En Algérie, le système bancaire peine tant à trouver son chemin dans un labyrinthe économique tant la profession est encore balbutiante, et la situation financière structurelle de toutes les banques publiques est toujours alarmante, car ne disposant d'aucune solvabilité elles seraient toutes condamnées à la faillite si ce n'était le concours de la banque centrale et des revenus issus des hydrocarbures. Le tarissement de la liquidité bancaire dans notre pays est devenu presque un sujet légendaire et l'appel fait aux banques commerciales pour une stratégie de collecte des ressources depuis la nuit des temps ressemble à l'Arlésienne, En vérité, le débat sur la faiblesse de la mobilisation des ressources bancaires a toujours été éludé et n'a jamais été une source de préoccupation pour les autorités monétaires grâce à la conjoncture financière favorable qu'a connue le pays jusqu'en 2013 et au concours des recettes pétrolières qui ont fait profiter non seulement l'Etat par le financement de la dépense publique mais également les banques commerciales par la constitution de leurs dépôts. Les récentes déclarations du gouverneur1 de la Banque d''Algérie rendent perplexes plus d'un quand il évoque 'un excès de liquidité, ou encore 'une baisse d'excès de liquidité entamée depuis 2015 et poursuivie en 2016 ', alors qu'à vrai dire,dans son rapport de l'année 2016 2, la Banque d'Algérie notait un tarissement de la liquidité bancaire,dit d'une autre manière un assèchement et non une baisse de l'excès de liquidité parce qu'il n'y en avait pas.. Pour preuve,la diminution de l'encours des dépôts à vue et à terme de 2,2% collectés par les banques primaires durant l'année 2015, comme le notait le rapport annuel de la Banque d'Algérie, était suivie encore une fois d'une baisse plus accentuée de 2,3% en 2016. Pour bien interpréter les propos du gouverneur de la BA, une baisse d'excès de liquidité continue en 2016 signifierait le retour à la normale, à un niveau d'équilibre satisfaisant de liquidité, pourquoi alors y'a-t- il eu cette contrainte des banques commerciales au recours au refinancement auprès de la Banque d'Algérie en second semestre 2017 3. et quelques mois plus tard, en novembre, carrément au recours à la planche à billets ou financement non conventionnel ? Mais le plus surprenant est que, deux semaines auparavant le président de (ABEF) l'Association des banques et établissements financiers et directeur général de la BNA 4, déclarait le contraire en assurant la persistance de la baisse de liquidité . Ces propos incompatibles de deux responsables du secteur bancaire témoignent d'un malaise et d'une incapacité de l' institution chargée de superviser la politique monétaire et le bon fonctionnement des banques . Et prétendre que ' la situation financière des banques est « forte » ' est une fausse appréciation des faits. Car en vérité l'augmentation de la liquidité à partir de fin 2017 a été rendue possible grâce à la mise en œuvre de la planche à billets qui est seulement une solution de rechange comme son nom l'indique un financement non conventionnel qui ne peut assurer aucune solvabilité ou solidité financière durable aux banques. Les raisons souvent avancées par les autorités monétaires du pays pour tenter de donner une explication à ce phénomène de la faiblesse de l'épargne bancaire en Algérie, telles que l'inadaptation des instruments de collecte, les difficultés de captage, la faible bancarisation ne sont pas les plus importantes. Il existe tout un ensemble de facteurs macroéconomiques constituant le véritable handicap concourant à l'atrophie de l'épargne intérieure que nous allons analyser 1)- Les taux d'intérêt et les instruments de contrôle monétaire Les taux d'intérêt débiteurs et créditeurs pratiqués par les banques en Algérie n'ont jamais reflété réellement les conditions de marché de par leur règlementation et leur contrôle.. Longtemps administrés jusqu'à la promulgation de la loi relative à la monnaie et le crédit en 1990 , les taux d'intérêt débiteurs et créditeurs ont été relevés par la banque centrale en 1986 et en 1989 5 : les taux ont été libérés mais sous plafonnés sous le contrôle de la banque centrale par la fixation d'une limite pour certains taux créditeurs . Tantôt libérés, tantôt plafonnés, les taux d'intérêt en Algérie ont toujours été pratiqués en dehors de toute efficience et au gré de la conjoncture financière favorable ou défavorable du pays résultante du niveau confortable ou non des recettes pétrolières. De la politique de contrôle direct des taux, la banque centrale a eu recours aux instruments