Le gouvernement de Bouteflika est confronté à une sérieuse crise budgétaire qui pourtant n'est pas imprévisible. Il n'était pas pris de court. Pas du tout sous l'effet de la surprise. Le déséquilibre des finances publiques était prévisible tant l'économie du pays était déjà et depuis fort longtemps installée durablement dans une zone grise. Les années de l'embellie financière induite par un prix élevé du baril de pétrole sur le marché international n'était en réalité qu'un rideau de fumée masquant un déficit structurel. Des spécialistes n'avaient pas cessé de mettre en garde contre l'illusion d'une «fausse» richesse qui allait s'effondrer au moindre contre-choc pétrolier. Cela n'a pas tardé. A défaut de sévir pour en en finir avec la dépendance énergétique et construire une économie productrice de richesses et créatrice d'emplois, l'Exécutif avec ses différentes équipes a pris l'option dangereuse. Des centaines de milliards de dollars qui proviennent des recettes pétrolières ont été mobilisé à des fins de redistributions rentières, à entretenir des secteurs budgétivores ; mais surtout à renforcer les positions au sein du pouvoir politique. Derrières les grands travaux dits «structurants» se cachait en effet un gigantesque transfert des capitaux publics vers une poignée d'homme d'affaires privés devant servir à l'émergence d'une nouvelle classe d'entrepreneurs qui a son tour servirait de point d'appui et de base sociale du régime politique dans une version nouvelle. Une oligarchie en devenir qui avait pour «ambition» aussi d'écraser sur son passage des investisseurs privés bien ancrés et de porter un nouveau coup aux groupes publics pourtant efficaces. Un choix qui s'est vite avéré ruineux pour le Trésor public, inopérant économiquement et surtout incapable d'assumer sa tâche historique. Une part du Trésor public a été mobilisée également pour anticiper et empêcher les tensions sociales dans une logique plutôt politicienne qui n'obéissait en aucun cas à une stratégie réfléchie. Une politique économique marquée du sceau de l'urgence indexée sur un agenda politique pressant de maintien au pouvoir de ses équipes dirigeantes. Faute de légitimation démocratique, les décideurs surexploitent l'argent de la collectivité nationale pour asseoir leur autorité en échange d'une «stabilité sociale» coûteuse. Un gaspillage à grande échelle. Il va sans dire que les ambitions affichées à chaque échéance politique et chaque exercice budgétaire visant à moderniser l'appareil économique global sont restées lettre morte. Ni le système bancaire qui date d'une époque révolue n'a été réformé pour l'adapter aux exigences des dynamiques économiques mondiales. Ni le climat des affaires n'est assaini pour être mieux attractif. Encore moins la gangrène de la bureaucratie n'a été combattue pour faciliter l'acte d'investissement public et privé le mieux à même de mettre en place un appareil productif et compétitif. Le régime s'est enfermé dans un conservatisme politico-économique, il s'est refusé à toute réforme structurelle. Non pas faute de volonté politique, ni par manque d'audace économique. Les décideurs politiques savent plus que tout le monde que s'ils engagent des réformes sérieuses, cela reviendrait à condamner leurs propres pouvoirs. C'est mettre un terme à un régime économique rentier et son corollaire – la corruption – qui est la raison d'être du système du pouvoir. Les timides tentatives du gouvernement Tebboune sont une parfaite démonstration de cette féroce résistance des segments puissants dans le sérail à la moindre action, ne serait-ce que pour remettre de l'ordre dans les affaires. La violence avec laquelle Abdelmadjid Tebboune a été éjecté de l'Exécutif témoigne de l'obstination des décideurs à poursuivre une voie sans issue. Le rappel d'Ahmed Ouyahia porteur d'un plan d'action –inspiré du vague programme du Président– est centré sur des mesures de replâtrage (financement non conventionnel) et vise à transposer la tension qui prévaut à l'intérieur du sérail vers une confrontation avec une partie importante de la société via une «orientation économique» dure qui sera sans nul doute confirmée dans la prochaine loi de finances. Ainsi, le gouvernement de Bouteflika tourne le dos aux vraies causes de l'impasse budgétaire pour ne proposer que des remèdes superficiels et artificiels. Il refuse d'admettre que le déséquilibre financier est la conséquence naturelle d'une crise économique durable et structurelle, elle-même résultante d'une impasse politique globale. Seules des révisions déchirantes peuvent éviter au pays un autre cauchemar.