Les participants à la réunion tenue, mercredi dernier, au moyen de visioconférence, par le Conseil de sécurité des Nations Unies, sur la crise libyenne, ont fini par reconnaître que les ingérences étrangères politiques et militaires en Libye sont d'une « absurdité cynique ». «Cynique», hypocrite, malhonnête, grossière, l'absurdité à laquelle ont conclu ces parties est de tout cela parce que ce sont ceux-là mêmes des pays qui dénoncent les ingérences étrangères et la présence de mercenaires de plusieurs nationalités sur les territoires libyens, qui alimentent en parallèle la crise en attisant son feu par le soutien politique, militaire et financier qu'ils accordent aux parties en conflit, chacune à part. La France, un de ces pays qui souffle le chaud et le froid dans ce sens, l'a pratiquement reconnu par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. S'il a plaidé, mercredi devant la Commission des Affaires étrangères du Sénat français contre «tout parti pris de Paris» dans le conflit libyen, Le Drian a dit « j'entends beaucoup de choses sur le fait que la France avait choisi le camp du maréchal Haftar, il importe de bien recadrer tout cela ». Repris par la presse, le chef de la diplomatie française a bien fait de «recadrer tout cela» parce qu'il a démontré qu'il y a véritablement un parti pris ou une grande hypocrisie dans la position française. «Nous appuyions l'armée nationale libyenne reconnue internationalement pour son combat contre Daech, non pas par des soutiens militaires très actifs mais par des conseils et par un soutien politique», a-t-il affirmé. L'ANL, faut-il le rappeler, est une armée composée d'anciens militaires mais aussi de mercenaires russes et autres africains, qui bombarde tout sur son passage pour prendre Tripoli, bastion des forces du Gouvernement d'Union Nationale (GNA) présidé par Fayez Esseraj, reconnu par les Nations Unies. L'on s'interroge sur quels conseils donne Paris à Haftar depuis qu'il a déclenché son offensive sur Tripoli. D'ailleurs, le ministre avoue qu'il y a eu «un changement de posture depuis le lancement de cette offensive» qualifiée de « ratée ». Evitant de préciser de quel changement s'agit-il, Le Drian a fait savoir qu'il a toujours discuté avec toutes les parties libyennes ( ) mais reconnaît que « c'est parfois des parties de poker menteur». Paris et «le poker menteur» Pour qu'il y ait des menteurs pour compliquer et entretenir la crise libyenne, il y en a, à tous les niveaux, particulièrement quand il s'agit de mettre les pays concernés devant leurs responsabilités. Annoncée avec de grands moyens diplomatiques et médiatiques, la conférence que Berlin a abritée, en janvier dernier, n'a été en fait, dans ce sens, qu'un coup d'épée dans l'eau. Ses recommandations n'ont jamais été respectées. Son appel pressant à l'arrêt des ingérences étrangères a été transgressé 24 heures à peine après sa tenue. Dans un de ces rapports, l'ONU a reconnu que des quantités importantes d'armes ont été acheminées en Libye au lendemain de la conférence en question. En mai dernier, un rapport d'experts onusiens a confirmé la présence en Libye de mercenaires étrangers, mais note ne pas «être en mesure de vérifier de manière indépendante l'importance de leur déploiement ni d'identifier leurs origines, encore moins de savoir leur financement». Durant la réunion de mercredi du Conseil de sécurité qui a regroupé les participants à Berlin, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a d'ailleurs dénoncé «un niveau sans précédent d'ingérences étrangères, en Libye, appelant la Communauté internationale à saisir toutes les opportunités pour débloquer l'impasse politique». L'ONU se dit très préoccupée par «l'accumulation alarmante de moyens militaires autour de Syrte», la ville que se disputent férocement les forces de Haftar et celles d'Esseraj. Accumulation qui s'est faite «(.. ) en violation de l'embargo sur les armes des Nations Unies, des résolutions du Conseil de sécurité et des engagements pris lors de la Conférence de Berlin sur la Libye», a précisé Guterres. Assurant la présidence tournante du Conseil de sécurité, l'Allemagne, par la voix de son chef de la diplomatie Heiko Maas, a proposé de créer «une zone démilitarisée» autour de la ville de Syrte «à défaut d'un accord de cessez-le-feu durable». Le secrétaire général de la Ligue des Etats arabes, Ahmed Abu Al-Gheit a appelé, pour sa part, à «la reprise du dialogue national entre Libyens leur permettant de parvenir à un règlement de la situation dans le pays avec ses voies de sécurité politique et économique». Le secrétaire général de l'ONU a avoué qu'»un représentant de l'ONU faciliterait grandement les efforts de la Mission d'appui des Nations Unies en Libye», mais s'est abstenu de dire pourquoi certains pays comme les Etats-Unis entravent-ils toute nomination à ce poste depuis la démission en mars dernier de Ghassan Salamé. L'incapacité de l'ONU à désigner un représentant pour la Libye Le MAE algérien l'a d'ailleurs sous-entendu, en lançant que «nous espérons que le SG de l'ONU aura enfin son mot à dire sur cette question, et avec notre soutien et le soutien de la Communauté internationale, et celle des Etats voisins, ( ), un bon signal pour la reprise tant attendue». La réunion du Conseil de sécurité de l'ONU n'a rien apporté de nouveau qui puisse changer la donne dans cette région. Ses participants ont réitéré des appels que l'Algérie a toujours lancé à savoir la fin des ingérences étrangères et le retour à la table du dialogue. Son MAE l'a rappelé en plaidant pour « une solution politique à la crise basée sur le respect de la souveraineté et l'unité du peuple libyen ainsi que de l'intégrité territoriale de la Libye ». Cette approche de l'Algérie, «à laquelle adhèrent toutes les parties libyennes» a dit Sabri Boukadoum «est basée sur l'arrêt de l'effusion du sang, le dialogue comme seule et unique voie de règlement de la crise conformément à la légalité internationale, aux conclusions de la Conférence de Berlin, et dans le respect total de la volonté souveraine du peuple libyen». Alger a souligné par la voix de son ministre « la contribution de l'Union africaine (UA) au règlement de la crise libyenne en établissant, en janvier, une feuille de route en vue d'organiser durant l'année 2020, une conférence inter-libyenne» Tous connaissent les pays qui narguent ceux qui veulent véritablement régler cette crise avec à leur tête l'Algérie. Le Drian fait part d'une «entente» entre Paris, Rome et Berlin à ce propos mais ne dit pas pourquoi ne sont-ils pas arrivés à convaincre de leur «volonté» de vouloir mettre fin à la guerre. La France, la Russie, l'Egypte, l'Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis ont toujours soutenu Haftar qui veut être intronisé comme chef suprême de l'armée libyenne et pourquoi pas chef de l'Etat. Des observateurs affirment que ces pays et d'autres veulent empêcher la Libye de produire et vendre son pétrole pour priver le GNA d'Esseraj de financer ses activités et assurer les salaires des travailleurs. L'Egypte a même menacé d'intervenir militairement pour empêcher les forces d'Esseraj de pénétrer les régions de l'Est libyen sous contrôle de Haftar. Les guerres en Libye sont loin d'être finies.