de gestion indirects de la politique monétaire (réserves obligatoires, politique de refinancement). Dans un tel schéma suivi par l'Algérie à l'instar de nombreux pays en développement, notamment africains dans les années 90, le seul but était dagir sur la liquidité bancaire et donc sur le volume et les conditions de financement de l'économie ; le principe des réserves obligatoires est de rendre le système bancaire dépendant du refinancement de la Banque d'Algérie . Une telle politique, pour être efficace, doit s'appuyer sur un taux d'intérêt régulateur du marché interbancaire,ce qui ne peut être le cas, pour l'heure, en raison du sous-développement de ce marché dans notre pays caractérisé d'abord par l'absence de concurrence entre les intervenants et ensuite et surtout par une situation où l'échange de monnaie ne se fait pas entre banques à capacité de financement et banques en besoin de financement : les banques commerciales publiques prises comme un tout sont soit en situation de besoin soit en situation d'excédent de liquidités,et en définitive,c'est la banque d'Algérie qui se retrouve seule à réguler le marché . La situation financière en général et les conditions du marché bancaire, en particulier, ont toujours subi les effets de la répression financière caractérisée par deux éléments : les taux d'intérêt réels négatifs et l'inflation. A titre d'illustration, le tableau suivant nous brosse une situation des taux réels à partir des données de la banque mondiale sur la période 1994-2016 6, où l'on constate une prédominance de valeurs négatives ( 12 sur un total de 23 ) Tableau n° 1 : Taux d'intérêt réels Années------1994------1995------1996------1997------1998------1999 Taux d'intérêt réels-------10.13-------7.90-------4.05------+8.94------+15.10-------0.10 Années ------2000------2001------2002------2003------2004------2005 Taux d'intérêt réels-------10.32------+10.03------+7.18-------0.19-------3.78-------6.99 Années------2006------2007------2008------2009------2010------2011 Taux d'intérêt réels-------2.32------+1.48-------6.38------+21.61-------6.96-------8.66 Années------2012------2013------2014------2015------2016 Taux d'intérêt réels------0.49------8.06------8.24------16.46------8.78 Un rapport, cette fois ci,du fonds monétaire international établi en juin 2014 7 notait que l'instabilité financière de l'Algérie par la persistance de l'existence de taux d'intérêt réels négatifs sur les actifs en dinars était due à la restriction des changes : les contrôles des changes sont un handicap au développement des marchés financiers et suggère à ce jour une libéralisation financière. Durant la même période (1994-2016), le calcul du taux d'inflation donne une valeur moyenne égale à 8.23%, ce qui corrobore cette incidence financière négative sur l'épargne.. Le développement de l'épargne est indispensable à la croissance économique mais des taux de rémunération réduits ou négatifs affaiblissent l'incitation et constituent un handicap pour les capacités de financement. En revanche les taux d'intérêt plus conséquents encouragent les consommateurs à épargner davantage pour profiter de rémunérations plus importantes. A titre d'illustration, et dans une situation similaire de sous-développement de l'activité bancaire,la Turquie dans les années 1980-1984 a levé les restrictions sur les conditions créditrices et débitrices, ce qui a poussé les banques à augmenter leurs taux sur les dépôts et à réussir à attirer plus de capitaux. 2)-Un taux d'inflation supérieur aux taux de rémunération des dépôts L'inflation et les taux d'intérêt sont des paramètres intrinsèquement liés à l'échelle macro-économique : elle influe sur les taux d'intérêt rémunérateurs à travers la répartition du revenu. Lorsque les taux d'intérêts sur les dépôts sont plafonnés, un taux d'inflation variable décourage l'épargne en réduisant la marge, car les taux d'intérêt deviennent négatifs. En Algérie les taux de rémunération des produits bancaires - quand ils sont révélés par la banque à ses clients -sont dérisoires par rapport aux niveaux de taux d'inflation. Le taux d'intérêt réel étant égal au taux nominal moins le taux d'inflation, quand celui-ci est supérieur au taux de rémunération, les intérêts réellement perçus par l'emprunteur sont négatifs. : Le prêteur reçoit à l'échéance une somme inférieure à celle qu'il a prêtée en termes de pouvoir d'achat et il est évident qu'une telle situation le décourage En Algérie les taux d'inflation ou les variations moyennes de l'indice des prix à la consommation (IPC) ont toujours été prédominants . A titre d'Exemple, les