Et si la solution à la crise du pain venait de l'utilisation des farines intégrales ? C'est ce que suggèrent certains meuniers et boulangers. Dans la mesure où la farine blanche nécessite un blé raffiné et qu'elle engendre des pertes aux minotiers, les farines intégrales sont bien plus économiques. La question fait débat. A nticipant la crise du blé qui se déclarerait, selon eux, au début de l'année 2008, des meuniers et boulangers ont commencé une campagne de sensibilisation pour vanter les vertus des farines intégrales. Celles-ci seraient, selon eux, plus économiques et bien plus bénéfiques pour la santé que la farine blanche. Elles participeraient également, d'après eux, à la réduction de la facture d'importation du blé. Explications : pour faire leur pain, les boulangers algériens utilisent une farine blanche qui nécessite un blé spécifié. Ce type de farine requiert que l'on décortique la graine de blé pour n'y laisser que l'amande, le reste étant destiné aux bétails. Les meuniers perdent au change dans la mesure où le taux d'extraction de la farine blanche est de 75% au lieu de 99% pour les autres farines. M. Benbernou, représentant de la minoterie Sidi Bendhiba basée à Mostaganem, a vite fait le calcul. Pour lui, l'Algérie qui importe près d'un milliard de dollars de blé par an en perd, chaque année, 25%. " Ce qui veut dire que 250 millions de dollars par an vont aux bétails ", ironise-t-il. Ce minotier considère qu'à l'orée de la crise du blé qui se profile (pour janvier 2008, souligne-t-il), il serait judicieux de se tourner vers les farines intégrales comme le son. " La baguette blanche nous a été imposée, elle nécessite un blé raffiné. Le boulanger doit également y ajouter de la levure ou des adjuvants. Le pain de son n'a pas besoin qu'on y ajoute les améliorants, il revient, de ce fait, moins cher ", plaide-t-il. Il poursuit : " Aujourd'hui on tourne à 50% de nos capacités, il n'y a pas de crise mais cela ne saurait tarder. La crise se ressentira à partir du mois de janvier ". Le problème réside dans le fait que le son coûte plus cher que la farine blanche. M. Benbernou affirme ne pas comprendre les raisons des tarifs prohibitifs estimant que c'est là l'un des nombreux dysfonctionnements dont souffre le marché du blé en Algérie. Alors que le prix de la farine blanche est de l'ordre de 2100 DA/quintal, la farine de son coûte, elle, 2400 DA/quintal. Quant aux autres graines, la farine d'orge coûte 3200 DA/quintal et la farine de seigle se vend à 4700 DA/quintal. Le minotier de Mostaganem souligne qu'il y a une très forte demande des farines intégrales. " Nous avons tellement de demandes qu'on ne peut y suffire ", indique-t-il. Cela tient surtout au fait que très peu de meuniers fabriquent ce type de farine. Santé des consommateurs Une campagne de sensibilisation pour vanter les vertus des farines intégrales a déjà été lancée. Le comité des boulangers par la voix de l'un de ses représentants, M. Hentour, avance l'argument de la santé des consommateurs algériens. " Il est vrai que le pain de son est un peu plus cher. Mais ce qu'on dépense en plus sur le pain, on le gagne en santé et en économie ", argumente-t-il. Il ajoute : " le consommateur algérien est mal informé sur les risques du pain blanc ". Le pain blanc serait de mauvaise qualité, d'après ce boulanger, du fait que dans la fabrication de la farine blanche l'enveloppe de la graine est rejetée et que 40 à 45 % des éléments nécessaires sur le plan nutritionnel sont perdus. " Les données scientifiques montrent que la partie du grain de blé la plus riche en sels minéraux, vitamines et fibres se trouve justement sur l'enveloppe externe du grain ", souligne-t-il. La fabrication du pain blanc nécessite également des additifs chimiques ou améliorants ainsi qu'une importante quantité de levure. "Nous ne savons pas en fait ce que nous utilisons comme améliorants, vu que notre marché est une vraie passoire. Et nous, en tant que boulangers, nous ne sommes pas en mesure d'effectuer un contrôle sur le produit en dépit du fait que le fabriquant met sa formule des additifs en évidence", lance-t-il. M. Hentour en fait même une affaire d'identité nationale. " Pourquoi les Marocains consomment les pains de tradition marocaines et que nous insistons à ne consommer que la baguette française ? Notre identité est en jeu ", assène-t-il. " Faux que tout cela ", rétorque Goudjil Kouider, nouveau président du Comité des boulangers affilié à l'Association générale des commerçants et des artisans algériens (UGCAA). Il estime que l'utilisation des farines intégrales est loin d'être une panacée. " Si l'on devait utiliser la farine de son, le prix du pain deviendrait beaucoup plus cher. La baguette coûterait 50 Da. Le son est plus cher que la farine blanche. Même avec les farines intégrales, le boulanger est obligé d'y ajouter des améliorants. L'on veut induire le consommateur algérien en erreur", s'insurge M. Goudjil. Le responsable du Comité des boulangers transpose les querelles intestines qui déchirent l'Ugcaa sur le débat autour du pain. Pour lui, dans la mesure où Hentour, le défenseur des farines intégrales, a été exclu de l'Ugcaa, il n'a, de ce fait, aucun crédit. La consommation moyenne quotidienne nationale de pain dépasse 500 grammes par jour et par habitant. Près de 14 000 boulangers et plus de 300 meuniers répondent à cette demande. Les besoins en blé tendre représentent ainsi un peu plus de 5 millions de tonnes par an. Des minotiers affirment que l'Algérie n'a pas d'importants stocks de blé. En cas de crise, le pays serait dans l'embarras. Pour mieux affronter la crise du blé, M. Benbernou estime qu'au lieu d'importer le blé à raison de 450 dollars la tonne, l'on devrait doubler la mise des fellahs pour qu'ils puissent travailler. Le mal viendrait, selon eux, d'un manque d'anticipation.