La vérité, enfin, sur la sordide affaire des moines de Tibhirine assassinés en Algérie, en 1996. Voilà ce qu'un documentaire intitulé : Le martyre des sept moines de Tibhirine, diffusé ce jeudi 23 mai sur France 3 avait l'ambition d'offrir. Pourtant, cette prétention rencontre le scepticisme de certains spécialistes. Les faits : En pleine « sale guerre » entre islamistes algériens et le pouvoir, dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, sept moines trappistes de l'abbaye de Tibhirine, non loin de Médéa, sont enlevés par un groupe armé. Le 26 avril, un texte signé par Djamel Zitouni (émir du GIA, Groupe islamique armé) revendique le rapt et exige la libération de prisonniers. Il faut attendre le 21 mai pour qu'un communiqué au nom du GIA revendique le meurtre des moines. Quelques jours plus tard, les têtes des suppliciés sont retrouvées sur une route près de Médéa. Deux thèses s'affrontent depuis lors Pour le régime algérien et le camp des «éradicateurs» (formule algérienne désignant ceux qui refusaient à l'époque toute idée de conciliation avec les islamistes), le GIA a enlevé et tué les moines. L'échec des tractations avec la France – un embrouillamini à la française dans lequel certains ministres et des «services» se sont concurrencés au lieu de collaborer – aurait décidé Zitouni d'en finir. Point final. Pour nombre d'opposants au régime, les dirigeants du FIS dissous et certains cercles français , en revanche, les motifs de doute sont tellement nombreux qu'il faut étudier sinon privilégier une thèse bien différente : les moines auraient été enlevés et exécutés par l'armée algérienne et l'affaire aurait mal tourné, se clôturant par l'assassinat des moines qui n'était pas le but initial.Sur le dénouement macabre, une des thèses soutient qu'un hélicoptère de l'armée aurait mitraillé par erreur le groupe de ravisseurs et d'otages, tuant tout le monde, ce qui expliquerait pourquoi les corps, pièces à conviction embarrassantes, auraient disparu. Un autre scénario évoqué renvoie plutôt à la panique des responsables de la sécurité quand les services français ont commencé à enquêter en Algérie, ce qui aurait précipité la décision d'en finir avec les moines. La thèse officielle Le documentaire diffusé ce 23 mai entend prouver la thèse officielle de manière décisive. Ou, en tout cas, aboutir à des conclusions qui correspondent à la thèse officielle. Il est l'œuvre de la chercheuse française Séverine Labat et du journaliste algérien Malik Aït-Aoudia. Qu'apportent-ils de nouveau ? Rien moins que des aveux ! Notamment ceux d'un certain Abou Imen, décrit comme le dernier geôlier des moines et qui, comme témoin de l'assassinat, déclare : «On n'a pas tiré une seule balle, de toute façon on manquait de balles, ils ont tous été égorgés au couteau. J'étais pétrifié.» Autre témoin clé : Hassan Hattab, ex-responsable du GIA puis fondateur du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat, passé dans le giron d'Al-Qaïda bien plus tard) qui explique avoir quitté le GIA notamment en raison de l'assassinat des moines décidé par l'émir d'alors, Djamel Zitouni. Ce dernier, sur qui pèsent toutes les accusations, ne témoignera plus : il a été abattu en juillet de la même année 1996 par une brigade islamiste rivale commandée par Ali Benhadjar... qui témoigne lui aussi dans le documentaire. Les arguments des sceptiques Que disent les sceptiques ? Beaucoup de choses ! Ils observent pour commencer la très rare facilité de tournage (notamment à Tibhirine) dont ont bénéficié les auteurs du film. Ils relèvent aussi l'absence totale dans le film des acteurs, algériens ou autres, qui mettent en doute la thèse officielle. Des témoins algériens et français en attestent dans des témoignages que le documentaire ignore. Y compris un ancien colonel du DRS exilé, Mohammed Samraoui et un ex-agent de ce même