Quand le Directeur Général du quotidien Réflexion, M. Belhamideche Belkacem, l'automne dernier, me demanda d'éviter de traiter de chiffres, de nombres et de mathématiques, mon sang ne fit qu'un tour. Comment se fait-il que quelqu'un qui devrait être féru d'arithmétique haïssait tant les chiffres, m'ai-je demandé ? Les tours de magie, j'en faisais et j'en raffole toujours. Depuis ma plus tendre enfance, le Rouji, il y a cinquante ans de cela, un magicien ambulant hantait les souks de l'ouest. Il nous faisait rêver. Et puis, l'âge faisant, j'appris la magie des chiffres. Avec les chiffres, on construit des ponts, on navigue de nuit, on met des satellites sur l'orbite de son choix et j'en passe. De mon temps, le zéro et le un étaient les derniers de la classe des chiffres. Ils étaient bien défavorisés. Sauf si le petit un précédait zéro le nul ou tout autre chiffre. Et puis, vint le temps où le zéro et le un se retrouvèrent maîtres du terrain avec l'avènement de l'informatique. Qui comprendrait que le pharmacien, le journaliste, le ministre, le pilote, la NASA, les chèques postaux… roulent avec pas plus que le zéro et le un ? Qui vous croirait ? Au-delà de l'informatique, du zéro et du un, qui vous croirait que le zéro, ce nul, sans la moindre aide ou assistance peut faire des miracles ? Certains y croient et d'autres pas. Certains y croient, mais s'en fichent. Certains y croient, mais seulement en théorie. C'est comme, ma moitié, la mère de mes enfants. Elle croit qu'Archimède a raison, mais voilà trente ans que je l'emmène à la mer et elle n'a jamais su flotter sur l'eau à la « Archimède ». A quand l'eurêka de cette lettrée ? Dieu seul le sait. Pour le miracle du zéro solitaire, il faut avoir fréquenté le P-D G de Réflexion. Quand je mets ma main à ma poche pour lui payer son café, il sourit et m'empêche poliment de joindre le geste à la parole. Il m'étonnera toujours. C'est qu'il nous quitte toujours tard dans la soirée avec ses soucis de l'imprimerie et du personnel à payer et le lendemain le voilà pleins aux as. La vie est ainsi faite. Des hauts et des bas. Parfois, quand le journal ne parait pas, et c'est arrivé deux ou trois fois, j'évitais Belkacem pour ne pas ajouter de l'huile sur le feu de son chagrin. J'avais envie de pleurer à sa place. Je faisais semblant de tenir. La nuit, quand toutes les portes se fermaient à son nez, puis au mien, une rage m'envahissait quand le chef appelait au téléphone les « inappelables ». Inutiles de les nommer, ils sont nombreux et innommables. Je retournais chez moi avec la ferme conviction que le Créateur n'abandonnerais jamais un être si généreux et si bon, dont le seul souci était, est et restera toujours la défense de la gueusaille, des veuves, des orphelins, de la République, des Chouhada, de l'Algérie profonde, des Moudjahidine authentiques, de l'Histoire, de l'amazigh, de la poésie, de l'Islam, des fellahs, de la plume, du calam… enfin de l' Algérie vraie de vrai et une humanité délaissée en lesquelles, il croit dur comme fer. Que l'on ne s'étonne pas que le chef appelle Oum Abdellah à Ghaza entre deux bombardements au phosphore ou bien qu'il aille lui-même vers les jeunes hitistes et les vieux oisifs pour s'enquérir de visu de la situation qu'ils endurent dans nos villes et nos campagnes. Parti de zéro, Belkacem, avoue être arrivé à réaliser un rêve dont peu en ont rêvé ou rêveront. Ce n'est pas une question de pécule. C'est une question d'hommes et de foi. Et son père, sage comme personne ne l'est, le lui a dit un jour : Mon fils, tu es bien entouré. Quoi que tu rédiges comme notes, mon ami, et affiches comme placards, comme tous nos autres compatriotes, nous serons toujours là à t'aimer, à te soutenir et à te défier. Tes « interdiction aux personnes non habilitées » et « Interdiction aux personnes étrangères au service » nous font bien rigoler et nous y voyons ton rêve de nous dompter. Sois certain que si nous sommes rassemblés autour de toi, c'est simplement parce que nous te ressemblons et en particulier ton calme et serein rédacteur en chef, M. Amara Mohamed. Nous aimons nous aventurer quitte à tout perdre. Heureux d'avoir accompli ton rêve, tu peux à tout moment jeter le tablier ou mettre la clé sous le paillasson. Tu n'en mouriras pas. D'autres l'ont fait avant toi. A partir de rien, quelqu'un a fait un quotidien national d'information. A partir de ce rien, que de citoyens ont acquis leurs droits et que de compatriotes ont cessé d'être tourmentés. Désormais, je crois en la magie du zéro, du ouf, de l'abracadabra et du « rien » tant qu'il y aura des hommes. Le secret de Belkacem ? La plainte à autre qu'au Créateur est une infamie. Belkacem ne se lamente jamais y compris des cinquante six plaintes déposées contre lui pour avoir fait son métier pour ne pas dire son devoir d'Homme. Qu'Allah te garde, mon ami, et bénisse notre équipe.