fragile et entrainée principalement par les dépenses publiques et la surconsommation de la société, n'ont pas améliorés de façon significative et pérenne ni les performances de l'économie nationale ni ses avantages comparatifs par rapport aux autres pays ni les mécanismes de gestion des finances publiques. L'Etat algérien, historiquement très régulateur, entraine avec lui le fardeau pesant des entreprises publiques à caractère économique et il ne s'en est jamais vraiment débarrassé. Il a continué à injecter des fonds publics dans ces entreprises qui ne sont, dans leur majorité, ni viables ni performantes et encore moins utiles du point de vue stratégique. Les importations massives ont, bizarrement accompagné ces investissements et ces recapitalisations des entreprises publiques et ont été à l'origine des difficultés dans lesquelles celles-ci se trouvent actuellement. Jouer en même temps le rôle de régulateur et de garant d'une politique économique orthodoxe et cohérente avec les choix du pays et le rôle d'un agent économique de substitution aux agents spécialisés n'est pas une tâche aisée ni un choix facile à honorer. Seules quelques rares nations y arrivent, mais avec des choix précis et des secteurs ciblés afin d'accompagner les différents cycles de l'évolution de leur développement. En Algérie, les politiques économiques, souvent contradictoires et parfois incohérentes, menées n'ont pas permis de développer le secteur public en le protégeant et en faisant de lui une locomotive de croissance, comme c'est le cas dans certains pays nordiques. Elles n'ont pas non plus permis l'émergence d'un secteur privé performant et capable de relever les défis de l'exportation comme c'est le cas dans certains pays asiatiques ou des BRICS. Enfin, elles n'ont pas non plus permis d'encourager les investissements directs étrangers pour s'intégrer dans la division internationale des activités économiques comme c'est le cas de nos deux voisins de l'est et de l'ouest. Par ailleurs, pendant que les pays occidentaux cherchent à transférer les risques des bulles financières de la sphère privée et économique vers la sphère publique et institutionnelle afin d'éviter l'écroulement de leur système économique et mener à bien l'assainissement de leurs marchés de la toxicité de certains montages et instruments financiers introduits durant la période de perméabilité de leur processus de régulation, l'Algérie va faire, encore une fois, l'inverse de ces choix, et elle y est obligée selon nos responsables et nos économistes : elle va tenter de transférer les difficultés des finances publiques et les problèmes structurels de fonctionnement des organisations et entités institutionnelles vers la sphère économique réelle et sociale ! La baisse des recettes des exportations de l'Algérie (effet quantité et effet prix) est inéluctable et ne fera que se creuser chaque année si le pays ne développe pas d'autres alternatives, ne trouve pas d'autres ressources et ne change pas de posture économique et financière. Les investissements réalisés n'apportent pas suffisamment de capacités d'autofinancement et risquent même de nécessiter des entretiens couteux et des opérations supplémentaires budgétivores pour leur bon fonctionnement. Les solutions qui s'offrent aux autorités sont limitées en particulier par les limites des choix économiques faits : Financements extérieurs : endettement extérieur, investissements étrangers ou privatisations totale et/ou partielle des entreprises publiques au profit d'investisseurs étrangers, Financements intérieurs : mobilisation de l'épargne intérieure, cessions/concessions d'actifs publics aux opérateurs privés nationaux disposant de ressources en devises. Financements non conventionnels : planche à billets et dévaluation compétitive de la monnaie nationale afin de puiser dans le pouvoir d'achat des Algériens et rendre leur consommation plus réelle ou pour améliorer la compétitivité à l'export des produits nationaux, s'ils existent bien évidemment ! L'observateur pourrait bien voir que sans une économie performante et des entreprises compétitives, exportatrices et génératrices de devises, les solutions reviennent toutes à puiser dans la rente pétrolière, à l'étranger ou dans la sphère privée pour combler des déficits structurels et des besoins permanents de la sphère publique et institutionnelle. À terme ces choix déborderont, probablement plus tôt que