L'Etat-providence a mauvaise presse. Les politiques sociales sont jugées coûteuses, elles encourageraient la paresse, seraient stigmatisantes, et feraient des choix inefficaces. Ceux qui ne se résignent pas à un Etat réduit à ses seules fonctions régaliennes semblent avoir trouvé leur mantra : ils accompagnent. Qu'il s'agisse de publics ou de catégorie ciblée, de formation professionnelle et d'orientation, de santé et de soin, de start-up ou de clusters innovants, les personnes et les projets ont besoin d'être accompagnés. La société civile, qui multiplie les associations mais pas les dispositifs d'accompagnement, n'est pas en reste. Les dispositifs et les métiers de l'accompagnement sont-ils porteurs d'un renouveau des politiques publiques ? Le terme est censé préciser celui d'accompagnement, lui fixer un objectif. Cela suffit-il à donner une cohérence, un cap, du sens, un idéal, à l'action qu'elle soit publique ou le fait de la société civile ? Les évolutions lexicales ne s'accompagnent pas toujours d'évolutions pratiques et doctrinales. La théorie et le copier-coller ne suffisent pas. La relation entre l'accompagnant et l'accompagné peut être moins déséquilibrée. Il m'arrive d'accompagner un ami à la gare, sans parler de ceux que j'ai dû accompagner à leur dernière demeure. La solitude accompagne souvent la misère, les deux font la paire. Un dispositif relationnel visant la parité, c'est-à-dire le rapport d'égalité dans l'échange et le dialogue ; des principes éthiques tels que celui de ne pas se substituer à autrui ; une démarche personnalisée adaptée à la situation et au contexte... Cette polysémie sur fond d'une constante asymétrie dans la relation entre celui qui accompagne et celui qui est accompagné explique probablement le succès du mot, sans préjuger du succès des politiques d'accompagnement. Accompagner un jeune sans qualification, un chômeur, un patient qui lutte contre la maladie, un cadre qui accède à une responsabilité supérieure ou un créateur d'entreprise, c'est entrer dans une relation pratique et consistante, comportant une forte dimension subjective, en laissant ouvertes de nombreuses questions. Qui est au centre de cette relation ? Un ascendant légitime peut-il se muer en domination ou en emprise ? Le compagnonnage entre l'accompagné et à l'accompagnateur peut-il les transformer tous les deux ? Sans compter que cette relation, même la plus personnalisée, s'inscrit dans une situation et un tissu social, économique et politique qui formule des normes, des attentes et des objectifs. Objectifs des actions d'accompagnement L'objectif le plus consensuel fixé à l'accompagnement est l'autonomie de la personne accompagnée, c'est le pouvoir d'agir et le processus d'apprentissage et de lutte qui y conduit. Il dit plus que le libre arbitre ou la responsabilité individuelle et plus aussi que les savoirs de base, les compétences, la formation, ce qu'on appelle quelquefois l'équipement des personnes, leur bagage. Il est moins exclusivement business que devenir entrepreneur de soi. Il met à distance le paternalisme et s'oppose à ceux qui confondent politiques d'insertion et mise en conformité des individus qui ne sont pas aux normes et qu'il faut soumettre à la collectivité. Se fixer un objectif, y voir une politique d'émancipation individuelle autant que de transformation sociale - de démocratisation, de justice sociale -, est une chose. Y parvenir en est une autre. Les accompagnateurs de voyages le savent, le simple fait d'occuper la place de celui qui accompagne induit des comportements de grande passivité très éloignés de l'esprit aventureux revendiqué par certains voyageurs de retour dans leurs pénates. Les plus autonomes s'en remettent à leur accompagnateur, les plus actifs se découvrent soulagés d'être pris en charge. Il n'y a pas de mauvaises intentions de l'accompagnant ni de prédispositions particulières de l'accompagné. C'est le contexte et l'asymétrie des positions qui conduisent, sans y prendre garde, à une relation où l'influence se transforme en sujétion. Les mêmes risques planent sur les politiques d'accompagnement, que ce soit dans les domaines professionnels et surtout chez nous au niveau de la CNAC et l'ANSEJ, de la formation ou de la santé. L'accompagnateur donne des repères, explique des méthodes. Voulant indiquer un chemin, il peut décider pour l'accompagné. Il ne fera pas à sa place mais en prescrivant l'activité de celui qu'il accompagne, il le prive de ses tâtonnements, de la possibilité d'un apprentissage, de son expérience. La marche vers l'autonomie, cette action n'est possible que pour ceux qui sont parties prenantes de la décision et de l'action. C'est en engageant sa subjectivité, en se laissant affecter par l'expérience, en s'y éprouvant, en acceptant par avance d'en être marqué et instruit, qu'il est possible de passer petit à petit « d'un statut de sujet-acteur (à usage social) à celui de sujet-auteur (à l'origine de quelque chose). L'accompagnement est alors ce qui fait que l'accompagné accomplit des actes qu'il n'aurait pas accompli, qu'il ne se pensait pas capable d'accomplir. L'accompagnement est toujours une relation asymétrique. Elle comporte intrinsèquement une inégalité entre celui qui a besoin d'une information, d'une recommandation, d'une formation, d'un appui et celui qui peut répondre à ce besoin. Il est presque naturel de passer du constat de ces inégalités (d'éducation, de facultés, de santé, de ressources, de patrimoine, etc.) et du travail fait pour les réduire, à une vision aristocratique de la société. Le monde est fait de forts et de faibles. Les forts doivent assistance aux faibles. C'est leur honneur, En contrepartie, les faibles leur doivent reconnaissance, obéissance et soumission. C'est ce qui permet aux sociétés de tenir. La nature est ainsi faite. Ceux qui critiquent l'assistanat peuvent tout à fait le faire au nom de cette logique. Leur critique porte sur le fait que ceux qui devraient faire acte d'allégeance font preuve de désinvolture et abusent de la bonté de ceux qui leur prêtent assistance. Il y a les bons pauvres et les profiteurs. De façon moins caricaturale toutes les politiques qui ciblent un public, une catégorie définie, risquent de les enfermer dans un statut dont il leur sera d'autant plus difficile de sortir qu'en face se construit une mesure et une structure pour l'appliquer, qui une fois mise en place voudra durer. La condition de sa pérennité étant la persistance de ce public identifié. Un autre paradigme est possible. Il part du constat empirique qu'au fond nous sommes forts et faibles à la fois, tous capables et vulnérables. Nous avons à certains moments, dans certaines circonstances, sur certains points, besoin d'une aide, d'un secours, d'un soutien, besoin des autres et de la société. Les dirigeants les plus réputés, les leaders les plus affirmés recherchent volontiers l'accompagnement de conseillers en tous genres. Personne n'est à l'abri d'un accident. Personne n'est dépourvu de facultés, de capacités et de talents. Idées de besoin ou de droit La société, et singulièrement l'Etat-providence dont nous héritons, fonctionne avec des catégories en couple, inclus et exclus, gagnants et perdants, capables et fragiles, accompagnant et accompagné. Elles ne permettent pas de lutter contre la croissance périlleuse des inégalités. Nous ne pouvons plus faire semblant de croire que plus les riches seront riches, moins les pauvres seront pauvres. Il faut en sortir. L'égalité des droits ne suffit pas. Nous avons un devoir de solidarité en réponse aux situations de vulnérabilité. Cette nouvelle providence doit s'organiser autour des inégalités concrètes, bien réelles, inégalités d'éducation, d'âge, de santé, d'origine, de milieu, de genre, de richesse, et prendre en compte les aspirations individuelles à la singularité, à la différence, à l'autonomie, qui ne se laissent pas enfermer dans une catégorie particulière de bénéficiaire. Une réflexion approfondie sur ce qui rend le compagnonnage qui se noue au cœur des relations d'accompagnement plus ou moins émancipateur, est indispensable. Les métiers de l'accompagnement en matière professionnelle sont d'une exigence inouïe : ils demandent des connaissances sur les marchés du travail (selon les professions, les bassins d'emploi), des compétences en psychologie, des connaissances sur les dispositifs existants, les filières de formation, les organismes de formation, l'ingénierie financière des dossiers, des connaissances juridiques. Ils exigent une éthique, une capacité à établir des relations, à co-construire des projets avec des personnes et des personnalités décidément dissemblables. Ces métiers demandent donc un très bon niveau de qualification et de formation interdisciplinaire (on imagine mal que même des études de psychologie y suffisent) alors que les différentes institutions sont souvent menacées de restrictions budgétaires et recrutent comme elles peuvent. Comme on imagine mal que toutes les compétences et connaissances nécessaires se trouvent réunies en chaque accompagnateur ou conseiller, l'exercice de ces métiers requière aussi des organisations du travail qui fassent une large place à l'échange, au collaboratif, au retour d'expériences. C'est pourquoi la coordination de tous les acteurs en charge d'accompagnement et d'orientation est si importante si l'on veut que l'expression, un peu employée par anticipation volontariste, du service public prenne consistance. Alors que les parcours professionnels deviennent de plus en plus chaotiques et que l'initiative individuelle se place au cœur de nombreux dispositifs, la qualité de l'accompagnement et de l'orientation devient essentielle. Il apparait que ce n'est pas seulement une nécessité au sein de la société et durant sa toute jeunesse, mais qu'il s'agit bien de pouvoir s'orienter tout au long de la vie.