On veut faire croire au peuple algérien que tout le problème a pour origine une Issaba (bande de malfaiteurs), qui a pillé les ressources du pays. Il suffit de neutraliser cette Issaba pour que tout rentre dans l'ordre. Or, cette Issaba n'est pas née du néant. Elle a pour origine un système politique qui lui a permis de siphonner l'argent public. L'émergence de cette couche marchande-parasitaire qui a ses ramifications dans toutes les institutions, est le produit d'un système politique qui s'est développé au lendemain de l'indépendance. Aujourd'hui, il est arrivé à un stade de déliquescence que la société rejette dans sa globalité. Il suffit de remarquer le discours creux des responsables qui pour certains, relève de la pathologie psychiatrique pour se rendre compte que le fossé est grand entre un peuple qui a connu l'école, l'université, les voyages à l'étranger, les réseaux sociaux d'une part, et ses gouvernants d'autre part. Aujourd'hui, ce peuple réclame le départ du système responsable de la crise actuelle. Un système politique qui a gardé ses constantes depuis l'indépendance. Système caractérisé par l'autoritarisme, la violence, le clientélisme et le mépris de la population. L'histoire politique de l'Algérie peut nous éclairer sur la portée profonde de ce que revendique le peuple qui s'est approprié l'espace public pour scander : «Système dégage». Tel est l'objet de cette contribution. Introduction Il y a une relation forte entre le mode de décolonisation et la nature des régimes qui ont été installés au lendemain des indépendances (Gazibo M., 2010). «Là où la décolonisation a été précédée d'une guerre de libération nationale violente, comme en Algérie, en Angola, au Mozambique, au Cap-Vert et en Guinée-Bissau, les régimes qui ont émergé ont généralement été institués par le groupe armé qui avait réussi à se présenter comme le principal adversaire de la puissance coloniale». Ces élites fraichement installés au pouvoir s'appuient sur deux mythes (Gazibo M., 2010) : le développement économique et l'unité nationale. Ils introduisent le parti unique comme garant de l'unité nationale et s'approprient l'ensemble des institutions de l'Etat. Hostiles à la politique d'assimilation, les courants qui ont ressourcé le nationalisme algérien, s'inspirent des valeurs traditionnelles et en même temps des valeurs de la civilisation occidentale. On y trouve rassemblés, l'Islam, l'arabe, le berbère, les principes de justice sociale, la démocratie, le socialisme... C'est un nationalisme hybride, particulier et porteur d'antagonismes latents qui vont surgir une fois l'ennemi commun vaincu. La fondation du FLN qui a mené le mouvement insurrectionnel de novembre 1954, canalise cette diversité en lui fixant un objectif commun : l'indépendance. Une fois l'indépendance acquise chaque courant aura tendance à vouloir contrôler le pouvoir politique. Comment le système politique issu de l'indépendance aura-t-il à surmonter ces contradictions dans sa tache de construction d'un Etat indépendant ? I/ Les premières années de l'indépendance En Algérie, l'indépendance acquise ouvre la voie à la confrontation entre les wilayas intérieures légitimistes qui soutiennent le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) crée en 1958 à la suite du Congrès de la Soummam d'une part, et l'armée des frontières d'autre part. Il s'agit de l'armée des frontières stationnée pendant la guerre à l'extérieur des frontière et qui s'est imposée par les armes aux wilayas intérieures et au GPRA pour prendre le pouvoir en été 1962. Le 23 août, la population d'Alger manifeste dans la rue et réclame le pouvoir aux civils. Le mot d'ordre étant « Sebaa Snine Barakat ! » (Sept ans de guerre, ça suffit!). L'indépendance est confisquée, écrivait Ferhat Abbas quelques années plus tard. Le gouvernement provisoire est remis en cause au profit d'une élite militaire qui s'est imposée par la force. Ce groupe légitimé par la guerre de libération instaure dès sa prise de pouvoir, un régime autoritaire en affaiblissant les institutions (société civile, assemblée nationale, justice, administration...) et en leur substituant des règles informelles fondées sur une logique de loyauté et de clientélisme. On peut avancer l'idée selon laquelle, le refus de bâtir un Etat basé sur des institutions qui expriment les contradictions