Grâce à un port construit contre vents et marées, au sens propre de l'expression, dès la fin du 19ème siècle, Mostaganem devient une plaque tournante du négoce. L'arrière-pays constitué des vastes régions céréalières de Tiaret, les importantes productions d'agrume de Perrégaux, actuel Mohammedia, les caves qui fonctionnent à plein régime pour transformer le vignoble du Dahra et des côteaux de Mascara, le cheptel et l'alfa des Hauts Plateaux, sont exportés par un port à l'activité intense. Cette activité économique va attirer un flux migrant qui se constitue en states, apportant chacune sa culture et ses spécificités. Ainsi il va se créer des regroupements de gens de couleur qui vont, autour de Sidi Blel, instituer la musique, le rite et plus tard la Derdba, des associations de citadins d'origines européennes qui vont installer l'andalousse initial qui va déteindre sur une expression moins châtiée et donner le chaâbi, en plus des bédouins des environs (Medjahers et Hachem surtout) et qui s'expriment à travers le bédoui. Parallèlement à l'univers autochtone, fonctionne le monde colonial. En plus des petits blancs, il y a de nombreux colons, riches propriétaires et dont la production transite par le port. Quittant leurs vastes fermes, ils viennent souvent à Mostaganem pour superviser leurs exportations et gérer leurs affaires. Petit à petit, leurs familles participent aux voyages, ils découvrent un climat doux qui les change d'une nature sinon hostile et qui n'a jamais cessé d'être menaçante, un environnement de riches oisifs menant une vie de farnientes au gré de fêtes qui n'en finissent plus. Bientôt la nécessité d'institutions financières se fait si pressante qu'il existe au début du siècle précédent plus de banques à Mostaganem qu'à Oran. A la fin de la 1ère guerre mondiale, on peut voir le Crédit Agricole, actuel Crédit Populaire Algérien (CPA), le Crédit Lyonnais, actuelle Banque Extérieure d'Algérie (BEA), la Banque d'Algérie et de Tunisie, actuelle Banque Nationale Algérienne (BNA), la Banque Nationale du Commerce et de l'Industrie dont le blason portant BNCI chapeaute encore l'immeuble face au square du centre de la ville, c'est l'actuelle BAD, n'oublions pas la Mutuelle Agricole devenue CRMA, face à la bibliothèque universitaire. A cause du volume des transactions de ces établissements, il se créa une Banque Centrale d'Algérie qui remplit les mêmes fonctions de nos jours. Acculés par les nouvelles habitudes balnéaires de leurs familles, les riches clients construisent des villas somptueuses le long de la route d'Oran qui était une pépinière avec un abattoir et dans le quartier, à droite, qu'on appelait « des libérés » parce que les premiers soldats de Bugeaud, libérés de l'armée, s'y installèrent souvent sous des tentes de fortune. C'est ce qui explique la villa Bagnul, en face de la station d'essence et de l'université, avec un style néo mauresque où ne manque ni les arcades, ni la koubba, ni le minaret, une autre avec son toit beffroi en ardoise d'origine et sa rectitude évoque l'Alsace, une troisième faite de cubes désaxés, etc. le fleuron reste la villa construite par Brahim Benkritly dans un style baroque oriental époustouflant. Elle était l'incarnation qu'un Algérien pouvait aussi bien faire que les parvenus coloniaux. Par de douteuses assignations, il fut obligé de la céder aux maîtres du moment. Elle est devenue Ecole des Beaux Arts Khadda Mohamed, avant d'être défigurée par un ajout intempestif décidé par le Directeur de l'établissement, artiste de son état. Même un bâtiment collectif comme l'immeuble Ford est un cas d'école architectural. Avant l'invasion du parpaing, cette avenue était une vitrine de l'opulence de la ville au plan de l'urbanisme. Elle incarnait la richesse gérée, à quelques encablures, par les banques, le tout animé par l'inlassable labeur des dockers indigènes.