Ils sont plusieurs personnes, jeunes et de moins jeunes qui, dès les premières heures du jour, se mettent à sillonner les quartiers d'Oran, frappant aux portes des maisons pour proposer aux ménagères de les « débarrasser » de leur pain sec. Le pain sec amassé auprès des ménages, est cédé à un « dépositaire » situé à proximité du quartier El Barki, qui se charge, lui, de le vendre à des éleveurs de bétails. Le prix d'un sac, contenant une vingtaine de kilos est fixé autour de 150 DA. Ce qui permet aux ramasseurs, parmi les plus dégourdis, de faire une recette journalière allant jusqu'à 600 DA par jour, nous indique-t-on. « Il est étonnant de constater l'importance du volume de pain qui nous arrive chaque jour ». A déclaré un collecteur qui précise : « les ramasseurs nous apportent très souvent des centaines de baguettes de pain entières, même pas entamées. » « Voilà le travail, nous signale-t-il, nous importons du blé en devises étrangères, on le triture, on le sasse pour obtenir la farine que nous pétrissons, que nous faisons cuire pour ensuite la donner… au bétail. Et dire que nous sommes pauvres… » Se désole-t-il. Mais, sans les bêtes, toute cette énorme quantité de pain jetée quotidiennement irait à la décharge publique. Tant qu'à faire, mieux vaut encore l'utiliser à nourrir les bêtes. Selon Ammi Ahmed, un vieux ramasseur de pain sec, c'est souvent auprès des familles nombreuses et au revenu apparemment modeste qu'il collecte beaucoup de restes de pain. « A n'y rien comprendre. » S'insurge-t-il. Bien qu'il reconnaisse que c'est un peu toutes ces familles « dépensières » qui lui assurent son gagne-pain, ce qui est le cas de le dire. Le même Ammi Ahmed affirme qu'un boulanger de ses connaissances lui dit que jamais il n'a jeté un bout de pain. Que les restes de miches sont conservés proprement pour en faire des puddings ou transformés en chapelure entant dans la confection de très bons gâteaux. Sur ce sujet, notre interlocuteur nous a énuméré plusieurs recettes pouvant permettre d'accommoder le pain sec, un aliment très nutritif qui peut servir de produit de substitution dans les familles nombreuses aux ressources limitées. Mais, malheureusement, et aussi bizarre que cela puisse paraître, on nous affirme que c'est auprès des familles habitant les quartiers les plus pauvres de la ville d'Oran, que la « moisson » de pain sec est la plus florissante. Ainsi donc, plusieurs quintaux de ce produit noble, servant d'aliment de base à la population algérienne, sont pratiquement jetés chaque jour. Un véritable scandale dans un pays qui importe, depuis longtemps, quelque 80% de ses besoins en blé tendre servant à la fabrication de la farine.