Hiver comme �t�, jeunes et moins jeunes, � pied ou � dos d��ne, ils sillonnent quartier par quartier pour la collecte de leur gagne-pain. Eux, ce sont les ramasseurs de pain sec. D�s 7 h du matin, ils entament leur journ�e de travail, frappant aux portes des demeures ou criant �pain sec, pain sec� pour d�barrasser les m�nag�res de leur pain rassis. Meriem Ouyahia - Alger (Le Soir) - �Pain sec, pain sec�, tel un signal de d�part, plusieurs fen�tres s�ouvrent en m�me temps. Des mains s�agitent pour attirer l�attention du ramasseur de pain, �g� d�� peine 10 ans, puis lui lancent un sachet plein de pain sec. Le gamin court le r�cup�rer et s�approche de son �ne pour le d�verser soigneusement dans un sac en jute accroch� au dos de l�animal. D�une fen�tre � un balcon, le ramasseur et un autre de sa bande font le tour du quartier pour r�cup�rer tous les sachets de pain sec avant de tirer l��ne et de changer de quartier. La m�me sc�ne se r�p�te quasi-quotidiennement dans un quartier de R�gha�a. �J�ai pris l�habitude de ne plus m�inqui�ter quand il me reste du pain rassis. J�ai bonne conscience, je me dis que je contribue � leur gagnepain �, se contente de dire M�riem, cadre et maman d�un nourrisson, en balan�ant son sachet. Et d�ajouter : �Je ne savais pas qu�il y avait des ramasseurs de pain ici. Je les ai d�couverts apr�s mon accouchement. Je devais prendre ce sachet avec moi dans l��choppe d�un Mozabite. Je le faisais, comme me l�a appris ma m�re, discr�tement, pour ne pas �tre vue par les voisins et �tre consid�r�e comme gaspilleuse. Nous allions le soir dans leur magasin et donnions notre sachet avant de filer tr�s rapidement. � Cette discr�tion n�a plus cours, devant l�importance du pain jet�. �J�ai la conscience tranquille maintenant. Je ne me sens plus coupable !� conclutelle. Nadia, pour sa part, femme au foyer et m�re de deux filles, dira : �Avant, j�essayais de r�cup�rer le plus possible de pain rassis avec des recettes ou en le grillant mais, depuis que mes filles ont grandi, je n�ai plus le temps de m�en occuper. Et quand je n�ai pas de pain sec � leur donner, je mets dans un sachet des pommes ou des oranges. J�ai piti� d�eux, surtout en raison de leur �ge.� Au fait, l��ge de ces ramasseurs ne d�passe pas les 15 ans. La scolarit� pour eux ne veut rien dire. Le plus important est de gagner son argent et savoir compter les dinars amass�s. Constitu�s en petits groupes, ils sillonnent quartier par quartier tout au long de la journ�e. Un chef de groupe, qui est en g�n�ral le crieur, les attend � la sortie du quartier et donne des instructions sur les �ventuels donneurs. Pour eux, les foyers ne repr�sentent qu�une partie de leur �source�. Les restaurateurs et autres fast-foods, eux aussi, se d�barrassent de leur pain en fin de journ�e. Les quantit�s, qui sont parfois tr�s importantes en cas de mauvaise journ�e, sont r�cup�r�es rapidement par ces groupes bien rod�s au �m�tier�. Ce ne sont pas seulement les gamins qui en ont fait leur m�tier ou leur gagne-pain. Les retrait�s, aux c�t�s des �boueurs, s�y sont mis eux aussi. A la fin de la journ�e, lors de leur promenade, les retrait�s passent � c�t� des portes des foyers et ramassent m�thodiquement, des fois en faisant le tri, le pain sec mis g�n�ralement dans des sachets blancs transparents. �Cela m�aide � arrondir mes fins de mois. La pension de retraite � elle seule ne suf- fit pas � nourrir toute la famille�. se contente-t-il de d�clarer. Eh bien oui, les restes de pain jet�s n�gligemment repr�sentent actuellement, pour des milliers de personnes, un vrai gagne-pain. 150 DA pour un sac de 20 kg Que ce soit pour les �professionnels� ou les �amateurs�, la destin�e du pain amass� est la m�me. Tous les chargements amass�s sont, soit vendus directement aux marchands de volaille et autres propri�taires de cheptel ovin, soit c�d�s � des revendeurs. Ces derniers disposent de v�hicules qui les acheminent vers des �leveurs de b�tail. Ils sont en quelque sorte des �grossistes� de pain sec. Le prix d�un sac d�une vingtaine de kilos est fix� autour de 150 DA. Ce qui permet aux ramasseurs, parmi les plus d�brouillards, de faire une recette journali�re allant jusqu�� 600 DA. Une somme rondelette que les ramasseurs disent pouvoir gagner tr�s ais�ment. Ceci en consid�rant l�importante quantit� de pain jet�. �Durant l��t�, et � cause des mariages, les familles en jettent beaucoup. Je pense qu�elles pr�f�rent en acheter en plus plut�t que d�en manquer. Pour nous, c�est une v�ritable aubaine �, se contente de dire Mohamed, �g� d�� peine 10 ans. Et d�ajouter, en souriant : �Des fois, il arrive que des personnes nous donnent de grands sachets noirs avec des centaines de baguettes de pain dedans.� En dehors de ces p�riodes de f�te, les ramasseurs r�coltent aussi des baguettes non entam�es. Devant l�importance de ce gaspillage, nous sommes tent�s de dire qu�heureusement, les b�tes, elles, ne font pas la fine bouche ! M. O. Gaspillage du pain : sa qualit� en cause Tous le confirment. Ces derni�res ann�es, les Alg�riens jettent plus de pain blanc qu�auparavant. La cause : sa mauvaise qualit�. �Auparavant, on pouvait le conserver sans avoir � le congeler, durant toute une journ�e. Actuellement, c�est chose impossible.�, note un retrait�, qui est oblig� d�acheter du pain matin et soir, quitte � le jeter le lendemain. Il devient caoutchouteux au bout de quelques heures, d�o� la r�pugnance des Alg�riens � le manger. Au fait, les professionnels du m�tier, � savoir les boulangers, sont formels : si le pain est pr�par� dans les normes, il peut �tre conserv� pendant plus de 24 heures. La tricherie de certains boulangers fait que ce pain devient de moindre qualit�. Dans chaque quintal de farine, il faut incorporer 1 kilogramme de levure, 1 litre d�huile et 250 g de produit am�liorant. Or, si les boulangers ne trichent pas sur la quantit� des produits entrant dans la confection comme la farine, l�eau, la levure, le sucre, le sel et l�am�liorant, ils y incorporent d�autres produits. Ils n�h�sitent pas, � titre d�exemple, d�utiliser de l'aspirine en poudre et d'autres produits prohib�s pour �activer la fermentation des p�tons. C�est ce qui fait que la qualit� du pain est loin de r�pondre aux normes. Cela n�excuse cependant pas la facilit� avec laquelle les familles alg�riennes jettent ce produit qui, pendant longtemps, a repr�sent� l�aliment de base de toute une population.