Peuple «libéré» ! : «Celui qui pense à ta place se nommait hier nationaliste, socialiste, islamiste, moderniste ; aujourd'hui il s'appelle réformateur, républicain, démocrate, défenseur des droits de l'homme et du citoyen ». Les mots changent mais les maux restent » Laboratoire de toutes les idées importées, l'Algérie semble avoir expérimenté pratiquement toutes les théories intellectuelles venues de toutes les régions du globe. Elle peut s'enorgueillir d'avoir pu démontrer de manière irréfutable l'inefficacité d'un certain nombre de modèles, présentés dans les années 60 et 70 comme les «clés du paradis socialiste», dans les années 80 et 90 comme les «clés du paradis céleste» et dans les années 2000 2019 comme les «clés du paradis fiscal». Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis l'indépendance à nos jours ont affirmé que le développement est l'unique but de leurs actions, mais ces dirigeants ne définissent nulle part de quel développement il s'agit, ne précisent jamais vers quel type de société ils entraînent leur population. Fascinés par le mode de vie occidental, les dirigeants algériens ont développé le mythe de l'accession prochaine à tous aux bienfaits de la société de consommation sous couvert de socialisme. Ce mythe justifie leur mode de vie et leur permet de concentrer entre leurs mains les ressources du pays et de décider de leur affectation en fonction de leurs intérêts stratégiques. La construction de l'Etat était l'effort le plus important, le plus immédiat, il fallait justifier ce choix dans un discours d'auto-légitimation. Le message exprimait une idéologie populiste qui masque la réalité, c'est-à-dire la puissance qui tend à rendre inutile la justification des hommes au pouvoir. Le socialisme, eu égard au contexte historique de l'époque, était une référence quasi obligée, du discours des gouvernants. Cela s'explique aisément, un régime dictatorial dépourvu de toute légitimité propre ne peut véritablement durer qu'en se réclamant du socialisme pour rompre avec le régime colonial et néo-colonial de type libéral. Le régime politique algérien se donne pour objectif de sortir le pays du sous-développement et de bâtir un modèle spécifique de société. Dans un système qui se construit du sommet vers la base, le dirigeant est paré de toutes les vertus par un discours euphorisant. «..le cadre doit être compétent pour réussir le pari économique, engagé pour construire le socialisme, intègre pour préserver les valeurs morales de l'islam, tout en sachant qu'il doit œuvrer aussi à consolider la stabilité de l'Etat». D'après la doctrine, le parti du FLN est l'unique dépositaire de la conscience nationale, ce qui signifie que personne n'est en mesure de mettre en doute sa légitimité. L'absence de débats et de critiques, en raison de l'absence d'enjeux scientifiques, les luttes n'opposent pas des écoles de pensée mais des clans. Elles mettent en jeu la domination des relais qui donnent accès à l'autorité. L'échec de la construction étatique du socialisme est manifeste : chômage, inflation, sous utilisation des capacités de production installées au prix d'un lourd endettement, et le poids écrasant du service de la dette extérieure. La fin du vingtième siècle a été marquée incontestablement par l'effondrement des idéologies matérialistes (socialisme et capitalisme) et le sursaut des religions monothéistes. L'extrême concentration du pouvoir politique dans le bloc socialiste a suscité le déclin du communisme. L'autorité des dirigeants des ex-pays socialistes reposait sur le mensonge idéologique, l'endoctrinement politique et l'embrigadement militaire. Ces dirigeants constituaient une minorité dominatrice qui ne s'intéresse qu'à sa propre survie et à ses gains personnels aux dépens de larges couches de la population. En Algérie, le nationalisme et le socialisme ont été malmenés par un islam renaissant. Nationalisme et islamisme apparaissent comme des visions diamétralement opposées à l'entité politique qu'est l'Etat. Pourtant l'islam a joué un rôle moteur durant la guerre de libération nationale. Mais les élites «nationalistes» considéraient la religion comme un moyen de mobilisation des masses et non comme une finalité en soi. Il ne faudrait pas non plus omettre de noter la volonté de la puissance coloniale de refouler l'islam dans le domaine privé pour en faire une valeur refuge des déshérités. C'est ainsi qu'après l'indépendance, l'islam devait s'effacer de la vie publique pour permettre la construction de «l'Etat national». C'est pourquoi les mouvements islamistes ont depuis longtemps rejeté le nationalisme comme le capitalisme comme instrument du colonialisme visant à détruire l'unité religieuse de l'islam. Ayant permis de parvenir à l'indépendance et d'amorcer un certain développement l'idéologie nationaliste et socialiste n'a cependant pas apporté le bien-être à tous, ni fourni les éléments constitutifs de l'identité. Le phénomène contestataire contemporain est le produit de toutes les tensions, les traumatismes et les frustrations accumulées durant ces dernières décennies. Les mouvements de protestation traduisent le désarroi d'une population privée d'idéal et de perspectives