de la société est un héritage du mouvement violent de libération nationale. Cette violence dirigée contre le colonialisme fut aussi dirigée contre les opposants à l'intérieur du mouvement de libération. Abbane Ramdane architecte de la plate-forme de la Soummam, a payé de sa vie en décembre 1957 pour avoir prôné la primauté du politique sur le militaire et de l'intérieur sur l'extérieur. Cette question marquera la vie politique tout au long de l'histoire de l'Algérie indépendante. Le groupe fraichement installé au pouvoir, s'attèle à constituer un réseau de clientèles qui se fait à partir d'une redistribution sélective des ressources (Hôtels, cafés, licences de taxi, villa, argent, postes administratifs....). Ces mesures, ont eu pour effet d'empêcher l'initiative économique et d'instituer (Henni, 1998) «un système de distribution des moyens de vie et de travail dépendant du bon plaisir des titulaires d'autorité et, de ce fait, rendant les individus inégaux dans l'accès à ces faveurs». En d'autres termes, seule une clientèle faisant allégeance aux tenants du pouvoir pouvaient en bénéficier. C'est la naissance de la famille révolutionnaire. Appartenir à cette famille est, par conséquent, le visa qui donne privilèges et prébendes. Les opposants qui réclament la démocratie sont éliminés. Cette première période de l'indépendance, reproduit l'exclusion sociale dont faisait l'objet la population algérienne sous le régime colonial. La jeune république est amputée de son caractère démocratique et populaire. Seule la tendance islamiste héritière de l' «Association des Oulemas», réussit à imposer l'article 2 de la constitution de 1963 : «l'Islam est la religion de l'Etat» en contrepartie de l'abandon de la revendication de faire appliquer la charia. Cet article restera inscrit dans les constitutions qui se succèderont. La revendication de faire appliquer la Charia fera surface trente années plus tard. II/ Le grand changement avec les mêmes constantes En Juin 1965, un nouveau pouvoir soutenu par l'armée prend par la force les destinées du pays. Ce nouveau pouvoir n'est pas étranger au premier, il en fait partie (Boumediene était ministre de la défense sous la présidence de Benbella). Pour ce pouvoir nous dit Addi L. (1990) «L'Etat, c'est d'abord l'autorité. L'appareil d'Etat sert de siège à cette autorité qui doit soumettre toute force centrifuge menaçant l'unité du corps politique. Il ne faut surtout pas que l'Etat redistribue le pouvoir à des organes qui serviront de réceptacles à des oppositions politiques». En quête de légitimité ce pouvoir entreprend plusieurs actions : - Elargissement de la base des ayant-droits et des personnes qui leurs sont liées, par l'attribution de pensions et de privilèges. - Institution de la subvention sur les produits de premières nécessités (farine, sucre, légumes secs...) - Redistribution des terres aux Féllahs, démocratisation de l'accès à l'enseignement, renforcement de la protection sociale, médecine gratuite... - Lancement d'un vaste programme d'industrialisation comme seule solution au sous développement, qui devait concourir à la transformation de l'agriculture, la création d'emplois et la satisfaction des besoins d'une population. Pour ce faire, le nouveau pouvoir centralise les ressources en nationalisant les banques, quelques entreprises et enfin les hydrocarbures en février 1971. La décision de nationaliser les hydrocarbures était latente depuis 1967. Il est bien évident que cette action a une double conséquence : Elle permet à l'Etat d'avoir ses propres ressources et donc de s'autonomiser par rapport à la société d'une part, et élargir la popularité du pouvoir issu du coup d'Etat fortement contesté à la fin des années 1960 d'autre part. Cependant, on doit reconnaitre à ce pouvoir d'avoir lancé un processus d'industrialisation dont l'ampleur est citée comme exemple dans le monde. Jamais l'économie algérienne n'a atteint un taux de croissance au-delà de 6%. On doit considérer aussi, les efforts louables dans les domaines de l'éducation et la formation, la santé, l'équilibre régional, la politique extérieure... La mise en œuvre de grands projets de complexes industriels et d'unités de production qui vont permettre le développement des principales zones d'activités économiques du pays. L'ensemble de ces actions ont contribué