34ème partie Les paysages humains, riches et variés de l'Algérie n'existaient pas aux yeux des tenants de l'ordre colonial. Seule «leur Algérie» à eux existait et rien qu'elle. Leur appréhension des réalités était réductrice. L'idéal qui a été réalisé par la grande civilisation arabo -musulmane était méconnu occulté, ignoré, totalement effacé de l'histoire. Même si chez l'homme musulman la place du sacré est essentielle, importante, il réalise l'équilibre entre le céleste et le terrestre. Nul ne peut à lui comme à tout autre contester sa place dans une humanité à la fois si intéressante et tellement diverse. Dans cette infime parcelle de l'humanité qu'était Ras el Ma, mon village natal bien aimé que de choses a apprendre à condition de regarder, de voir, d'entendre, de réfléchir, de comprendre et de méditer. Avec le recul du temps je me dis fréquemment en pensant à certains acteurs de la scène du théâtre du grand Bourg de Ras el Ma, l'abbé Perrin, les soldats de la légion étrangère, et autres militaires, les colons vaniteux et aveugles étaient plus a plaindre qu'à blâmer, s'ils n'avaient été co-auteurs de tant de drames. Ils ont raté l'occasion d'apprendre tellement de choses des hommes de ces lieux. D'abord auprès des fiers nomades qui étaient indéniablement prestigieux. Comme endurcis, ils avaient le mérite d'être aussi des hommes d'initiatives si non comment évoluer dans les steppes et le désert, se battre contre une nature ingrate et difficile. Le sens de la parole donnée, celui de l'hospitalité, l'amour de la poésie, toutes ces vertus assemblées ont fait d'eux des poètes et des guerriers. L'idéal des bédouins traverse tout le monde arabe d'Orient au Maghreb. Puis dans toutes nos vieilles cités urbaines au passé prestigieux dont certaines furent exceptionnelles et où la tolérance exprimée au plus haut degré par la cohabitation entre musulmans et juifs fut exemplaire avant comme après l'inquisition en Espagne qui a contraint un bon nombre d'entre eux à fuir en Algérie, précisément dans des villes ou ils furent acceptés et intégrés sans hésitation aucune. Dans cette chaîne géographique et civilisationnelle d'envergure allant de Bagdad à Cordoue, il y avait plusieurs maillons algériens, Constantine, Bejaia, Alger, Tizi ouzou, Blida, Ras El Ma, Cherchel, Chlef,Tenes, Mostaganem, Mazouna, Oran, Sidi Bel Abbés, Tlemcen, Nedroma, Mascara, Tiaret, Laghouat, Ghardaia, qui ont joué un rôle aux grandes époques de notre histoire commune, ou encore qui ont une histoire qui leur est propre. Au moment même de l'invasion française, la bourgeoisie de ces villes était vivace n'en déplaise à nos agresseurs. Son tort, comme celui de l'aristocratie rurale qui existait, la dispersion, la discrimination, les rivalités et pourtant en leur temps les hommes d'envergure ne manquaient pas. D'ailleurs les Oulémas, les négociants et les commerçants les plus avertis de Ras El MA étaient originaires en majorité de Tlemcen. Lorsque la France a occupé l'Algérie, il y a eu plus de réactions contre elle que de compromis avec elle. Les pertes en vies humaines et matérielles et plus encore la durée de la conquête, malgré la disproportion des forces et sans oublier la puissance militaire de la France, son expérience des guerres incessantes qui jalonnent son histoire, mise une fois de plus au service d'une mauvaise cause. Si l'on fait la comparaison avec l'invasion et l'occupation de la France par l'Allemagne, on constate à l'évidence qu'il y a eu plus de complices français que de victimes. Fort heureusement pour l'honneur de la France et celui de son peuple il y a eu la résistance qui a atténué quelque peu les effets de la politique de Pétain sans pourtant effacer certaines taches indélébiles, comme le fait de livrer à l'Allemagne nazie des juifs de nationalité française donc ses propres ressortissants et aussi des juifs non français résidant en France. Toutes les valeurs authentiques du peuple algérien et son histoire millénaire n'ont suscité qu'indifférence et mépris. Un tel paysage humain et la trame de l'algérien, ni meilleur, ni pire qu'un autre homme n'allait pas seulement susciter quelques indices ou des signes sans lendemains. Le nationalisme allait évoluer, progresser et se fortifier entre les 2 guerres en puisant son élan, ses hommes et ses forces dans la bourgeoisie comme dans le monde rural tout simplement partout. Les choses étaient très claires pour nous : un peuple en mouvement vers son destin et a chaque génération nous étions toujours fidèles à nos pères et nos aïeux, mais de plus en plus exigeants. Un nouveau type d'homme se forgeait, déterminé plus que jamais a arracher la liberté. Les épreuves et les drames en série n'ont pourtant rien bloqué. Au contraire ils contribuèrent a accélérer la décomposition et a générer des réactions dans l'intérêt national algérien. Réduire notre identité et notre personnalité, mais refuser l'accès à l'école, au savoir, à l'égalité, à la démocratie nous refuser tous les droits en nous imposant toutes les charges et plus que cela encore envoyer nos enfants mourir pour des causes qui ne furent pas les nôtres, ne pouvait durer l'éternité entière. La supériorité militaire de la France, ce pays qui bat les records mondiaux probablement par le nombre de monuments aux morts, puisqu'il y en a un dans tous les villages, même s'il elle s'avérait non négligeable nous paraissait impuissante a la longue devant une arme qui restera toujours supérieure à toutes les autres : la soif inextinguible de liberté, de démocratie, d'indépendance, de justice. La suite des événements allait le montrer amplement que de réputations se sont effondrées en Algérie. Qui allait se souvenir de tous les tyrans des peuples, n' y a-t-il pas des généraux et des ministres à profusion à l'époque de l'éminent savant Pasteur ? autant ce nom sera respecté l'éternité entière autant les tyrans notoires ou inconnus seront méprisés -honnis. Telle est la puissance de la vie, elle apparaît comme une force irrésistible indomptable qui défie la puissance et l'arrogance des systèmes les plus passionnés qui entraînent les nations dans des aventures sanglantes. Napoléon qui fut au sommet de sa gloire, Hitler et son nazisme, Mussolini et son fascisme pour ne citer qu'eux ont coûté très cher à leurs peuples respectifs et à l'humanité. Ces hommes ont connu de tristes fins et leur orgueil sans limite a fini par les détruire. Jamais rien de bon de ce qui plait a l'homme ne peut résulter à la suite de leur tumulte. A suivre