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Un témoin occulaire parle des massacres du 8 mai 45
HADJ BELKACEM BENZAZA EX-MILITANT DU PPA, AUJOURD'HUI, AGE DE 90 ANS, SE CONFIE A REFLEXION
Publié dans Réflexion le 08 - 05 - 2012

A l'occasion de la commémoration du 8 mai 1945, nous avons eu le privilège d'interviewé l'un des acteurs vivants et qui est âgé de plus 90 ans et qui n'est autre que Hadj Belkacem Benzaza, un ancien militant du PPA, qui a bien voulu témoigner sur la barbarie perpétrée contre les populations algériennes de l'Est, par la France coloniale durant ce mois.
Selon lui, c'est à partir du 8 mai 1945 que tout à basculé, car il est clair que cette tragédie est une infamie et que les populations des villes de Sétif, Guelma est Kherrata ont connu le pire de par les exactions commises par la France coloniale. La répression aveugle a renforcé la détermination de tout le peuple algérien dans son ensemble et renforcé le nationalisme qui le cimentera, pour se préparer au cambât libérateur de 1954. Juste pour rappel le général Duval avait dans un rapport qu'il avait écrit aux plus hautes instances de l'état Français : « Je vous ais un répit de 10 ans, mais il ne faut pas se leurrer ». Cette fameuse expression résume à elle seule les appréhensions de ce général qui a été jusqu'au bout de la répression contre un peuple désarmé.
Ref : Que pouvez vous justement nous dire, sur le 8 mai 1945, que ce soit pour Mostaganem ou pour les massacres qui se sont produits à l'Est du pays ?
Hadj Belkacem Benzaza : Vous savez le 8 mai 1945, a été un drame qui a marqué tout le peuple Algérien sans exception, et a été une infamie commise, par un pays qui se déclare des droits de l'homme. Lorsque l'on se remémore, dit-il en soupirant, l'intensité de ce moment particulier ne peut être décrite, l'évoquer dans sa réalité est douloureux, de par l'horreur pour se rappeler au souvenir des victimes algériennes qui font partie de nous. A Mostaganem ces évènements ont été ressentis comme un séisme alors qu'on s'attendait à ce qu'il y ait du nouveau de par les promesses faites en cas de victoire contre les Allemands, mais on savait d'après le climat d'incertitude, que la France ne tiendrait pas sa promesse et qu'elle ne cessait de nous mener comme on dit en bateau, car dès le 1er mai 1945, les choses allaient se précipiter, et il est important de narrer un tel évènement dans le respect de sa chronologie. Il ne faut pas oublier que ce 8 mai 1945 n'est pas tout à fait fortuit, du fait de l'ampleur des manifestations qui se sont produites, surtout à Kherrata, Guelma et Sétif, d'où les 45000 victimes de l'infamie et de la tuerie, et ou la barbarie Française avait dépassé tout entendement. Dans l'histoire de l'Algérie, cette date ne nous aura pas seulement marqué mais bouleversé à un tel point que personne ne pouvait imaginer notre état d'esprit , car il faut que la génération sachent à quoi s'en tenir, figurez vous 45 000 victimes ce n'est pas une dizaine ou une centaine et nous avions ressenti cela comme une provocation et un asservissement de la part de l'autorité coloniale , nos cœurs saignaient, et toutes nos tentatives étaient vaines de par la tournure des évènements qui ont endeuillé le peuple algérien, parce que l'on a osé manifesté pacifiquement pour revendiquer le droit à la liberté et à l'indépendance telle était la récompense. Revenir à cette date fatidique, il y a lieu de remonter le temps et avec mon âge il arrive parfois que le flot de souvenirs me submerge en repensant aux épreuves traversées par ces familles et ces citoyens qui étaient nos frères et qui ont subi les affres de l'injustice et de la répression féroce et inhumaine. On peu dire que le 8 mai 1945, a été le déclic pour les nationalistes et la marche pour la libération du pays, en somme le prélude de la révolution de 1954.
Ref : Pouvez vous nous dire comment vous avez vécu ce 8 mai 1945 à Mostaganem?