chiffres, établis par l'office national de statistiques même si parfois ils sont un peu minimisés, restent toujours supérieurs aux taux de rémunération des produits bancaires, et dont la valeur moyenne ne dépasse pas les 2.5 % dans le cas où l'on se réfère aux conditions de banques en vigueur. Sur la base des taux d'intérêt des dépôts évalués par la banque mondiale concernant l'Algérie, comme l'indique le tableau ci-dessous on constate des valeurs Insignifiantes qui ne s'améliorent pas depuis l'année 2005 mais stagnent autour 1.75 %. Tableau n° 2 : évolution des taux de rémunération des dépôts bancaires 2000-2016: 8 source banque mondiale Année------2000------2001------2002------2003------2004------2005------2006 Taux %------7.5------6.25------5.33------5.25------3.64------1.93------1.75 Année------2007------2008------2009------2010------2011------2012------2013 Taux %------1.75------1.75------1.75------1.75------1.75------1.75------1.75 Année------2014------2015------2016 Taux %------1.75------1.75------1.75 Tableau n°3 évolution du taux d'inflation entre 1994-2017 9 source Banque Mondiale Année ------1994------1995------1996------1997------1998------1999------2000 taux d'inflation %------29,05------29,78------18,68------5,73------4,95------2,65------0,34 Année------2001------2002------2003------2004------2005------2006------2007 taux d'inflation % ------ ------4,23------1,42------4,27------3,96------1.38------2,31------3,67 Année------2008------2009------2010------2011------2012------2013------2014 taux d'inflation %------4,86------5,73------3,91------4,52------8,89------3,25------2,92 Année------2015------2016 ------2017 taux d'inflation %------4,78------6.4------7 Un simple examen comparatif des valeurs respectives dans les deux tableaux montre un écart très important. Même les chiffres sur l'indice des prix à la consommation (IPC) ci-dessous publiés par l'ONS depuis 2013 indiquent une marge négative remarquable, une fois rapportés au taux moyen de rémunération des dépôts de 1.75. L'indice des prix à la consommation donne un taux moyen de 4.84 % Tableau N°4 source ONS Années------2013------2014------2015------2016------2017 IPC------3,25%------2,92%------4,78%------6,40%------7% Par contre , la valeur de 4,6 % publiée par le même office pour 2018 ne semble pas plausible eu égard aux contextes économique et social de cherté de la vie plus avérée que durant l'année dernière, mais surtout financier avec le recours au financement non conventionnel cette année ou création monétaire ex nihilo. D'ailleurs le chiffre arrêté par le FMI pour cette année est de 7.4 %, ce qui semble plus réaliste. Compte tenu de cette situation d'inflation durable et irréversible, mal nécessaire et intrinsèquement lié à l'économie de notre pays en quête de croissance - il existe une solution que la Banque d'Algérie peut adopter et qui consiste à plafonner les taux d'intérêt en fonction de l'indice du prix à la consommation : cette technique a été efficace dans des pays comme le Mexique ou la Turquie, où depuis 1983 la Banque Centrale le fait au moins une fois tous les trois mois : Il est évident que les dépôts à terme seront insensibles à la hausse des prix si les taux nominaux sont indexés sur les taux d'inflation. 3)-La dépréciation monétaire Un autre facteur aussi important, la dépréciation de la monnaie,qui influe aussi sur l'épargne : en faisant monter les prix des produits intérieurs de consommation, une quelconque dévaluation du dinar entrainerait la chute des revenus réels (M1) -qui regroupent les moyens de paiement non rémunérés - et donc une chute de l'épargne car les ménages refusent toute baisse de leur niveau de consommation réel.. Alors que dans la décennie 90, l'Algérie pratiquait une dévaluation du dinar 10 dans le but d'attirer les investisseurs étrangers, ce procédé est devenu une règle : à chaque fois que les revenus pétroliers baissent, la Banque d'Algérie opte pour la dévaluation . Par conséquence, les effets conjugués d'une l'inflation importante et d'une dévaluation monétaire influent négativement sur l'épargne. D'ailleurs, au demeurant le recours au financement non conventionnel ne fait qu'aggraver la situation de la valeur du dinar en exerçant une poussée sur les prix des produits de consommation, la dégradation des revenus et en conséquence un effondrement de l'épargne. Dans ce contexte, les déclarations des responsables de la finance dans notre pays à l'effet d'atténuer les incidences monétaires de cette érosion et préserver le pouvoir d'achat sont de fausses assurances : car techniquement l'unique moyen pour y