Ce papier met l'accent sur le poids des rapports de force dans les relations interentreprises et analyse leur incidence sur la gestion de l'emploi. Nous montrons tout d'abord que le recours à la sous-traitance, parce qu'il conduit les donneurs d'ordres à planifier et contrôler l'activité des sous-traitants, crée une chaîne de dépendance économique interentreprises. Nous formulons ensuite l'hypothèse que cette chaîne de dépendance influence la structure des qualifications d'une part et le niveau des rémunérations d'autre part. Des tests empiriques menés sur beaucoup de cas viennent confirmer ces hypothèses : les entreprises qui sous-traitent externalisent le travail d'exécution et versent des salaires plus élevés à leurs salariés, et ce d'autant plus qu'elles ne sont pas elles-mêmes preneurs d'ordres. Depuis le début des années 1990, on assiste à des stratégies de croissance externe couplées à des processus de désintégration verticale par lesquels les entreprises extériorisent des activités auparavant réalisées dans le cadre de la firme intégrée- selon son propre plan de charge-. La diffusion de ces comportements de sous-traitance multiplie les situations de dépendance économique et financière dans les relations interentreprises et modifie la nature de la relation d'emploi. Celle-ci ne peut plus être interprétée comme une relation bilatérale employeur/salarié parce que l'employeur se trouve lui-même inséré dans un réseau hiérarchisé de relations interentreprises.
L'analyse de l'influence des relations interentreprises
L'analyse de l'influence des relations interentreprises sur l'emploi a été développée ces dernières années à travers des travaux sur les modes de gouvernance des chaînes de production internationales ou sur l'impact de la sous-traitance internationale sur le niveau de l'emploi et des salaires La focalisation sur les chaînes de production internationales se justifie par la globalisation des échanges au cours des trente dernières années mais il n'en reste pas moins que le problème se pose également de façon cruciale au sein même des chaînes de production nationales. L'accent est mis sur l'impact des relations interentreprises sur la gestion de l'emploi au sein même d'un pays afin de mieux mettre en valeur les différences de pratiques de gestion de l'emploi entre entreprises selon leur position dans les relations de sous-traitance. L'objet de l'article est de montrer que les relations de sous-traitance se traduisent par des relations hiérarchiques entre les entreprises et que les rapports de force ainsi créés se répercutent sur la gestion de l'emploi des entreprises. L'exploration de la littérature sur les structures de gouvernance des relations de sous-traitance nous amène tout d'abord à mettre en avant, d'un point de vue théorique, le rôle central des rapports de force dans ce type de relations interentreprises. Cela nous conduit ensuite à formuler deux types d'hypothèses articulant les relations de dépendance interentreprises à des modes particuliers de mobilisation du travail au sein des entreprises. La première concerne l'homogénéité ou non des structures de qualifications entre les entreprises. Nous opposons d'une part, une approche par la division du travail selon laquelle on peut s'attendre à ce qu'un recours accru à la sous-traitance se traduise par une concentration des qualifications associées aux tâches de contrôle dans les entreprises donneur d'ordres alors que les tâches d'exécution se retrouveraient dans les entreprises sous-traitantes, et d'autre part, une approche en termes de recentrage sur le cœur de métier qui serait neutre sur la structure de qualifications entre les entreprises. La seconde hypothèse formulée concerne les niveaux de rémunération versés par les entreprises selon leur degré de dépendance. En effet, la représentation hiérarchisée du système productif conduit à considérer le recours à la sous-traitance comme une forme de mobilisation indirecte du travail qui permet aux donneurs d'ordres de faire travailler une main-d'œuvre à la commande sans avoir à s'engager dans une relation d'emploi de long terme. Il s'agit ici d'envisager les conséquences en matière salariale sur la main-d'œuvre embauchée par les sous-traitants mais dont la mise au travail dépend des commandes du donneur d'ordres. La réalité est que les salaires versés dans les entreprises sous-traitantes sont moins élevés que chez les donneurs d'ordres. Ces hypothèses théoriques sont testées expérimentalement sur un peu partout où le recours à la sous-traitance constitue aujourd'hui un comportement très courant, un taux élevé des établissements de 20 salariés et plus du secteur marchand non agricole déclarent avoir recours à une ou plusieurs autres entreprises pour réaliser une partie de leur activité. Beaucoup d'expériences ont fourni des informations détaillées sur les pratiques de gestion de l'emploi et la stratégie commerciale de l'établissement. A suivre