d'avenir dans un contexte de crise sociale et de contradictions économiques. La désillusion s'ouvre sur l'espérance religieuse. La sobriété est l'idéal de vie qui donne accès à la vie éternelle. Les sociétés traditionnelles n'ont aucun idéal consumériste et ne développent aucune idéologie productiviste. Les secours de la religion paraissent plus accessibles que le consumérisme moderne. Cette fascination pour le mode de vie occidental constitue au-delà des discours le principal moteur de la classe dirigeante. Ce mythe de l'accession prochaine de tous à la société de consommation joue un rôle politique important. Il justifie dès aujourd'hui l'imitation du mode de vie occidental par les classes dirigeantes et l'orientation donnée vers l'extérieur de l'économie algérienne. L'exportation des ressources énergétiques appartenant à la majorité permet d'importer des biens de consommation souvent réservée à une minorité. Le développement conçu comme une tentative de généralisation du mode de vie occidental sert donc de prétexte à la formation par l'intermédiaire de l'Etat d'une couche de privilégiés jouissant dés aujourd'hui de ce type d'existence promis à tous pour demain. Le boom pétrolier qu'a connu l'Algérie sous le règne de Bouteflika illustre parfaitement la cohabitation entre la permanence d'une misère morale endémique et l'existence de ressources financières abondantes. Le prix élevé du pétrole a structurellement pour effet pervers de perpétuer à l'infini le système mis en place. Il s'agit là d'un Etat clientéliste fonctionnant sur la base de loyautés qui ne requièrent aucune croyance dans les qualifications du personnel politique ou économique mais qui sont très étroitement associées à des incitations et à des redistributions matérielles. Ces dirigeants intéressés par les profits personnels oublient très vite qu'ils n'ont de pouvoir que le nom, les maîtres de la mondialisation appliquent aux pays du Sud des mesures qu'ils ne se permettent pas de mettre en pratique au Nord. Quand survient le chaos économique et social, la population se retournera vers ceux qui ne sont que «l'ombre du pouvoir ». Le pouvoir local, au lieu d'œuvrer pour le bien du peuple, agit bien souvent sous la tutelle des institutions internationales. La tragédie est que la population dans sa grande majorité ignore les véritables enjeux. Tout se passe comme si la population ne devait pas se poser légitimement la question suivante : «le climat social potentiellement explosif a-t-il une cause économique ? Si oui, comment générer une économie porteuse de stabilité sociale ? On ne doit pas se poser cette question, car cela risque de remettre tout le système en cause. C'est quoi donc une économie productive porteuse de stabilité ? C'est une économie locale tournée vers la satisfaction des besoins de la population locale et non d'un Occident en crise. La coexistence de la misère et de l'abondance devient chaque jour plus intolérante et l'on assiste à des pressions de plus en plus fortes à des revendications visant à une redistribution plus égalitaire des revenus. Des populations se sentant abandonnées à elles-mêmes, n'ont plus aucun intérêt à l'Etat. Le pouvoir ne leur apparaît plus crédible, il ne satisfait pas à leurs besoins. L'Algérie est-elle condamnée à la fatalité d'un pouvoir fort de la dictature ? La dictature, pour quoi faire ? Pour construire l'Etat? Pour assurer le développement ? On le prétend, mais elle ne bénéficie qu'à une infime minorité. Quant à la démocratie, qui la réclame ? Des intellectuels en mal de reconnaissance à la fin de leur carrière professionnelle ? Des anciens commis de l'Etat qui rêvent de revenir aux affaires avant de s'éteindre ? La génération de l'indépendance qui manque d'expérience dans l'exercice du pouvoir ? Une population infantilisée qui court derrière le sachet de lait produit à partir d'une poudre importée ? Des notables qui ne sont pas sortis du douar pour prétendre rentrer dans la cité ? Des leaders de partis sans ancrage populaire et sans convictions idéologiques ou religieuses affirmées vivant des subventions de l'Etat? Des affairistes qui cherchent à blanchir de l'argent mal acquis ? Des pseudo-industriels qui courent derrière une amnistie fiscale ? Des hauts fonctionnaires qui veulent se perpétuer dans leurs fonctions officielles malgré leur âge avancé ? Des jeunes universitaires qui veulent s'investir dans la politique pour s'accomplir et ou s'enrichir ? D'autres interrogations, la démocratie occidentale d'essence gréco-romaine n'est-elle pas une notion étrangère à l'histoire et la culture des sociétés maghrébines patriarcales décadentes ? N'est-ce pas un luxe pour un peuple qui ne survit que grâce aux subventions de l'Etat et des revenus distribués par l'Etat ? Cette dépendance totale de la société à l'égard de l'Etat providence n'est-elle pas un obstacle majeur à la construction d'une démocratie ? L'Etat est-il ce «veau d'or» qui résout tous les problèmes d'une élite sans âme ? Les hommes sont mortels. On peut faire taire sa conscience, échapper aux filets de la loi mais on ne peut éviter le châtiment divin. «La voix du peuple est le tambour de Dieu». Vox populi, vox dei.