22ème partie Pauvre Algérie, mon pays bien aimé, chère terre natale, en plus des souffrances et de l'oppression coloniale te voila encore soumise à d'autres fléaux, la guerre, la sécheresse, la famine, les maladies et la mort pour couronner le tout. Les épreuves sont révélatrices de l'endurance, de la patience, de la sagesse mais aussi de l'égoïsme et de la lâcheté. Ras El ma n'était pas seulement sous l'emprise de la légion et de celle de son curé, la misère antérieure déjà affreuse n'avait fait qu'empirer à cause de la guerre et de tous les fléaux. Les Algériens s'étaient encore appauvris davantage, la mendicité battait son plein. Les fiers nomades et les commerçants vivaient au rythme d'une guerre ravageuse et dont les conséquences négatives allaient au fond de chaque maison, de chaque tente au cœur de la steppe. «Une noble mission»fut confiée dans l'intervalle aux militaires de la garnison Ils devaient garder des milliers de juifs déportés à Ras el ma par le régime de Vichy qui y créa les camps de travailleurs Israélites, venant de tous les coins d'Oranie. Chaque bord avait sa part de vertus et de noblesse qui lui revenait naturellement ou celle de la bassesse, de la lâcheté et de l'inhumanité dans leurs expressions les plus viles. Ce fut l'occasion pour la population musulmane qui malgré ses innombrables difficultés et sa pauvreté de manifester sa solidarité dans la mesure de ses modestes moyens. Cela donnait chaud au cœur de tous ces malheureux injustement éloignés de leurs familles. Un soir mon père heureux d'avoir retrouvé les siens, alors qu'en ma compagnie nous rentrions chez nous, il entendit malgré lui des juifs dont des femmes qui se lamentaient. Malgré leurs moyens financiers ils ne trouvaient pas de pain et le peu de choses qu'il y avait à vendre ne pouvait les intéresser. Il fit demi tour, se découvrit en enlevant sa chéchia par politesse, il leur dit : «Je vous demande pardon, car malgré moi, je vous ai entendu parler de pain. voulez vous patienter quelques instants» puis il ramena du pain- maison du jour, du beurre frais, des œufs, des dattes. L'une des femmes se hasarda a lui en demander le prix, ce qu'il n'apprécia guère en lui répondant : «Mon père m'a appris à ne jamais encaisser le pain, ai-je l'air d'un boulanger ambulant madame ?». Devant la joie débordante constatée pour si peu de choses pour leur valeur matérielle et dans un élan de générosité il les invita tous à souper chez nous le lendemain. Le hasard de la vie avait voulu que l'un d'entre eux fut un homme politique important auparavant, ce que mon père ignorait jusque là. Il s'agissait de Mr Ben Guigui vice-Président du conseil général d'Oran de tendance socialiste et négociant en cuir. Pour embarrasser l'abbé Perrin, mon père le pria vainement de venir partager ce repas. La délicatesse de nos convives valut quelques friandises à l'enfant que j'étais. L'antisémitisme c'était aussi les insultes et les brimades des pieds noirs contre Jacob et Mémou les forgerons, Alfred le coiffeur, Elie l'épicier et d'autres juifs encore. Sa dimension en bonne partie, française faite de lâcheté et de compromission s'était propagée très vite chez beaucoup de français d'Algérie toujours prédisposés aux contaminations politiques hideuses mais il n y avait pas matière a étonnement la majorité écrasante des français était pétainiste et rapidement soumise à l'occupant allemand. Au cours du repas qui s'était déroulé dans une ambiance conviviale il a été abondamment question de tout cela. L'attitude des algériens s'avérait pleine de dignité. Ils restaient fidèles a leurs traditions d'hospitalité et de tolérance vis-à-vis des juifs comme le furent leurs aïeux au moment de l'inquisition en Espagne qui fit fuir des milliers d'entre eux qui furent accueillis en Algérie entre les 12ème et 16ème siècles. Cependant Aissa sans être désobligeant, fit remarquer que les liens régnant entre les communautés musulmane et juive ne trouvaient pas leurs prolongements naturels et logiques sur le terrain de la revendication politique ou les musulmans étaient seuls a lutter. L'un des convives fit remarquer que l'antisémitisme existait depuis longtemps en Algérie mais que fort heureusement il était insignifiant chez les musulmans. Il demanda son point de vue à mon père sur les événements de Constantine d'Août 1934 et sur cette question en général. Comme ce problème lui tenait à cœur il lui exposa son point de vue découlant de réalités et de certitudes établies. Le mouvement anti juif en Algérie a effectivement débuté au sein de la droite depuis le décret Crémieux attribuant la nationalité française collectivement aux juifs algériens. Ce fut d'abord une première campagne contre ce décret. Il y eut un mouvement anti juif significatif de 1895 à 1902. En juin 1921 des incidents violents eurent lieu durant 3 jours à Constantine. Les attaques anti sémites du journal la Tribune suscitèrent des réactions et des manifestations de la part des Israélites qui furent dispersés par les Zouaves d'où des contre- manifestations dans toute la ville et aussi une intervention énergique de l'armée pour calmer les esprits. La responsabilité de ces faits incombait totalement aux réactionnaires de la droite. Le 3 août 1934 des événements douloureux eurent lieu, le zouave Kalifa Eliaou maître tailleur d'origine juive, en état d'ivresse a insulté des musulmans qui faisaient leurs ablutions dans la mosquée Sidi Lakhdar. Il injuria le prophète Mohamed, la religion musulmane et profana le mur de la mosquée avec son urine. Ces faits ont été formellement établis. Il fut poursuivi et les musulmans jetèrent des cailloux contre les fenêtres de son habitation sise au quartier juif. L'antisémitisme avait 2 porte- voix acharnés et persévérants à travers 2 journaux violents l'Eclair et Tam-Tam a tirages réduits certes mais ayant une capacité de nuisance significative puisque ils réussirent a entretenir et a développer l'antisémitisme si l'on juge par une campagne concertée et particulièrement violente en 1934, inspirée par la droite et les colons. Ils voulaient la mort des juifs en termes explicites qu'ils rendaient responsables de la crise et de la misère. A suivre