à renforcer l'assise populaire du pouvoir en place. III/ La remise en cause du grand changement : Le libéralisme A la mort du président Boumediene, l'armée désigne à la tête de l'Etat, un ancien combattant qui n'a pas quitté l'armée après l'indépendance. Ce choix est justifié par son ancienneté dans le plus haut grade de l'armée. Ce président est présenté comme un libéral, il écarte les tenants du socialisme. Comme ses prédécesseurs, ce nouveau pouvoir cherche une assise populaire. Le boom pétrolier provoqué par la révolution iranienne de 1979 permet une augmentation substantielle des recettes pétrolières. Au nom d'une «vie meilleure», un vaste programme d'importation est lancé face aux revendications matérielles de la population. Le programme «anti-pénurie» inonde le marché de produits importés qui jadis, faisaient défaut. A l'inverse du socialisme de la pénurie, voilà un libéralisme qui annonce l'abondance des produits. Cette tentative de répondre aux revendications de la population s'accompagne d'une politique pernicieuse de mise à l'écart des élites managériales qui étaient à la tête des grandes entreprises. Cette élite, a eu le mérite d'accompagner les entreprises dans le processus d'industrialisation. La restructuration des sociétés nationales en petites unités avait pour but inavoué de limiter le pouvoir des élites managériales qui étaient à la tête des grandes entreprises (création de 350 entreprises à partir de 80 sociétés nationales). Dans le même sens, l'introduction de l'article 120, réserve les postes de responsabilités aux seuls militants du FLN et l'article 421 punit la «mauvaise gestion». Devant cette ouverture qui répond partiellement à la revendication matérielle, la revendication identitaire refait surface. L'identité berbère est réclamée sur la place publique. En effet, depuis la crise des années 1940, la question berbère a toujours été considérée comme facteur de division. La généralisation de la langue arabe au mépris de la langue berbère, fait émerger de manière violente la question berbère. Celle ci n'est pas seulement une revendication d'ordre linguistique, elle est politique. La décennie 1980 sera celle de l'expression publique de la revendication berbère. Voilà que le peuple reprend la parole devant un pouvoir qui répond par la répression. La victoire des islamistes en Iran, donne l'occasion aux activistes islamistes de s'affirmer dans quelques pays arabes. En Algérie, l'islamisme est encouragé pour abandonner le socialisme et ses défenseurs. On fit venir des prédicateurs du Moyen Orient. Ces Chouyoukh, qui réfutent le rite malékite vont avoir une grande influence sur la jeunesse algérienne. Les universités algériennes connaissent des affrontements entre Islamistes et tenants du courant socialiste. Plus tard en 1982 une dissidence islamiste armée prend le maquis. Face à ces forces inconciliables, le pouvoir en place fait des concessions aux islamistes : Il se lance dans une campagne d'assainissement où les couples sont pourchassés dans les grandes villes, introduit l'éducation civique et religieuse à l'école et proclame le code de la famille fortement inspiré des principes islamiques. Le mouvement islamique fort de ces concessions, se radicalise davantage. Les mosquées sont utilisées pour des prêches virulents contre le pouvoir. L'on constate une avancée évidente de l'islamisation de la société, facilement constatable par le port du voile, le kamis, la barbe... Plus profondément, il y a, plus qu'avant, une tonalité religieuse de la vie sociale, qui fait que les pratiques religieuses sortent du domaine privé pour s'exhiber sur la place publique. C'est une islamisation tranquille de la société (Chaillot, 2006). La chute des prix du pétrole dans le milieu des années 1980, lève le voile sur une économie boostée par la rente pétrolière. L'équilibre entre les ressources de l'Etat et la satisfaction des besoins matériels de la population est rompu. Les premiers signes de l'essoufflement économique (chômage, inflation, paupérisation des couches moyennes..) exacerbent les tensions sociales. Les pénuries se développent, les magasins de l'Etat sont assaillis par les foules qui s'arrachent les produits de premières nécessités (café, sucre, tomate concentrée, œufs...). La population se soulève en octobre 1988. Les magasins de l'Etat ainsi