certains le croient, sur les capacités de préservation de la souveraineté nationale et des choix socioéconomiques de l'Algérie. Sa situation financière et ses capacités ne lui permettraient plus de soutenir ses politiques et ses positions indépendantes, protectionnistes et souverainistes. La baisse du pouvoir d'achat des citoyens menacerait la paix sociale et créerait de l'instabilité socioéconomique. Les privatisations forcées ne produiraient pas suffisamment de ressources et les évaluations des prix des cessions/concessions seront fragilisées et précipitées par les besoins pressants. L'endettement extérieur, qui par ailleurs ne sera pas facilement accessible, reconduirait le pays à une situation dangereuse et couteuse, qu'il avait d'ailleurs vécue entre 1993 et 1998 (les négociateurs du plan d'ajustement structurel du FMI s'en souviendront longtemps). La planche à billets, fortement inflationniste, aurait été intéressante si elle pouvait procurer un avantage de prix à l'export et si l'Algérie exportait suffisamment de produits autres que ceux qui sont cotés en bourses. Le choix sera difficile. Pour commencer, il y a lieu de préciser que les erreurs sur les choix économiques, sur les stratégies de financement et sur les politiques monétaires ne sont pas si graves et définitivement irréparables - même si elles ont fait perdre à la nation des années précieuses, des ressources rares et des opportunités certaines - sauf si aucune leçon n'a été tirée des conséquences et des retombées essuyées à la suite de ces choix. Le plus grave c'est de persister et de s'entêter sur des choix erronés ou de reproduire des schémas et de refaire des choix qui avaient déjà causé des ravages et donné des résultats incontestablement négatifs. En Algérie de nombreuses niches d'investissement, de fiscalisation et de développement de revenus existent et peuvent être mises à contribution de façon intelligente et progressive si la volonté politique et l'encadrement technique suivent les choix faits. Ce ne sont pas les propositions qui manquent ni les atouts et, encore moins, les ressources humaines adéquates et suffisamment compétentes. À mon avis, il y a lieu de revoir la stratégie d'investissement de l'Algérie dans sa globalité et y intégrer les vecteurs de réussite et les éléments clefs de sa pérennité : Lutter réellement et rigoureusement contre l'économie parallèle et contre tous ses corollaires notamment les plus préjudiciables comme le différentiel du taux de change, la sous-facturation et la surfacturation des importations et des ventes domestiques, l'évasion fiscale, les transferts illicites de devises, etc. C'est là le premier levier d'une vraie réforme et le début de toute la solution. En effet, ce problème met à mal et neutralise toutes les tentatives de réformes et de rebondissement du pays. Cette économie parallèle est une véritable porte dérobée qui épuise la nation et provoque la principale hémorragie dans ses richesses. Cette lutte passe par la progressivité et la persévérance dans l'action et dans les solutions adoptées et par l'amélioration du système d'information économique et des outils de gouvernance des institutions étatiques et leur permettre de connaître et lutter les bénéficiaires effectifs de cette économie de l'ombre. Stabiliser définitivement le corpus juridique et législatif surtout celui régissant les activités économiques de l'Algérie et éviter les changements des règles du jeu à répétition donnant l'impression d'un pays perdu et sans visibilité pour les investisseurs potentiels. De préférence, adopter une législation fortement imprégnée des règles appliquées à travers le monde (OMC, CCI, UE, etc.). Pour ce faire, il y a lieu de retourner au bon vieux mode de législation et de contrôle qui doit être confié aux institutions démocratiques de l'Etat et sortir du système de législation individuel et circonstanciel. Il y a lieu de constitutionnaliser et de stabiliser les principes directeurs du modèle législatif économique du pays. La volatilité juridique et législative est très mauvaise pour un développement économique serein et pérenne. Mettre en œuvre une politique de recherche et de développement réaliste, marchande et stimulante dans tous les domaines pour valoriser les ressources humaines et en faire le fer de lance du pays. N'oublions surtout pas que la pyramide des âges et la diaspora du pays sont une richesse latente et une puissance