Crime contre l'humanité mais d'abord crime, bon gré mal gré, par ses forfaits, imposant au peuple algérien l'abaissement, l'avilissement systématique, le servage de tout ce qui n'était pas spécifiquement humain qui cependant a donné jadis à la civilisation universelle la sereine sagesse, la générosité des grands hommes profondément humains, ces grands civilisés, n'auraient dont été dans l'histoire que des accidents? De tous les jardins des supplices de la France coloniale, celui du Camp de La mort de Sidi Ali touche le plus directement parce qu'il est situé dans le Dahra, parce que c'est là que le plus grand nombre des nôtres ont subi le martyre et l'humiliation. Ce qu'on racontait des horreurs du camp de Sidi Ali paraissait invraisemblable. Légendes, hallucinations, étalage spectaculaire auxquels se complaisaient ceux qui tenaient à se faire gloire des souffrances des autres? Il fallait des témoignages. Mais je n'en connais pas de plus émouvant ni de plus probant que celui que nous a rapporte. Hadj Ali Cette valeur exceptionnelle du témoignage d'un de ces hommes pour qui le monde extérieur existe et aussi le monde moral, qui a une conscience. Les survivants des camps de la mort ont souvent de grands problèmes à raconter leurs histoires justement parce que la perception du grand Autre comme espace symbolique logique dans lequel leur adresse pouvait s'inscrire s'est effondré. Ainsi même aujourd'hui, les survivants sentent le manque de l'Autre qui doit témoigner de leurs témoignages. Il semble difficile d'imaginer qu'une personne s'invente une mémoire de survivant, Le fait de retrouver la mémoire pour ces rescapés est perçu comme la révélation de la vérité cachée, qui lui apporte la libération. Peut-être a-t-il cependant souffert de sa détention plus que bien d'autres, il est l'un des hommes les plus raccommodés de cette détention qui l'aura marqué à tout jamais. Des hommes sont passés d'un monde serein à un ce enfer... « Ah ! Mon cher ami, me dit-il se sont des souvenirs que personne ne peut oublier, et cela me rappelle deux compagnons de cellule disparus à jamais, avant que l'on me transfert au camp de point zéro pour subir les pires tortures et l'avilissement par des sadiques. On était alors le jouet des forces maléfiques, des pensées parasites, des idées fixes, obsédantes, qui vous conduisaient fatalement vers l'inutile révolte, vers le désespoir sans issue... » On le devine, en effet, ce cauchemar du passé dont le contraste avec le présent était trop cruel mais l'espoir nous a permis de garder l'espérance et de vivre jusqu'à la libération. J'ai connu un certain Tahar à la différence de tant d'autres, il a su se garder de la tentation de chercher les effets « littéraires », de s'essayer aux morceaux de bravoure et d'éloquence. Ce qu'il a voulu, ce qu'il a fait, c'est nous apporter un témoignage nu. Des souvenirs ! Affreux souvenirs, le travail, n'était-ce pas le seul dérivatif, le seul moyen d'oublier l'atroce cauchemar, l'évasion, non vers le passé, mais vers l'avenir ? Excellent observateur du visage humain et des scènes de la vie sociale, observateur sarcastique, parfois délicieusement tendre, mais souvent amer, comme seuls le sont les tendres, il semblait dédaigner la lumière quand il était plongé dans la pénombre d'un cachot que je ne reverrais plus et dont le souvenirest resté gravé. C'était dans un sens les années de la grande souffrance, mais c'est aussi une délivrance, à la différence que personne n'en parle, car ceux qui sont passés par le camp de la mort et qui ont survécu sont rares. Ce long chapitre est le plus dramatique de ma vie et ne sera pas le dernier, et c'est grâce aux quelques fidèles compagnons que j'ai survécu, et comment je n'en sais rien, mais je crois que c'est tout simplement un miracle Au plus profond de mes misères, emmuré vivant dans cette abjecte et morne géhenne, où tout n'était que dégoût et souffrance, au milieu de cette lamentable humanité, qu'on eût dite enfantée par l'imagination pour les victimes de la plus innommable des barbaries, mais aussi de haine et de ressentiment pour