que les sièges du parti unique sont saccagés. Ces événements très violents ont poussé les pouvoirs publics à négocier un nouveau compromis social. Ce compromis donne naissance à la compétition politique qui sera légalisée un an plus tard par une nouvelle constitution (1989), autorisant la création de partis politiques, d'associations y compris syndicales et d'une presse privée dite indépendante. Le pouvoir nous dit A. El Kenz, se fait « démocratique » non par conviction, mais par contrainte. Les anciens acteurs de la contestation sociale, se transforment en nouveaux acteurs de la vie politique nationale. Cette constitution bien que critiquée sur certains de ses aspects a au moins le mérite d'avoir donné la chance à tous les Algériens de s'exprimer et participer librement aux compétitions électorales. Mais, la multiplicité des partis et des associations ne définit pas à elle seule le pluralisme, indispensable pour considérer qu'il s'agit d'un système démocratique. Cette transition vers la démocratie n'a pas empêché l'islamisme rampant depuis la fin des années 70 de dominer puis éliminer tous les autres courants. L'islamisme agit à découvert, il dispose déjà de structures existantes et implantées sur tout le territoire national (les mosquées). L'islamisme a un impact sur les opinions publiques lorsqu'il dénonce au nom de l'islam l'injustice, la corruption, le chômage, les inégalités sociales etc... Le discours virulent dans les mosquées contre le pouvoir encense le peuple. Les islamistes canalisent le mécontentement social en promettant l'idéal de l'Etat islamique. Les islamistes organisés sous l'égide du Front Islamique du Salut fondé en 1989, remportent les élections locales en 1990 et les élections législatives en 1991. La victoire du FIS est cinglante, il obtient 188 sièges sur 231. Il devient la première force politique du pays en éliminant le FLN qui n'obtient que 15 sièges. Le pouvoir qui ne s'attendait pas à cette victoire, panique. Il doit trouver une parade pour éliminer cette tendance. IV/ Les années de braise : Fin de la démocratie naissante C'est alors qu'est né le Comité national de sauvegarde de l'Algérie (CNSA) pour faire annuler les élections. Ce comité, regroupait l'UGTA, l'Organisation nationale des moudjahidine (ONM), certains partis politiques, des intellectuels, des journalistes....Son objectif : faire intervenir l'armée pour annuler les élections. Il est curieux de constater que ce comité qui comptait en son sein beaucoup de démocrates, aille demander à l'armée d'intervenir. Dans un entretien publié en 2002 dans « Confluences Méditerranée », Ali Haroune connu pour être un grand défenseur des droits de l'homme, déclarait «Devant le dilemme : interrompre le processus électoral, ce qui alors, aux yeux du monde, paraissait comme une atteinte au processus démocratique, ou laisser l'intégrisme rétrograde parvenir au pouvoir et en fin de compte assassiner la démocratie, le choix ne souffrait pas de doute pour nous ». A l'inverse de cette déclaration, l'histoire nous apprendra que la victime sera bien la démocratie. L'armée intervient pour interrompre le processus démocratique et de «démissionner» le président de la République. En février 1992, elle proclame l'état d'urgence. En mars, le FIS est officiellement dissout. Beaucoup de militants islamistes décident alors de prendre le maquis. La violence qui a accompagné l'arrêt du processus électoral a plongé le pays dans une crise profonde. Des milliers d'hommes sont arrêtés et internés uniquement pour leurs convictions (Harbi M.), plus de un million de personnes sont déplacées vers les villes, des intellectuels, journalistes, des hommes de culture...sont assassinés. Les faux barrages et les tueries collectives se généralisent, l'islamisme s'attaque au peuple qu'il considère comme impie selon les préceptes de l'Islam. On avance le nombre de 200 000 victimes de cette tragédie. Au sommet de la crise, une nouvelle constitution est votée en 1996, elle interdit les partis politiques dont l'idéologie repose sur une base religieuse, linguistique, raciale, de sexe, corporatiste ou régionale. Ainsi, le législateur semble avoir écarté de manière définitive le projet d'un Etat islamique. La nouvelle constitution sera une occasion pour le pouvoir en place d'affirmer sa domination sur la société sous prétexte