Il est évident qu'à l'heure actuelle l'on ne peut trouver une issue à cette crise politique inédite où les oppositions (entre les pro et les anti) se sont cristallisées rendant impossible tout dialogue national. Il est nécessaire - sans intervention étrangère - de trouver un chemin afin que tout le «système dégage» mais aussi pour que cela se fasse pacifiquement. C'est, me semble t-il, dans cette perspective que NABNI «F(FJ», qui se définit comme «un collectif citoyen, indépendant, non partisan et mobilisateur», constitué d'Algériennes et d'Algériens «issus des générations postindépendance, du secteur public, du secteur privé, de la société civile et du monde académique, résidant en Algérie et à l'étranger», a rendu publique une plateforme de changement axée sur cinquante (50) propositions. Les rédacteurs avancent l'idée qu'il ne s'agit en fait que d'un «projet de plateforme» visant «à organiser un débat national, avec l'ensemble des forces du changement» autour du contenu et des formes de la transition du régime prévalent depuis 1962 au nouvel ordre politique que la révolution du sourire revendique depuis le 22 février 2019. Ils trouvent néanmoins que «cette revendication est paradoxalement absente, à notre connaissance, des propositions de transitions rendues publiques à ce jour. Et quand elle est évoquée, seules les figures de l'ancien pouvoir sont citées (el 3issaba) alors que le changement qu'attendent les citoyens est bien plus profond». Ce qui, à mon sens, est quelque peu exagéré car bien de textes ont circulé, notamment sur les réseaux sociaux, faisant preuve d'une maturation des débats et échanges dans les tissus urbains et universitaires où ils se déroulent tant sur le territoire national que dans les milieux algériens à l'étranger. C'est là où l'idée même de «plateforme» pose problème. Car en politique, une plateforme est, nous dit-on, «l'ensemble des idées sur lesquelles s'appuie un programme politique» même si c'est aussi un «lieu d'accueil des idées politiques où se discute la possibilité de leur mise en application». L'on pourrait ainsi reprocher à NABNI - un simple «Centre d'études» comme il en a existé et existent encore bien d'autres - d'empiéter sur les platebandes des partis politiques. Partis dont il s'approprie les mots d'ordre notamment à propos du refus des élections du 12 décembre ou de l'exigence de la libération des détenus politiques et d'opinion. Ce reproche se trouve néanmoins restreint par l'impossibilité programmatique dans laquelle se situent objectivement les oppositions politiques algériennes tant démocratiques qu'islamistes, incapables d'accoucher d'un programme d'union nationale allant dans le sens des attentes et aspirations au changement. Il se peut que cette initiative de NABNI serve de déclic; en cela : elle est non seulement la bienvenue mais surtout constructive. Ce que l'on nous propose c'est en vérité un chamboulement de l'ordre juridique et institutionnel faisant fi du timing des mises en œuvre des cinquante (50) «changements et contre-pouvoirs nécessaires pour démanteler les fondements du Système, ancrer la démocratie et ne plus jamais retourner à l'avant-22 février». Car ce dont il s'agit est la définition même de «l'objectif», de «l'enjeu central» de la transition et non son déroulement ; du pourquoi et non du comment (soit : «préalables, séquencément, échéancier, changement constitutionnel, etc.»). Sans préjuger de la réception que cette démarche pourrait provoquer (son angélisme, par exemple), il y a lieu de relever que la forte juridicisation des mécanismes de la transition à tous les niveaux et dans chaque sphère (civile ou militaire - modes de nomination, d'élections des hommes, organes et instances ou de leur révocation, leur contrôle ou leur supervision, etc,) s'inspire d'un modèle certes démocratique mais surtout centralisateur. Et non fédéral (à l'instar du Brésil ou la Suisse ou l'Allemagne ou la Russie ou les USA, etc.). Manque ainsi le schéma global du nouvel ordre qui, à mon sens, est au cœur du «comment la transition». A force d'insister sur les correctifs des travers du régime autoritaire algérien - liés non pas seulement aux legs des modes de penser et d'agir du mouvement national depuis sa naissance (avec l'Etoile Nord- Africaine) et aux conflits et divisions qu'ont généré les luttes pour l'exercice du pouvoir (tant pendant la guerre de libération qu'à l'indépendance, lors du coup d'Etat de 1965 ou après le décès de Boumédienne ou après Octobre 1988 ou l'assassinat de Boudiaf ou la décennie noire ou la conciliation nationale sous Zéroual et Bouteflika ou encore aujourd'hui), ces travers du régime autoritaire trouvent fondamentalement les racines de leur reconduction et perpétuation dans la nature rentière de notre économie ; et à force d'y insister NABNI manque quelque peu le coche en s'enfermant dans l'optique «centralisatrice» - celle-là même qui est au fondement de l'édification de l'Etat algérien. Avec 12 millions d'habitants et sur un territoire immense, sans cadres gestionnaires, sans médecins, une seule université, les dirigeants algériens - fortement divisés (malgré le Congrès de la Soummam et... sa plateforme) - ne pouvaient qu'adhérer au schéma juridico-institutionnel global hérité du gouvernorat d'Algérie tel qu'édifié par Paris et les colons. Face aux mouvements autogestionnaires dans les villes et les campagnes, ces dirigeants n'ont pas manqué une seule occasion pour y mettre fin... jusqu'aux nationalisations. NABNI aurait dû s'inspirer - comme l'avait fait Che Guevara, parcourant les terres algériennes pendant de longs mois - de ces modes de gouvernance issus des expériences concrètes de nos ouvriers et paysans. Avec 42 millions d'habitants, une jeunesse cultivée capable en restant unie à servir son peuple, le schéma «centralisateur» - reconduit ou réformé - ne peut plus suffire. Plus qu'une déconcentration des centres de décision induite par la nécessaire décentralisation des lieux du pouvoir - où tout un chacun, dans son lieu de travail ou d'étude, son lieu d'habitation ou de loisir... a son mot à dire - c'est avec un nouvel ordre étatique que la transition doit être pensée. Nous avons amplement besoin de revenir aux idéaux autogestionnaires des premiers pionniers de la construction de l'Etat et de l'économie à l'orée du recouvrement de notre indépendance. C'étaient nos pères et mères. Je voulais ainsi rappeler qu'au lieu de copier-coller (les démocraties occidentales évoluées), il valait mieux revenir aux sources : d'abord pensons avec notre histoire. (*) Economiste