Hadj Belkacem Benzaza : Avant de revenir, au 8 mai 1945, il faut que les gens sachent que celui-ci n'est pas venu par le simple fait d'une baguette magique, il y avait déjà les prémices d'où la préparation active dans les rangs du PPA, bien avant ce tragique mois. Pour la ville de Mostaganem, les manifestations commencèrent le 1er mai 1945. Ce jour là, les dockers menés par les communistes, s'étaient réunis sur la place de Tijditt qui était le fief du nationalisme et qui seront rejoint aussitôt par les militants du PPA qui encadrèrent toute cette foule qui attendait le feu vert pour se lancer dans une marche vers la sous préfecture dans le cadre de leurs revendications. Cependant, on lisait sur les banderoles « libérez Messali Hadj et constituante algérienne souveraine. Cette manifestation des travailleurs deviendra vite politique. Le cortège des manifestants, sera précédé par deux jeunes dénommés Abdellah Bendani et maazouz Belaidouni des adolescents à peine âgés de 15 et 16 ans des scouts musulmans algériens Groupe El Fellah qui a été comme on le sait l'école d'où sont sortis la majorité des personnalités nationalistes de cette ville. Le cortège des manifestants empruntera la rue Merzoug Salah (Kadous El Meddah), pour arriver à la porte Medjahers, qui était un marché à l'époque et ou l'on trouvait de tout dans le style decelui d'Ain Sefra. Nous n'étions pas nombreux au départ, mais plus on avançait vers le centre ville plus les citoyens nous rejoignaient et les rangs grossissaient au fur et à mesure. Ce cortège des manifestants si ma mémoire est bonne, était mené ce jour là par les militants nationalistes de la première heure et de personnalités très en vue parmi eux, il y avait Hadj Mohamed Benzahaf, Hadj Mohamed Belahouel, Hadj Mohamed Mezadja, Hadj Djelloul Nacer, Fellouh Meskine Benaissa Aek, Ahmed Berber Slimane Berbère, Laredj Malti, Larbi Benyagoub, Ould Aissa Belkacem, Benyahia Belkacem ainsi que d'autres et toutes ces personnes ouvraient la marche. Arrivés à la place du 1er novembre 1954 aujourd'hui « ex la république » les manifestants se massèrent devant la sous préfecture. Ce jour là les forces de police de l'autorité coloniale ne purent contenir tous ces manifestants venus nombreux, d'où les débordements qui s'en suivirent ça et là mais cela ne nous découragea pas car l'on était décidé. La police attendait de pied ferme, formant un cordon de sécurité, mais ne pût contenir cette foule immense et en colère, qui s'immobilisa devant la sous préfecture en scandant :(Vive l'indépendance et Libérez Messali). La surprise était totale pour l'administrateur et les autorités présentes de l'administration Française, l'appel au calme ne pouvait ni servir, ni arrêté les manifestants déchaînés et en colère. Face à la foule de manifestants déchainée, le sous préfet Frène nous demanda de désigner des personnes pour nous représenter, mais ce fut peine perdue, car à un moment donné un des manifestants traitera le sous préfet de menteur et de fasciste, cette réplique non attendue a été considérée comme un manque de respect envers une autorité de l'Etat, pour qualifier cette masse humaine qui défiait l'autorité Française d'immonde. Ce qui n'intimidera pas pour autant la foule, parce qu'il se retirera en silence, ce coup de force de la population fut considéré comme un défi à l'autorité coloniale et fera que les manifestants seront sévèrement réprimer, par les forces de l'ordre Françaises, cependant une telle action aura démontré que tout était possible, et que la foi pouvait soulever des montagnes comme on dit. Cela s'est produit le 1er mai comme quoi, que cette première manifestation était le prélude de ce qui allait se produire par la suite et personne ne pouvait deviner que ce mois de mai 1945 qui sonnait la libération par la victoire des alliés sur l'Allemagne Nazi, et ce grâce à la participation des Algériens et des Africains, serait sanglant et d'une férocité sans pareille pour les algériens à la place de sa promesse mais comme l'avait si bien dit Messali ce n'était en faîte qu'un leurre et le 8 mai 1945 sera la preuve que la France était contre toute idée d'indépendance. Ce premier mai comme je viens de le dire, ne sera que le commencement, car s'ensuivra d'autres manifestations le 3 mai à Ksar Chellala et le 5 à Saida qui seront tout autant réprimées par l'administration française. Ce 8 mai 1945, je me rappelle, à Mostaganem la tension était tendue car lorsque que l'on a été informé de l'horreur commise par la France contre nos frères cela a fait naitre une solidarité à toute épreuve avec les victimes de cette barbarie. Et comme toujours Mostaganem a toujours été au rendez vous, avec l'histoire, quelque soit le moment, ou l'époque pour être marquée par cette triste journée. Des rassemblements se feront au niveau de la Place Souika de Tijditt et des associations et mouvements pour crier leur indignation. Ce 8 mai 1945 de nombreuses actions seront entreprises par des militants et à ce propos nous citerons le chahid Meskine Fellouh, qui à la veille même du 8 mai 1945 avec Seghier Tahar et son frère Belmehel, avaient organisé une opération contre la Ferme Du docteur Lamarque à Sayada (ex Pélissier) pour le délester de ses