qu'elle est incapable de gérer ses affaires et connaître ses intérêts. Le pluralisme politique est utilisé comme instrument de manœuvre pour empêcher toute alternance au pouvoir. Il n'y a aucune place pour les partis politiques qui s'opposent à lui. C'est un multipartisme sans alternance électorale. Les partis politiques au pouvoir servent surtout à relayer le discours du pouvoir et à recruter des clientèles pour les institutions de façade. La leçon est tirée : le peuple n'est qu'une foule déclarait un responsable d'un parti politique. Il (le peuple) n'est sollicité que pour les grands événements (élections...) à condition de ne pas choisir d'autres dirigeants que ceux en place depuis plusieurs décennies (Addi. L.). Les syndicats autonomes ne sont pas reconnus comme partenaires dans les négociations sociales. L'opposition n'a pas accès aux médias lourds. La presse écrite est sommée de ne pas franchir certaines limites au risque d'être harcelée par la justice. La diversité et les conflits qui traversent la société ne peuvent être représentés s'ils menacent l'ordre établi. L'individu est considéré comme un vassal régit par l'Etat à qui il droit prêter allégeance. Le système politique en laminant toute opposition est devenu aveugle. Il s'érige en clergé pratiquant l'inquisition au nom de l'Etat moderne. Et pendant que les dérives s'approfondissent et s'accumulent, pendant que les mouvements sociaux se font plus denses, plus intenses, le système se renferme derrière sa cuirasse répressive. Au lieu de renforcer les institutions par des règles au dessus de tous et applicables a tous, la classe dirigeante fut incapable de sceller un nouveau contrat social dans lequel les problèmes de la société, et en particulier d'une jeunesse représentant plus de 70% de la population, seraient pris en charge. C'est la fermeture du champ politique, le retour à la case de départ. En dépit des séparations (fictives) des pouvoirs recommandées par la constitution, le pouvoir reste le lieu de toutes les outrances. Le parlement va refléter la fermeture du champ politique. En mal de légitimité (plus de 60% d'abstention aux législatives) l'assemblée nationale n'est pas un espace représentatif des conflits qui traversent la société. L'abstentionnisme, est une déception profonde, une absence de confiance en un Etat discrédité par son incapacité à satisfaire les demandes qui lui sont adressées. Il est un contre-pouvoir hors institutions. Le véritable parti d'opposition est constitué de cette masse d'abstentionnistes. C'est « l'exit » comme disent les politologues. V/ Les promesses non tenues : Emergence des marchands 1999, un nouveau président coopté par l'armée est élu. Connaisseur des arcanes du pouvoir, le nouveau président annonce l'ouverture de grands chantiers : La réforme de la justice, de l'administration de l'Etat et de l'enseignement. Le travail des commissions chargées de ces réformes ne verra jamais le jour. La réconciliation nationale devient un impératif préalable avant toute réforme. Le début des années 2000, et suite à une situation sociale et économique fragile, l'Etat s'engage à combler les différents retards accumulés durant les décennies 1980 et 1990. A cet effet, une politique de dépenses publiques, est lancée avec trois programmes de relance économique qui visaient notamment à redynamiser l'économie et opérer les changements structurels tant attendus. Changements qui devraient sortir le pays de la dépendance du pétrole et contribuer à diversifier l'économie, et à bâtir une économie productive. La réponse aux revendications matérielles est inscrite dans les programmes d'emploi des jeunes, de logements, d'électrification, d'adduction en eau potable, de gaz....Plus de 1000 milliards de Dollars seront consacrés à ces programmes. L'objectif de ces programmes sociaux étant d'améliorer les conditions de vie de la population mais, aussi de s'assurer un électorat favorable. Il faut reconnaitre que ces dépenses ont permis la création de milliers de logements, des écoles, des barrages, des routes, l'adduction en eau potables et l'électrification jusqu'aux zones les plus reculées... Cependant, ces dépenses qui ont atteint une moyenne de 40% du PIB, n'ont pas permis à l'économie de se diversifier en dépit des promesses du discours politique officiel, développé dès la fin de la