Nous sommes à Birtouta, au beau milieu d'un manteau de verdure. C'est la Mitidja. Virée à la société d'élevage, Latracov. Cette société étatique est spécialisée dans l'élevage et la vente du cheptel. Elle est en activité depuis 1975. “Depuis l'ouverture de notre société, jamais nous n'avons donné de pain sec aux bêtes en guise d'aliment de bétail, comme le font beaucoup de maquignons sans scrupules. Notre cheptel, nous le nourrissons de maïs, de blé, d'orge, de soja, mais jamais de pain. C'est de la naâma, c'est sacré”, lâche un éleveur de cette société, en bottes et blouse de travail. Il fut un temps à Ouled Fayet et ailleurs, révèle-t-il, où des camions entiers venaient déverser des cargaisons de déchets de pain que s'arrachaient les maquignons pour une… bouchée de pain, à 50 ou 100 DA le sac. Cette pratique continue d'être observée par nombre d'aviculteurs. Des enfants sont chargés de récupérer le pain de la veille en faisant du porte-à-porte. “Le jour où Bush se mettra à rationner notre pain, ce jour-là, on connaîtra la valeur de la nourriture”, avertit cet éleveur. C'est regrettable mais c'est ainsi : l'Algérien gaspille beaucoup de pain. Combien ? Là encore, pas de données chiffrées. Ainsi, le chiffre de 900 gr de pain par habitant, avancé par les professionnels de la filière, pourrait être plausible, si l'on y incluait le gaspillage. Ce gâchis s'expliquerait en partie, selon certains intervenants, par le prix jugé bas du pain. Leur argument est que si la baguette passait à 15 ou 20 DA, les ménagères n'achèteraient plus que la quantité dont elles ont besoin. D'aucuns réfléchiraient à deux fois avant de jeter le pain à la poubelle, et les galopins ne s'aviseraient plus de se dégonfler en se voyant servir le pain de la veille. M. Hentour, président du Comité national des boulangers, relève une autre anomalie, autrement plus coûteuse, un “macrogaspillage” dans la facture d'importation du blé : “La facture du blé est très élevée mais cela reflète beaucoup de gaspillage. Vous savez que du blé que nous importons à coup de devises fortes, nous utilisons 70% pour le pain. Les 30% restants représentent l'enveloppe du blé, c'est-à-dire le son (ennoukhala) et ils sont sacrifiés au bétail. Tout cela parce que les Algériens sont conditionnés à ne consommer que du pain blanc. Si on exploitait le blé dans sa totalité en diversifiant les farines, on économiserait 20 à 30% sur les importations de blé tendre.” M. B.