armes, malheureusement ils seront surpris par des gardes, qui ouvriront le feu sur eux On aurait dit qu'ils avaient deviné ce qui allait se passer le lendemain. Meskine Fellouh sera blessé à la poitrine, mais réussira cependant à fuir avec ses camarades qui le ramenèrent chez lui, N'empêche qu'il sera arrêté par la suite lors des manifestations du 10 mai 1945, sans que les autorités Françaises puissent s'apercevoir qu'il était blessé. Il sera soigné dans sa cellule par son compagnon Hadj Mohamed Benzahaf, arrêté lui aussi en même temps que lui et incarcéré, c'est lui qui lui prodiguera des soins de fortune parce qu'il n'y avait aucun nécessaire pour soigner une telle blessure et c'est par miracle qu'il guérira, il tombera au champ d'honneur plus tard. Il est clair que les massacres du 8 mai 1945, ont secoué la communauté internationale et a été la phase ultime pour le peuple qui avait ressentit cela comme une trahison, car suite à ces massacres, les communications étaient devenues difficiles et le pays était quadrillé, voire partager car on ne voulait qu'aucune information ne filtre afin d'isoler les régions de l'Est de peur de la contagion qui pouvait se propager à L'Ouest et au reste du pays, du fait que tout était contrôlé par les autorités coloniales. Cependant cela ne nous a pas empêché d'organiser une autre manifestation le 10 mai 1945 à seulement deux jours d'intervalle, mais celle-ci sera réprimée, par l'armée française qui avait déployé un dispositif militaire des plus draconiens. Plus de 201 personnes, seront arrêtées dont plusieurs cadres et militants du PPA, à savoir Hadj Mohamed Bezahaf, Hadj Mohamed Belahouel, Hadj Mohamed Mezadja, Hadj Djelloul Nacer, Fellouh Meskine Benaissa Aek, Ahmed Berber, Slimane Berber, Laredj Malti, Larbi Benyagoub, Ould Aissa Belkacem, Bekhelouf Abdelkader dit Moulay Cherif qui a toujours mis à disposition sa maison au niveau de la rue 21 n° 135 à Tjditt « El Meksar » au service de la cause et pour les préparatifs du déclenchement de la révolution, ainsi que d'autres j'étais parmi ces gens là et à la suite de quoi j'ai été transféré à la prison militaire d'Oran. Juste au passage dans cette maison qui a un historique des plus illustres se sont rencontrés les Ould Aissa Belkacem, Cheikh Belketroussi, cheikh Ben Eddine, Larbi Benyagoub, avec Larbi Ben mhidi, Hadj Mohamed Benalla,, Ahmed Zabana, Benyahia Belkacem, Blaoui Abdelkader, Si Benaouda et Moulay Cherif pour se préparer dans les années qui suivirent le 8 mai 1945.La ville de Mostaganem suivra le mouvement, par son adhésion, et sa participation effective, avant et pendant la révolution d'une manière significative
Ref : Que pouvez nous dire de plus sur le 8 mai 1945 ?
Hadj Belkacem Benzaza : Ce que je peux vous dire c'est que le 8 mai 1945 est la date de deux événements historiques marquants, qui se sont retournés contre le peuple algérien, à savoir La victoire des Alliés sur l'Allemagne nazie et la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe qui sera marquée par la capitulation de l'Allemagne, mais aussi par le début des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, dont les répressions sanglantes contre des manifestants ont été des plus barbares. Les manifestations était pacifiques et visaient à réclamer seulement l'indépendance du pays et la libération du chef du (PPA) Messali Hadj. Les partis nationalistes algériens, profitant de l'audience particulière donnée à cette journée, décidèrent de rappeler leurs revendications patriotiques, suite aux promesses faites par la France en cas de victoire, sur l'Allemagne. Malheureusement, ces manifestations basculèrent dans l'horreur lorsque des policiers commencèrent à tirer tuant sur le coup le porte drapeau algérien. Le nombre des victimes autochtones faites en représailles reste sujet à débat, pour la France coloniale qui ne veut pas reconnaître ses responsabilités et le chiffre de 45 000 morts. Les autorités françaises de l'époque fixèrent le nombre de tués à 1 165 ; mais un rapport des services secrets américains à Alger en 1945 notait plus de 40 000 morts et plus de 20 000 blessés ; le gouvernement algérien avance le nombre de 45 000 morts. Soixante ans plus tard, en 2005, Paris par la voix de l'ambassadeur Hubert Colin de Verdière reconnaissait pour la première fois la responsabilité de la France en qualifiant cette période de l'histoire contemporaine de « tragédie inexcusable ». Ce pas avait été bien perçu par les Algériens ainsi que par la Fondation du 8 mai 1945. Celle-ci l'avait toutefois jugé insuffisant et comme l'a dit Mohamed Areski Ferrad « il n'y a pas de volonté politique des décideurs pour faire adopter cette loi ». Pour l'universitaire Souilah Boudjemaâ « il suffirait d'ajouter un seul article au code pénal pour pouvoir juger les auteurs des crimes de guerre commis durant le colonialisme, dès qu'ils mettent les pieds sur le sol algérien ». Malheureusement, 67 ans après il n'en n'est rien, du fait que l'ancienne puissance coloniale, ne veut pas reconnaître le génocide qui a été perpétré contre des populations civiles et désarmées manifestant pacifiquement malgré que l'histoire l'ait rattrapé.


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