remédier serait de réduire le niveau général des prix, ou d'augmenter les salaires mais ni l'une ni l'autre ne peut figurer parmi les options du gouvernement. Sincèrement, que pourrait bien faire une éventuelle cellule d'évaluation11 au niveau du ministère des finances pour veiller aux effets inflationnistes de la planche à billets puisque l'enseignement de l'anarchie révélée des taux pratiqués par les banques en 2017 et au demeurant nous a montré que tout contrôle échappe apparemment à cette institution. ? Parmi les mesures préconisées par l'institut d'émission au début de l'année 2017 figurait l'indemnisation des emprunteurs victimes des taux d'intérêt excessifs des crédits bancaires mais l'éthique veut également que les banques à l'avenir rembourseront également aux préteurs les manques à gagner résultant à chaque fois de la différence entre le taux d'inflation et les taux de rémunération des dépôts. 4) La rémunération fiscalisée des produits bancaires La fiscalité pénalise les produits bancaires par rapport aux autres produits d'épargne et en prive les banques et l'enrichissement de l'Etat se fait au détriment des épargnants, par l'imposition des revenus d'intérêts. Cet argument plaide en faveur d'une fiscalité appropriée des services bancaires et des revenus d'intérêt La politique fiscale conditionne l'épargne privée car les ressources non employées dans l'économie peuvent générer une épargne supplémentaire. Une diminution de l'épargne publique, par ailleurs, peut augmenter l'épargne privée si cette diminution résulte d'une réduction des impôts ; dans le cas contraire, elle induirait un découragement. Les régimes fiscaux imposent doublement l'épargne en tant que partie du revenu total (consommé ou épargné) et lorsqu' elle engendre des revenus imposables. Dans certains pays dont la situation économique et financière était similaire à la notre, en période de passage d'une économie d'endettement à une économie de marché,les intérêts perçus sur certains types d'actifs (qui regroupent la monnaie en circulation, les dépôts, les comptes spéciaux d'épargne, les bons d'Etat, les bons de trésorerie, les titres de participation des fonds mutuels) n'étaient pas imposables ; dans d'autres pays, les dividendes étaient exonérés . En Algérie à contrario, presque tout est imposable : la loi de finances complémentaire 2015, à travers l'article 43 avait institué un programme de conformité fiscale volontaire aux termes duquel les sommes déposées auprès des banques par toute personne, quelle que soit sa situation feraient l'objet d'une taxation forfaitaire libératoire au taux de 7%.'' Une telle mesure est antiéconomique et même répressive dans un marché bancaire qui peine à attirer des capitaux. Au contraire, la rémunération de ces dépôts serait plus logique s'il existait une volonté réelle pour booster l'épargne Un telle obligation d'imposition, n'a pas eu d'effet d'entrainement mais, à l'inverse, depuis l'année 2015 et à ce jour, le secteur continue d'enregistrer une baisse drastiques des dépôts bancaires et donc des liquidités . Il convient de remarquer que les incitations fiscales restent un moyen efficace pour l'amélioration de l'épargne :mais insuffisant à cause de l'érosion monétaire en Algérie et c'est ainsi que tous les facteurs qui limitent l'épargne sont imbriqués et agissent par effets conjugués. * Retraité, diplômé de l'ifid de Tunis et de l'idef de Paris, ancien sous directeur régional du Trésor public à Oran SOURCES 1- www.algerie-eco.com/2018/11/17/loukal-forte-augmentation-de-la-liquidite-suite-a-la-mise-en-oeuvre-du-financement-non-conventionnel/ 2 - rapport de la Banque d'Algérie 2016 3 - Tendances monétaires et financières au premier semestre 2017 Banque d'Algérie. 4 - Baisse de liquidités: les banques étouffent par Yazid Alilat le quotidien d'Oran Lundi 5 novembre 2018 5 La loi bancaire de 1986 n°86-12 du 19 Août 1986 relative au régime des banques et au crédit et en 1989 avec la réorganisation du marché monétaire 6- Site de la banque mondiale :https://donnees. banquemondiale.org/indicator/FR.INR. RINR? locations=DZ&view=chart 7- Algérie Evaluation de la stabilité du système financier Rapport du FMI no. 14/161 juin 2014. 8- Site banque mondiale : https://donnees. banquemondiale. org/indicator/FR.INR. RINR?locations= DZ&view=chart 9- idem 10- En dépit de la dévaluation importante du dinar de près de 85% en 1994 face au dollar puisque le cours est passé de 24,1 DA à 42,9 DA pour 1 dollar. 11- Propos du ministre des finances : 'La gouvernance économique mise à nu'' par Samira Imadalou -02 octobre 2017 in El Watan