u lendemain de l'attentat kamikaze commis contre l'Ecole de gendarmerie dans la localité des Issers de la wilaya de Boumerdès, la population de la ville de Bouira a été extraite subitement de son sommeil vers 6 heures du matin, par deux explosions dont le bruit a été entendu à une dizaine de kilomètres à la ronde. Sous le choc, la ville a vécu au rythme des sirènes des ambulances et des véhicules des services de sécurité, qui faisaient des allers-retours entre les lieux des deux attentats et l'hôpital Mohamed- Boudiaf où sont évacuées les victimes, pour découvrir l'hécatombe qui vient d'endeuiller plusieurs familles. Au niveau du secteur militaire, situé dans le quartier de la Cadat, où il y a eu la seconde explosion, la consternation était lisible sur tous les visages, les éléments de la Protection civile s'apprêtaient à évacuer deux fillettes, en pleurs, atteintes par des éclats de verres dans leurs domiciles. « Pas grave, juste un petit pansement, n'ayez pas crainte », leur signifia un membre de la Protection civile. Ce dernier nous conseilla de voir avec les services de sécurité pour avoir le bilan de l'explosion. Selon des témoignages, le kamikaze était à bord d'un véhicule de type Renault Kongo, bourré d'explosifs. Il était venu à toute allure pour se faire exploser devant la porte principale de l'édifice qui était cerné par des balises de sécurité. La puissance de l'explosion a causé la destruction d'une partie du mur de clôture et du poste de contrôle. En face, un autre mur de clôture et les fenêtres de plusieurs immeubles de la cité militaire furent soufflés. Tout près de là, la villa de la famille Haned a été endommagée. Le chef de famille, qui arrivait à peine à contenir sa colère, nous déclara qu'il n'y avait que deux blessés légers parmi sa famille. Sur-le-champ, les services de sécurité nous ont intimé l'ordre de quitter les lieux et de ne prendre aucune photo sur les lieux du drame. Au même moment, les éléments de la police scientifique étaient affairés à ramasser toutes les pièces et les débris du véhicule du terroriste, dont des lambeaux de chair ont été récupérés à des dizaines de mètres plus loin dans les maisons environnantes. Par ailleurs, des témoins ont affirmé qu'il y avait des blessés parmi les militaires et aussi parmi les familles de ces derniers. De ce fait, juste après la première explosion, tout le monde s'est précipité vers les fenêtres pour voir ce qui se passait dehors. Au niveau de l'hôtel Sofy, mitoyen du siège de la cour de Bouira, et du centre universitaire, lieu de la première explosion, le spectacle est des plus dramatiques et le bilan est très lourd. L'explosion a creusé un cratère d'un mètre de diamètre, alors que les services de sécurité à bout de nerfs tentaient d'éloigner les citoyens qui se sont rassemblés depuis la matinée. Selon B.M., le gérant de l'hôtel, un groupe d'ouvriers de la société canadienne Lavalin, qui réalise la station de transfert des eaux, dans la commune de Djebahia, en amont du barrage Koudiat Asserdoun, venait tout juste de monter dans l'autocar qui devait les transporter sur les lieux de leur travail, quand un véhicule de type Renault Clio arriva à toute allure et percuta le bus par l'arrière. La déflagration a projeté les débris de la voiture sur une cinquantaine de mètres, alors que l'ensemble des occupants du bus a été touché. Le chauffeur s'en est sorti avec une blessure à l'épaule, alors que le reste des passagers était dans un état lamentable. Notre interlocuteur affirme avoir participé à l'évacuation des premiers blessés et des morts dont les corps étaient carbonisés ou déchiquetés par l'explosion. « C'est écœurant, les travailleurs étaient jeunes et âgés de moins de 30 ans », lança un autre témoin sur place. Un autre a ajouté que « les terroristes visaient peut-être des étrangers », alors que le gérant de l'hôtel disait que c'était son établissement qui était visé. « J'ai demandé à plusieurs reprises qu'on installe des balises de sécurité, mais en vain », ajoutat- il. Sur place, la venue d'un ministre a été annoncée. M. Cherif Abbas, ministre des Moudjahidine, qui était en visite dans le cadre des festivités du 20 Août, a fait une halte au niveau de l'hôpital Mohamed-Boudiaf, puis a poursuivi sa route vers la localité de Saharidj pour assister à la cérémonie officielle. Quelques instants plus tard, c'était le ministre de l'Intérieur qui a été annoncé. Au même moment, des journalistes de la radio et des correspondants de certaines chaînes étrangères étaient en train de se faire briefer par un correspondant local. Des sources hospitalières ont donné vers 10 heures le chiffre de 12 morts et 44 blessés et que, parmi les blessés, il y avait neuf militaires, dont quatre évacués par hélicoptère vers l'hôpital de Aïn- Naâdja à Alger, alors que trois autres citoyens, dont l'état était très grave, furent transférés vers Douéra. Au niveau de l'hôpital de Bouira, les blessés étaient pris en charge, mais les médecins et le personnel soignant étaient submergés par le nombre de victimes qui furent évacuées, car jamais ces services n'ont été aussi sollicités. Une équipe de secouristes du CRA était également sur les lieux pour soutenir les blessés et leurs familles qui commençaient à converger vers la structure. Des cris d'hystérie et des pleurs fusaient dans les couloirs de l'hôpital, une situation jamais connue par les infirmiers et les médecins, même durant les années 1990. Dans un point de presse tenu par le directeur de la santé, nous avons appris que l'attentat a fait 12 morts, dont l'un n'a pas été identifié, et 42 blessés, dont neuf évacués vers la capitale alors que 33 sont hors de danger et hospitalisés à l'hôpital de Bouira. Notons que dans l'après-midi, le ministre de la Santé, M. Barkat, a effectué une visite à Bouira pour inspecter les conditions de prise en charge des victimes de cet attentat qui a endeuillé la wilaya de Bouira.