décennie 1970. Comme ses prédécesseurs, ce nouveau pouvoir assoit sa légitimité par une nouvelle clientèle dont l'amélioration des conditions de vie est due à l'Etat. D'autre part, les dépenses publiques donnent à l'administration le pouvoir de négocier les marchés publics sur la base de la loyauté au pouvoir. Il en est de même pour ceux qui activent dans l'importation. La faiblesse de la production locale est compensée par les importations. Il faut souligner que le volume des importations a atteint près de 60 milliards de Dollars en 2013, alors qu'il était de presque 10 milliards en 2000. Une véritable aubaine pour ceux qui ont monopolisé les importations. Ainsi, des hommes inconnus du grand public deviennent milliardaires par une simple signature de l'administration. Le nouveau pouvoir réussit une alliance entre les hommes d'affaires qu'il a créés et la politique. Quand l'administration a le pouvoir d'enrichir certains en contrepartie de leur allégeance, la corruption devient un mécanisme de régulation (Hachemaoui M., 2009) qui récompense les fidèles et compromet les opposants. Le pouvoir ne veut pas que l'économie (Addi L. 2019) s'autonomise de la tutelle du politique. Cette marchandisation de l'activité économique au détriment d'une économie de production produit des marchands au lieu et place des capitaines d'industrie. L'histoire des sociétés européennes qui ont bâti une industrie, nous apprends que lorsque les marchands sont exclus du pouvoir politique, ils se lancent dans l'industrie, deviennent des bourgeois et font la révolution industrielle. En Algérie, lorsque les marchands sont liés au pouvoir, ils n'ont pas besoin d'industrialiser pour prendre le pouvoir. Ils y sont déjà. C'est pour cela qu'en Algérie toute tentative de mettre en place une économie de production est mise en échec. Cette situation, reste valable tant que le pouvoir en place, monopolisait les dollars du pétrole et en octroyait une partie sous forme d'autorisations d'importation de produits et distribuait les marchés publics. La rupture de cet équilibre intervient avec la chute des prix du pétrole. Les recettes de l'Etat diminuent. Désormais, les ressources de l'Etat qui étaient constituées en grande partie par les ressources pétrolières cèdent la place aux ressources ordinaires (63% des ressources en 2015). Le déficit budgétaire se creuse et devient inquiétant (22% du PIB). Faute de ressources financières plusieurs projets d'équipement seront annulés. La rupture de cet équilibre met en opposition la société au pouvoir politique. Celui-ci n'a plus les moyens pour répondre aux besoins de la population. Les émeutes s'intensifient. Les émeutiers coupent les routes, brulent des pneus, ferment les mairies, attaquent à coups de pierres les édifices publics,.., pour exprimer leur sentiment d'injustice. De plus en plus de jeunes sont tentés par la «Harga». Comme à chaque fois, le pouvoir répond par la violence. Les revendications sont matérielles, lancinantes et circonscrites dans plusieurs régions du pays. Elles deviennent visibles lorsqu'elles s'installent à Alger. Les chaines de télévision privées ainsi que les journaux rapportent les marches réprimées des enseignants de l'éducation nationale, des médecins résidents et des retraités de l'armée nationale. La réponse répressive est suivie du discours arrogant et provocateur du pouvoir. Le président très diminué par sa maladie qu'il traine depuis 2013 veut briguer un cinquième mandat. Les réseaux de clientèles sont activés. Les partis de l'alliance présidentielle devenus depuis longtemps des comités de soutien font appel à leurs organisations satellites (UGTA, Organisations des moudjahidines, des jeunes, des syndicats estudiantins...). L'alliance contre nature de l'UGTA et du patronat occupe la «Une» des médias. Un véritable folklore de soutien au cinquième mandat s'installe. Le président très diminué, ne pouvant plus se montrer devant son peuple est remplacé par sa photo dans un cadre. On fait sortir ce cadre aux grandes occasions. Le ridicule pousse ceux qui le soutiennent à lui offrir un cheval. Pour le pouvoir, tout parait normal devant les yeux médusés d'un peuple méprisé. Les matchs de football seront l'occasion de synthétiser les revendications matérielles en revendications politiques. Le cinquième mandat du président malade, devient