les monstrueux bourreaux. Ces longs mois d'angoisse, d'horreur, cet interminable cauchemar, même en souvenir ou en mémoire il est difficile de le revivre, car il y a toujours ces visages présents même aujourd'hui, j'ai beau essayer de les effacer je n'arrive pas et je les revois. Parfois quand on me pose des questions sur l'enfer que nous avons vécu, je me dis à quoi bon étaler ses souffrances, pour s'en glorifier, s'en faire un piédestal, prendre figure de martyr alors que d'autres y ont laissé leur vie? Cela ne me semble ni très opportun, ni très digne, surtout au moment où régnaient encore tant de misères, où s'éternisait la guerre. Habib Baghdadi né le 24/07/1910 (100 ans), résidant à douar Ouled Tahar : est un rescapé du camps de la mort de Sidi Ali (ex(Cassaigne) Saadi Abdelkader né en 1929, Baghdadi Belhadj né le 28/05/1940, sont des rescapés quant à eux de Gharr Sbih le 15/11/1957, où 104 chahids furent gazés par l'armée coloniale française M'chounèche, Berrouaghia, Boghar, Les Cinq Palmiers, Paul Cazelles, Point Zéro, Djeniène Bourezg, Bossuet… Des noms de lieux chargés de drames et aujourd'hui oubliés de tous. Massacres, extermination massive de tribus, déportations, rapts de femmes et d'enfants utilisés comme otages, vols des récoltes et du bétail, incendies, destructions des vergers. Le calvaire de l'Algérie colonisée ne peut être pensé que sur le mode du génocide et de l'ethnocide. L'amnésie a été longue et les souvenirs sont restés enfouis dans les mémoires de ceux qui ont vécu les atrocités des bourreaux. Les Algériens résistaient à la peur, à la haine et la répression aveugle d'une machine de guerre redoutable. Les populations rurales étaient soumises au feu et au fer de l'infanterie, du napalm et de l'aviation, les Zones interdites vont s'étendre à toute l'Algérie ; après les Aurès, elles gagneront le Le Dahra, Cinquante sept années après l'indépendance de l'Algérie, que reste-t-il des camps de concentration implantés un peu partout dans le pays durant la guerre de Libération nationale qui a fait un million et demi de martyrs et déplacé des millions de personnes. L'Algérie était un immense camp de concentration à ciel ouvert, encerclée à l'est et à l'ouest par les lignes Challe et Maurice, électrifiées et minées. Et a à cette occasion nous n'oublierons pas de citer Port Gueydon, la ferme Ameziane, la ferme de De Jeanson, Ouled Attalah, Saint-Leu, Aïn-El- Amara, Guelt-Es-Stel, M'sila, Aflou, Aïn-Sfa, ceux de Djorf, Aflou, Bossuet et Saint-Leu, les camps noirs comme Cassaigne n'avaient aucune existence officielle. Des camps où des crimes horribles ont été commis par des officiers de l'armée française leurs cadavres abandonnés Comment évoquer le camp de la mort des «Carrières» de Cassaigne aujourd'hui Sidi Ali, le deuxième de son genre à cette époque-là après celui de Ouagadougou au Burkina Faso. Le choix du site n'a pas été fortuit puisque ce camp de la mort unique en son genre à l'ouest du pays édifié sur les vestiges d'une carrière désaffectée, surplombait les grottes en contrebas et rendait pratiquement impossible toute tentative d'évasion. En sus du quartier des hommes, il y avait 9 cellules individuelles pour le passage à tabac, la gégène, la bassine de nuit, l'eau savonneuse, l'arrachage à vif des ongles et de la dentition, la brûlure au fer à repasser, la fructification, une aile était réservée aux femmes qui subissaient toutes sortes d'humiliations, sévices corporels, tortures et viols. La liste des martyrs de la Révolution est évidemment non exhaustive, ces héros n'ont été cités qu'à titre d'exemple, puisque à lui seul ce camp enregistre 3 300 martyrs dont 600 ont été jetés, parfois même vivants, épuisés par les tortures et agonisants, dans un puits limitrophe et sur lequel a été édifié une stèle en 1984 à la mémoire des disparus. Mais la mémoire est courte, pour nos historiens, et pour tous ceux qui de tout temps essayer de semer le troubles dans l'esprit, prenant à parti l'histoire pour exclure les plus dramatiques pages, et régionaliser celle-ci s'accaparant celle-ci pour mieux la tronquer