Face à la volonté manifeste de l'état-major de l'ANP d'aller au bout de sa feuille de route, seule voie de sortie de crise, selon sa conception, on risque d'assister à un véritable dialogue de sourds entre la rue et le pouvoir réel. En effet, le vide constitutionnel qui peut découler du report de l'élection présidentielle, dont la date d'expiration approche à grands pas, semble être l'unique argument avancé par Gaïd Salah pour expliquer sa position dogmatique. Et pour ceux qui, éventuellement, peuvent le soupçonner de nourrir des ambitions personnelles, il vient de répondre, affirmant que l'institution militaire n'a aucune ambition politique si ce n'est servir le pays. Lors de leur 13e mardi de marches, les étudiants ont apporté les premiers éléments de réponse au discours de Ouargla, insistant plus que jamais sur le report du scrutin et le départ des figures honnies du régime de Bouteflika. En attendant vendredi, la rue campe également sur ses positions face à l'intransigeance de Gaïd et s'emploie à le démontrer. Mais l'impression première qui se dégage semble être le décalage criant entre les deux parties, une sorte de malentendu permanent entre les demandes populaires et leur compréhension. A titre d'exemple, le vice-ministre de la Défense, en saluant le travail de la justice dans sa lutte contre la corruption, parle de certains cercles qui cherchent à hiérarchiser les priorités pour échapper justement à l'action judiciaire. Selon lui, ils prétendent que «le jugement des corrupteurs ne constitue pas une priorité, mais il y a lieu de le sursoir jusqu'à l'élection d'un nouveau président de la République qui se chargera de juger ces prédateurs», pourtant, cette demande n'a jamais été une demande expresse de la rue qui a évité d'interférer dans le travail de la justice, s'interrogeant seulement sur son impartialité. L'autre exemple est cet avertissement de Gaïd à propos des exigences irréalistes du hirak qui revendique le départ de tous les cadres et agents de l'administration. Encore une fois, les demandes de la rue, à ce titre, sont claires et ne sont ciblées que les «têtes de la bande», les hommes qui ont soutenu Bouteflika et son clan. Ces exemples démontrent qu'en l'absence d'un dialogue entre les véritables tenants du pouvoir et les représentants du Mouvement, qu'il faudra dégager en toute urgence, on est irrésistiblement entraîné vers le mur.