le catalyseur de ces revendications. On perçoit dans les chants clamés dans les stades le rejet du système politique (La casa d'El Mouradia). A défaut de medias crédibles, les réseaux sociaux s'érigent en véritable parti d'opposition appellent la population à manifester dans les rues. Le 16 février 2019, la ville de Kherrata est la première qui répond à l'appel. Des milliers de manifestants disciplinés, portant l'emblème national sortent dans la ville. Kherrata revêt une charge émotionnelle et symbolique, elle nous rappelle les manifestations du 8 mai 1945. Jour, où les manifestants sont sortis pour demander l'indépendance. Le 22 février 2019, juste après la prière du vendredi, des manifestations se déclarent dans toutes les villes algériennes. Le peuple refuse le cinquième mandat et demande le départ du «Système». La marche du peuple est non violente et disciplinée. Les analystes ont du mal a expliquer le caractère pacifique de ces revendications. Conclusion Devant ces événements qui secouent l'Algérie depuis plusieurs semaines, les questions suivantes méritent une réponse : Pourquoi une revendication politique ? Pourquoi les marches sont-elles non violentes et pourquoi, les vendredis après la prière ? La rente pétrolière a isolé le pouvoir de la société. Le pouvoir devient autonome à partir du moment où il n'a pas besoin du contribuable. Ce n'est pas la société qui fournit les ressources financières au pouvoir. C'est toute la société qui devient tributaire du pouvoir pour sa reproduction. Tous les conflits ont porté sur des revendications matérielles (emplois, logements, gaz, eau....).Par conséquent, le pouvoir devient totalitaire lorsqu'il prétend chercher le bien être commun, et agir dans l'intérêt de la collectivité. Cette prétention fait qu'il se dresse contre tout mouvement de contestation. Le pouvoir se maintient par l'exclusion et la répression de toute tentative d'émergence d'une nouvelle force politique ou idéologique qui lui fait concurrence. Ainsi, les partis qui s'opposent et les syndicats autonomes sont laminés. Cet équilibre tenait tant qu'il y avait les ressources nécessaires pour maintenir la paix sociale. Sur la longue période, de l'indépendance à nos jours, le pouvoir en Algérie a réussi à éliminer toutes les fractions idéologiques qui étaient à l'origine du mouvement de libération nationale. De 1962 jusqu'à la fin des années 1970, il a éliminé le courant libéral et islamique. Il élimine ensuite, le courant socialiste en favorisant le libéralisme et l'islamisme dans les années 1980. A son tour l'islamisme est éliminé dans les années 1990. Il faut préciser aussi, que ce même pouvoir dont l'idéologie a changé au fil de l'histoire algérienne a toujours réglé ses crises en dehors du peuple. Aujourd'hui, ce même pouvoir sans couleur idéologique fait face au peuple qu'il a méprisé. Ce peuple a compris que la solution aux problèmes matériels est de l'ordre du politique. La revendication politique est la conséquence de la revendication matérielle qui a toujours été réprimée. Ce peuple exige un ordre politique dont la finalité est la construction de l'Etat. Un Etat bâti sur des institutions et des règles aux dessus de tous. Pour ne pas attirer les foudres de la violence, cette exigence se fait de manières non violente et civilisée le vendredi, jours férié. Une manière de signifier au pouvoir que ce peuple est musulman et qu'il retourne a ses occupations les autres jours de la semaine. L'essentiel est de bâtir un Etat démocratique où le peuple sente libre. *Professeur, Université de Tlemcen Références : Addi L., «L'impasse du populisme»ENAL 1990, p. 112-113 Addi L. Interview, Maghreb Emergent, Janvier 2019 Chaillot P., «Une Algérie écartelée», Etudes 2006/9, Tome 405, p. 153-164 Hachemaoui M., «Permanences du jeu politique en Algérie», politique étrangère 2009/02 Harbi M. «La crise algérienne», Multitudes. Henni A., «Algérie : soubresauts de l'accouchement d'un capitalisme balbutiant, Mediapart 05 mars, 2019 Henni A., «La superposition historique en Algérie des cycles de ressources extérieures et des cycles politiques», document de travail, mai 1998 Gazibo M. «L'exercice du pouvoir en Afrique Postcoloniale» In : «Introduction à la politique africaine» Montréal : Presses de l'Université de Montréal, 2010. http://books.openedition.org/pum/6383