département, Karim Moulaï... Pourquoi les services secrets algériens auraient-il fait enlever les moines ? Selon certains, il s'agissait à la fois de déloger les moines de la région (où ils soignaient tout le monde, y compris les islamistes, et où aussi, comme témoins, ils gênaient l'armée dans son «nettoyage»), de discréditer les islamistes et d'achever de convaincre la France qu'elle avait choisi le «bon» camp. Le Canadien Armand Veilleux, qui fut procureur général de l'ordre des cisterciens trappistes et enquêta à l'époque en Algérie, figure toujours parmi les sceptiques et ce documentaire ne peut le satisfaire. Or, si aucune enquête n'a, curieusement, jamais été menée par les autorités algériennes, la France, après avoir tergiversé pendant près de huit ans bien qu'il s'agissait tout de même du meurtre de sept nationaux, a lancé une telle enquête en février 2004 après le dépôt d'une plainte de la famille d'un des moines. D'abord confiée sans grands résultats au célèbre juge antiterroriste Jean-Pierre Bruguière, elle fut reprise par son collègue Marc Trévidic en 2007 qui a auditionné un grand nombre de témoins. Il est même sur le point de pouvoir se rendre en Algérie pour entendre d'autres témoins, ce qui, suggèrent certains comme l'abbé Veilleux, aurait poussé le régime à favoriser la confection de ce documentaire qui renforce sa thèse. «Un documentaire reposant sur une enquête implacable» Le documentaire, diffusé jeudi soir par la chaine française France 3, a apporté les preuves irréfutables que ce sont bien les terroristes du Groupe islamique armé (GIA) qui ont assassiné le 21 mai 1996, les sept moines de Tibhirine (Médéa) , enlevés au milieu de la nuit, deux mois auparavant au Monastère de Notre-Dame de l'Atlas , au cœur d'une Algérie déchirée par le terrorisme.D'une durée de 62 mn, le documentaire, intitulé “Le martyre des sept moines de Tibhirine", réalisé par les journalistes Malik Aït Aoudia et Séverine Labat est venu rétablir enfin une vérité longtemps tronquée par des conclusions tendancieuses, dédouanant les terroristes et imputant l'assassinat à “une bavure" des forces de sécurité algériennes.Construit sur des témoignages exclusifs et des aveux saisissant de cruauté des auteurs directs de cette tragédie, ce documentaire met face à la caméra, des terroristes du GIA et des Algériens qui ont survécu au drame. Mohamed Benali, gardien du monastère Notre-Dame de l'Atlas, qui réussit à s'échapper, s'étonne encore d'être vivant. Il est témoin direct de l'enlèvement et le premier à apporter son témoignage devant la caméra et faire, avec émotion, le récit de cette nuit du 26 au 27 mars 1996, où les sept moines ont été enlevés par des membres du GIA. Les terroristes demandent s'il y a sept ou huit moines dans le monastère. Alors qu'il sait qu'il y a neuf moines et les quinze religieux invités, le gardien prend le risque de répondre qu'ils ne sont que sept.“Cette nuit-là, ils sont entrés avec leur chef qui voulait parler à Frère Christian, le prieur des moines. Il portait une barbe rousse et des lunettes. Ce chef, c'est le sanguinaire Abou Hareth, un des petits chefs du GIA.“Ils ont surpris les moines qui dormaient. Ils n'ont même pas eu le temps de s'habiller correctement. Ils les ont sortis très vite et les ont emmenés", a-t-il témoigné. “Quand j'ai senti que les terroristes ne prêtaient plus attention à moi, je me suis retourné et me suis sauvé dans le parc. J'ai couru et me suis caché dans un buisson d'où je n ‘ai pas bougé jusqu'au lever du jour", a-t-il ajouté. Dès qu'il fit jour, les moines survivants sont partis donner l'alerte aux autorités locales.Le documentaire précise que les premiers quadrillages ne donnent rien et que sans informations précises sur la zone de détention des moines, les ratissages de l'armée algérienne, se résumaient à chercher une aiguille dans une botte de foin.