A Tiaret, ville de science et du savoir, celle qui a enfanté, Ali Maâchi, Hamdani Adda et autres, la loi du silence imposée depuis longtemps commence a être enfreinte. Tiaret, Sougueur, Frenda se sont révoltées depuis fort longtemps. L'émeute est devenue leur ultime moyen d'expression. A Frenda les jeunes ont cassé le mur de la peur. Ils parlent de mal vie, de chômage, de misère et de « Chkara ».. Prise en étau entre la wilaya de Tiaret et Mascara, Frenda promue au rang de daïra est considérée comme une excroissance. Pour y arriver, c'est une route cahoteuse qu'il faut emprunter : l'entrepreneur chargé de refaire le tapis a été payé pour refaire 30 kilomètres, il en a fait six avant de plier bagages... Des anecdotes comme celles-là, les gens de Frenda en racontent sans jamais se lasser. Ces Berbères des hauts plateaux, trop longtemps marginalisés, se demandent aujourd'hui si le fait d'être « zouaoui » est un crime. Parce que revendiquer ne fait pas partie de leur culture, ils ont supporté le pire en silence. Aujourd'hui, la jeune génération est plus revendicatrice, intempestive et révoltée. L'ANSEJ, un mirage... Khaled, le garde champêtre de la commune, est de cette graine. Le jeune homme curieux et pragmatique saisit l'occasion de la présence de « gens d'Alger » pour poser une question qui le turlupine : le dispositif de l'ANSEJ est-ce une réalité ou une pure invention de la télévision ? Lorsqu'il apprendra qu'ailleurs des jeunes bénéficient d'aide pour monter leur propre entreprise, il ne peut plus contenir sa colère. Il déverse du fiel sur les responsables locaux, sur ces maires jetables qui se succèdent sans rien faire, sur les responsables centraux qui, en venant faire de la « tchippa », font un détour et évitent de passer par Frenda. « On est des maudits», lance un jeune homme. Cette impression est partagée par un grand nombre de frendis. Le taux de chômage avoisine les 70% : il n'est pas rare que dans une famille de huit personnes, une seule perçoive un salaire. N'était la solidarité, plusieurs d'entre elles auraient été clochardisées. Réunis autour du stade communal vide, les jeunes parlent de ces journées interminables, de cette chaleur oppressante, de cette oisiveté qui n'a que trop duré. Leur rêve? Des coopératives de jeunes qui s'occuperaient du transport, des locaux commerciaux pour pouvoir faire du commerce. « Si on me donne un véhicule pour le transport en commun, je serai prêt à associer avec moi dix jeunes ». Pas gourmand du tout Khaled. Ses rêves sont simples et pas irréalisables. Ils lui permettraient de faire des économies, se marier, vivre enfin. Sans perspective, il ne pense pas à demain et lorsqu'on lui demande naïvement s'il a des activités sportives ou culturelles, il répond qu'avec « un estomac vide, c'est impossible de penser à cela »... Le mouvement associatif brimé. Lakhdar est aussi amer que Khaled mais pour des raisons différentes. Ne voulant pas céder à l'ambiance défaitiste, il a entrepris de mettre sur pied une association dont le nom devait être Eco-Frenda. Son projet ne dépassera pas le stade du vœu. Parce qu'il a osé inscrire le dossier du foncier parmi les préoccupations de l'association, il ne recevra jamais l'agrément. Une année après le dépôt du dossier, c'est le silence radio du côté de la wilaya. D'autres associations ont eu plus de chance, mais elles ne s'intéressaient qu'à des activités culturelles. Le foncier, c'est décidément un sujet qui fâche. Les cas des milliers de jeunes chômeurs, des agriculteurs sans terre, des concessionnaires de terrains agricoles ou à bâtir sans actes de concession, des ménagères souffrant des conséquences de la baisse vertigineuse de leur pouvoir d'achat, alimentent quotidiennement les discussions. Les citoyens donnent libre cours à leurs dénonciations enflammées de la bureaucratie, de la corruption et du trafic d'influence. Récemment d'ailleurs, un maire et un chef de daïra en ont payé les frais. Gagnés par l'oisiveté générée par un chômage chronique, des jeunes sillonnent les rues, restent à la cité, sont dans les cafés, sans un sou en poche, la mort dans l'âme. Dans cette commune, on ne se cache plus pour faire dans le trafic et le commerce de la drogue, le recel et la commercialisation d'objets volés. « Comme les autres populations de la wilaya, nous avons aussi le droit de bénéficier des avantages induits par la mise en route du programme quinquennal mis en application depuis 2004. Faute de mieux, on fait tout pour survivre », explique khaled, un jeune universitaire, au chômage depuis plusieurs années. Ces derniers mois, les responsables locaux multiplient les sorties et les promesses pour une sérieuse prise en charge du quotidien des populations. Les élus de cette commune sont ébranlés par le doute et les interrogations. Face à des citoyens en colère, ils promènent leur spleen et leurs désillusions au contact des décideurs, apparemment insensibles. En ce début 2010, les jeunes abordent également dans leurs discussions le conflit de génération, les difficiles rapports entre la population et ceux qui gèrent leur quotidien. Selon eux, ces rapports s'expliquent par la multitude d'erreurs dans la gestion des affaires locales. Depuis des années, au plus fort des crises qui ont secoué la wilaya, la population a respecté l'ordre établi. Aujourd'hui, elle se rebiffe. « Nous n'avons que faire des promesses et des déclarations de bonnes intentions. Nous voulons des faits ! » Cette déclaration fait l'unanimité auprès des citoyens. Elle est révélatrice de la situation de révolte qui tourbillonne dans cette commune.