Un attentat kamikaze a secoué, hier matin, la ville des Issers, située à une soixantaine de kilomètres à l'est de la capitale, en Kabylie, dans la wilaya de Boumerdès. Il a été perpétré vers 7h30, juste devant l'entrée de l'Ecole supérieure de la Gendarmerie nationale, par un terroriste à bord d'un véhicule de marque Toyota, selon des témoignages concordants. Le terroriste a foncé droit vers l'endroit où une foule de candidats au concours d'entrée dans le corps de la Gendarmerie nationale attendait l'ouverture des portes de l'établissement. Boumerdès : De notre bureau L'explosion a été entendue à des dizaines de kilomètres à la ronde et le bilan est très lourd : 43 morts et 45 blessés, selon le ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, arrivé sur place deux heures environ après la catastrophe. L'horreur est indescriptible : des corps déchiquetés et des lambeaux de chair jonchant la chaussée, des véhicules calcinés et des maisons effondrées. C'est que cette fois, la barbarie a franchi un autre pas vers l'abominable. La quasi-totalité des morts sont des jeunes venus de différentes régions du pays pour participer au dit concours. Parmi les morts, un gendarme, un couple à bord d'une voiture dont le passage à cet endroit a malheureusement coïncidé avec le moment de l'explosion et un bébé qui était dans un bus. Parmi les blessés, dont une vingtaine au moins ont été grièvement atteints, l'on dénombre 7 gendarmes, toujours selon le ministre de l'Intérieur, qui a déclaré à son arrivée sur les lieux que « les groupes terroristes s'attaquent ainsi, sans distinction, à tous les citoyens afin de se venger de la société qui refuse de les soutenir ». Un officier de la gendarmerie nous a déclaré que quatre victimes seulement ont été identifiées grâce à leurs pièces d'identité retrouvées sur les lieux. L'identité des autres victimes est méconnue pour l'heure. A notre arrivée sur les lieux, ce qui restait des corps des victimes était ramassé et recouvert de couvertures par les éléments de la Protection civile, tandis que l'on se dépêchait d'évacuer les blessés vers les hôpitaux de Bordj Ménaïel, Thenia, Tizi Ouzou et Alger. L'explosion a provoqué un grand cratère sur la chaussée, tout près du portail de l'établissement visé. Les malheureux candidats au concours d'entrée dans le corps de la gendarmerie ont été ainsi quasiment tous tués ou blessés, vu que l'explosion s'est produite à quelques mètres seulement de l'endroit où ils s'étaient regroupés. Ils étaient pour la plupart de jeunes diplômés de l'université ou titulaires du baccalauréat venus rejoindre les rangs de la gendarmerie. Les plus âgés d'entre eux n'avaient sans doute pas plus de 20 ans. La baisse de vigilance était, semble-t-il, dans le fait d'avoir laissé se regrouper ces jeunes devant le portail, sur une route à grande circulation. Les dégâts matériels sont considérables. Fort heureusement, il n'y a pas beaucoup d'habitations à cet endroit. Une villa située à quelques dizaines de mètres du lieu de l'explosion a été presque totalement soufflée. Murs fissurés ou effondrés par endroits, fenêtres et portes soufflées, toit arraché et un véhicule à l'intérieur du garage fortement endommagé. Les commerces et autres habitations situées plus loin ont également subi d'importants dégâts, au point où les occupants de ces lieux devront renoncer à leur usage pour quelques semaines du moins. Sur la chaussée, nous avons trouvé un bus fortement dégradé, qui venait tout juste d'arriver à hauteur de la caserne de gendarmerie. On a enregistré un mort parmi les passagers. Les habitants des Issers étaient unanimes à condamner cet acte de barbarie. « Nous voulons vivre en paix, nous en avons assez de compter nos morts. Nous exigeons de l'Etat qu'il assume son devoir de nous assurer la sécurité », nous déclarait sur les lieux du drame un jeune des Issers. C'est la première fois que les groupes terroristes frappent l'Ecole supérieure de la Gendarmerie nationale depuis le début de l'activité terroriste, dans les années 1990. Ce qui fait dire à un habitant des Issers : « Dans les pires moments de la crise, à savoir au milieu de années 1990, les terroristes n'ont pas pu s'attaquer comme cela, de front, aux institutions de la République. La peur se réinstalle après une période où l'on a réellement cru à la victoire de la République sur le terrorisme. Et cela à la faveur de la clémence accordée par l'Etat aux terroristes. » L'attentat d'hier est le troisième du genre à être perpétré en Kabylie en moins de trois semaines. On se rappelle celui qui a visé un commissariat de police à Tizi Ouzou et celui de Zemmouri, dans la wilaya de Boumerdès, il y a 12 jours. La fréquence de ces attentats et les dégâts qu'ils provoquent font craindre le pire. Ce qui inquiète le plus, c'est la facilité avec laquelle les terroristes s'attaquent à leurs cibles. S'il est vrai qu'« il n'y a pas plus facile que de déposer une bombe ou de se faire exploser », comme le disait le ministre de l'Intérieur, l'Etat a le devoir de trouver la parade aux attentats kamikazes. La population l'exige. M. Zerhouni a répété hier que c'est une preuve que les terroristes sont dans l'impasse, mais la population continue de subir de plein fouet le terrorisme. L'attentat n'a pas encore été revendiqué, mais l'on privilégie la piste de l'ex-GSPC. Les groupes activant dans la wilaya de Boumerdès et en Kabylie de manière générale sévissent et menacent la quiétude et la sécurité des citoyens.