sage qui pourrait changer le pays radicalement en quelques décennies (la Turquie, la Corée du Sud et la Malaisie, la Norvège, l'Afrique du Sud sont des exemples à méditer). Se débarrasser de toutes les structures ne relevant pas du domaine régalien et les mettre en cession ou en concession avec des cahiers de charge, des contrats de performances et des contrôles souverains adéquats comme cela se fait dans certains pays et n'en garder que celles qui relèvent réellement du domaine stratégique du pays. Ceci permettra au pouvoir régalien de s'exercer pleinement et sans interférences, sans confrontation et sans conflits d'intérêts avec les autres sphères non régaliennes. Ceci ne manquera pas d'impacter directement la performance du système de gouvernance dans sa globalité. Développer en particulier le secteur du tourisme et de l'agriculture rapidement et profiter de la situation mondiale actuelle qui est réellement avantageuse afin de capitaliser sur les succès et les réussites de nos forces de sécurité qui sécurisent admirablement bien nos frontières. Les investissements dans ces deux secteurs sont rapidement rentabilisés et génèrent des ressources et des alternatives très souples. Ni l'homme algérien, ni son histoire, ni sa géographie ne sont avares de ce côté-là !! Ces deux secteurs pourraient à eux seuls atteindre pas moins de 2/5 des recettes en devise du pays à moyen terme (7-10 ans). Revoir la politique fiscale de fond en comble pour l'adapter de façon définitive à la réalité de nos ressources, de plus en plus rares et couteuses, en y intégrant les réalités du fonctionnement des agents économiques de l'Algérie. La réforme de la fiscalisation de l'immobilier, des entreprises économiques et du commerce international de façon objective et juste permettra de réduire la pression fiscale en augmentant et en élargissant progressivement le nombre d'assujettis et de niches fiscales. Améliorer les systèmes d'information économique et des outils de contrôle fiscal permettra d'augmenter également le taux de recouvrement fiscal et de baisser celui de l'évasion fiscale. C'est seulement après avoir revu tous ces aspects que le sujet de la politique monétaire et financière sera abordé et débattu de façon intéressante et objective. La politique monétaire et la politique financière d'un pays sont des instruments importants de performance et d'optimisation du fonctionnement de son économie ainsi que de la réussite de ses choix globaux, mais ils ne peuvent produire leurs effets sans les conditions et les points ci-dessus énumérés. Mettre des instruments ultramodernes et fort puissants dans une voiture dont le châssis, le moteur et l'aérodynamique sont mal conçus ne fera pas de cette voiture une championne de formule 1. Ceci pourrait même conduire à sa désintégration sur le circuit de la compétition et à la mort de son pilote. Que la voiture soit belle est un fait, mais il ne faut surtout pas oublier de regarder la performance et le chrono comme le dit si bien Winston Churchill6 : « Que la stratégie soit belle est un fait, mais n'oubliez pas de regarder le résultat ». *Economiste et chercheur Notes et références : (1) Ecrivain et moraliste français, 1715-1747, dans Réflexions et Maximes, Ed. Le Rocher, 2003 (2) Sujit Kapadia, Directeur de recherche (Head of Research) à la Bank Of England et titulaire de PhD en économie et spécialiste du Bank's modèle stress-testing des banques en Europe. (3) Paul Krugman (Prix Nobel d'économie en 2008 pour ses travaux sur le commerce international, son lien avec les économies d'échelle et la localisation des activités industrielles). Edmund Phelps (prix de la banque de Suède en économie en 2006 pour ses travaux sur les arbitrages intemporels en politique monétaire). (4) 21 Century Glass-Steagall Act est un projet de loi présenté par les sénateurs Elizabeth Warren, John MacCain, Maria Cantwell et Angus King visant à réintroduire toute la régulation de Glass-SteagallAct que Bill Clinton avait abrogé en 1999. Une première présentation en 2013 n'avait pas abouti et une deuxième a été faite en 2017. (5) Barnaby Martin (Directeur général de la stratégie Europe chez Bank of America and Merrill Lynch Global Research à Londres). Hans Lorenzen (Directeur de la stratégie du Crédit chez Citi Bank). (6) Winston Leonard Spencer-Churchill, 1874-1965, homme d'Etat et politique britannique, Premier ministre du Royaume-Uni entre 1940 et 1945.