L'Algérie a confondu action et agitation. En 2017, elle a vécu une nouvelle crise. Elle l'a résolue en revenant au point de départ. L'année 2017 aura été marquée, en Algérie, par une OPA remarquée des forces de l'argent sur le pouvoir.L'affaire Tebboune, qui a défrayé la chronique durant l'été, a constitué le point de crispation majeur sur ce dossier, avec un dénouement spectaculaire en faveur des patrons. Mais si l'offensive semble avoir été couronnée de succès, cela ne signifie pas pour autant que les jeux sont faits. La réalité est, en fait, plus complexe. Elle renvoie à la nature même du pouvoir algérien, qui s'appuie, schématiquement, sur quatre piliers : l'appareil militaire et sécuritaire, la puissance financière de Sonatrach, la bureaucratie d'Etat avec sa formidable force d'inertie, et les milieux d'affaires. Ceux-ci étaient confinés, jusque-là, à l'extrême limite de la table. Ils étaient autorisés à assister au banquet, mais n'avaient pas le droit de se mêler à la conversation. Ils n'avaient pas voix au chapitre dans la grande décision. Ils servaient de force d'appoint au pouvoir, qui en avait besoin pour ses propres besoins de fonctionnement, et ils étaient gratifiés en conséquence. Mais comme l'appétit vient en mangeant, les détenteurs d'argent sont progressivement devenus des familiersdes propriétaires de la maison. Ils ont cru possible de pousser leurs pions plus loin, ils ont conquis des espaces nouveaux, et se sont fixés comme objectif, à terme, de devenir des acteurs à part entière. Illusions Le limogeage de AbdelmadjidTebboune a été perçu comme une victoire pour les milieux d'affaires, ce qui n'est qu'une illusion. D'abord parce que le FCE pèse peu face à Sonatrach ; ensuite parce qu'il ne représente qu'une frange des milieux d'affaires, celle qui vit aux crochets de l'Etat et de la commande publique, et qui ne veut surtout pas s'en détacher ; enfin, parce que si cette frange du capital a une réelle capacité de nuisance, elle n'a pas d'autonomie propre. Elle est contrainte de maintenir un lien organique avec le pouvoir pour survivre. De ce point de vue, la crise de l'été prend une autre signification. M. Tebboune a voulu rétablir la primauté de la bureaucratie d'Etat sur les forces de l'argent, voire à se débarrasser d'une frange de ce nouveau pouvoir émergent. Le retour de M. Ouyahia montre que la bureaucratie est désormais contrainte de composer avec les forces de l'argent, car leur sort est désormais lié. Mais l'objectif d'étape est donc atteint. Les forces de l'argent ont été remises en selle de manière spectaculaire après un moment de doute. La bureaucratie d'Etat, qui paraissait légère avec AbdelmlekSellal, a pris de la consistance avec Ouyahia. Renouvellement d'un pacte C'est donc un pacte scellé dans la douleur, mais il permet d'offrir un sursis aux deux partenaires. Il offre aussi la possibilité de regarder l'avenir avec sérénité : c'est une belle alliance en prévision des grandes échéances politiques à venir. Particulièrement si chacun des deux partenaires tient ses promesse et ramène la dot souhaitée : la bureaucratie ramène l'argent public, et les milieux d'affaires se présentent avec leurs réseaux d'influence. A ce stade, l'optimisme est de rigueur. D'autant plus qu'en face, le terrain a été déminé, avec un monde du travail partiellement encadré par un syndicat ami, et une opposition au plus bas, incapable d'influer sur le cours des évènements. Il reste tout de même deux partenaires avec lesquels il faudra composer : la rue, et l'appareil militaire et sécuritaire. La première reste une inconnue. Elle est prête à s'émouvoir pour El-Qods, pour la statue de Aïn El-Fouara, mais elle est incapable d'une action positive raisonnée. Elle est juste « zaafana » (en colère), et elle se contente de « mansotich » (ne pas voter.Son mode d'action reste l'émeute, ponctuelle, limitée dans le temps et dans l'espace. Elle est aussi secouée par des courants trop contradictoires pour imposer sa volonté. En l'état actuel des choses, rien ne laisse envisager des changements à court terme. Surtout ne pas bouger Quant à l'appareil militaire et sécuritaire, il n'a guère évolué. Le chef d'état-major de d'armée, le général Gaïd Salah, continue de marteler le même message depuis des années : l'année s'occupe de lutte antiterroriste et de protection des frontières, sans interférence dans la vie politique. Les autres appareils sécuritaires jouent la même partition. Ce qui montre qu'au bout du compte, malgré quelques épisodes spectaculaires, la donne politique dans le pays n'a pas évolué. Malgré Donald Trump et Emmanuel Macron, malgré la défaite de Daech et la non qualification à la coupe du monde de football, l'Algérie en est au même point qu'il y a un an. Elle a confondu action et agitation, elle a remplacé Sellal par Ouyahia, elle va supprimer les licences d'importation après les avoir brandies comme parade ultime face à la crise financière, elle a retrouvé la planche à billets comme nouveau mirage, elle a opéré quelques réaménagements internes sans portée réelle, Nabni a publié une nouvelle alerte ;mais sur le fond, aucun changement significatif n'a eu lieu. Comme le rappelle un blogueur, Nabil Mellah, pour l'Algérie, le temps n'a pas de valeur.