La réconciliation nationale, telle qu'elle a été initiée, nonobstant ses faiblesses, a été pour le peuple algérien une démarche acceptable. Elle a calmé bien des ardeurs et soulagé bien des douleurs. En l'espace de quelques années, ses effets n'ont pas seulement apaisé les esprits, freiné les élans néfastes, mais aussi remis, un tant soit peu, sur rails, certaines mesures d'urgences propres à la gestion des affaires de l'Etat. L'opulence dont s'est caractérisée l'économie nationale ces dernières années est, grâce à Dieu, en partie due à cette approche humanitaire qui mérite notre approbation et notre soutien. Cependant, elle demeure insuffisante et inachevée pour être accomplie comme mission, tant les profondeurs occultes et les racines du mal induites des tumultes précédents, des rancœurs et de rancunes historico-politiques, accidents d'un parcours naturel dans la constitution des nations, dont l'Algérie n'est sûrement pas exempte, et ne doit pas servir d'alibi pour certains esprits malveillants pour perpétuer cette haine désabusée, et continuer à profiter aux uns et en exclure les autres et consacrer l'inégalité au sein de cette société qui a tant souffert. Monsieur le Président, Vous n'avez pas besoin de museler, ou qu'on musèle à votre place, pour être reconnu en tant que tel. Vous avez tous les atouts et toutes les compétences nécessaires et suffisantes pour mener à bien la phase transitoire dont se caractérise le pays. Une phase qui n'a que trop duré à mon sens. Et qui ne fait que profiter à bien des égards aux rapins et escrocs de tous bords. Nous sommes dans l'attente d'un renouement au sein d'une louable perspective entre les enfants de ce pays, d'hier et d'aujourd'hui. Les hommes que vous avez choisis au gouvernail ne sont pas tous aptes et dignes de vous représenter, et encore moins nous représenter. Ils ne représentent qu'eux-mêmes, à défaut de trouver preneur dans la minorité des minorités de ce peuple. Vous n'avez qu'à tenter l'expérience et les soumettre aux suffrages universels directs pour vous convaincre de leur inexistence populaire. Pour la plupart, ils vivent en dehors de la plèbe, loin des néo-indigènes. Ils se complaisent dans la rente et dans un esprit agrippé à El-Mahsoubia, le clientélisme, la rancune et bien d'autres maux qui gangrènent jour après jour cette noble nation, aux millions et demi de sacrifiés. Certains d'entre eux sont même partagés entre deux nations, porteurs d'une double identité, d'une double perspective, épris d'un double profit, animés d'une double intention, et on ne sait pour qui ils roulent vraiment au point où, sur tous les plans, voire le contentieux entre l'Algérie et la France, nous sommes quotidiennement humiliés par cette ex-puissance coloniale sans pour autant qu'il y ait réaction ou dénonciation ferme et efficace. Alors que les vrais enfants de ce pays croulent sous leur dictat. Rien ne va plus même si, apparemment, les choses semblent virtuellement évoluer. Tous est chiffres et quantités désuets susceptibles d'effondrement, fragiles et inconsistants. Une économie, bâtie sur les ressources épuisables et épuisantes, aux relents désavantageux d'un modèle désapprouvé pour nous être bénéfique! Monsieur le Président, On ne bâtit pas un pays sur des promesses, des mots sans lendemain, des métaphores occasionnelles qui appâtent les galeries. Nous, jeune génération post-indépendance, sommes gavés de ce type de discours, sans qu'aucune initiative concrète ne vienne consolider nos revendications et celles des milliers de jeunes dans l'attente d'un signe d'espérance, pour qu'ils s'affirment en tant que tels. Du vide, plein de vide pour remplir le vide, rien que du vide. Du folklore politique tous azimuts. Notre lexique s'enrichit de jour en jour d'étymologies étranges: harga, hittiste, dégoûtage (âge du dégoût), meita (mortel), tafia (éteinte) et bien d'autres expressions que je ne saurais énumérer pour la circonstance. Nul signe probant susceptible de réaffirmer l'adhésion et rétablir la confiance entre tous les composants de cette société. Triq el beylek, Ghir yeslek rassi, tag ala men tag, voici encore des étymologies auxquelles nous sommes encore attelés. Monsieur le Président, Comment peut-on accepter d'être encore au point de départ sur les questions relatives à la décolonisation de la mémoire de notre nation? Que ce soit le 8 mai 45, le 17 octobre 1961, le 11 décembre 1960. Les essais nucléaires, les résistances de l'Emir Abdelkader, de Mokrani, des Béni Chougrane, les enfumades du Dahra et biens d'autres moments tragiques qu'avaient vécus nos ancêtres et nos aïeux, nos pères et grands pères, pas plus loin que les atrocités perpétrées par l'OAS, réhabilitée par la France officielle de 1962. Mai 45, le mois de la mémoire, déclassé par celui du patrimoine, malgré les sommes faramineuses qu'avaient dépensées le ministère des Moudjahidin, les walis et bien d'autres institutions pour marquer l'événement, n'ont fait que verser dans la poudre aux yeux. Aucune publication digne de ce nom, aucun travail de fond consolidant pour apporter un plus, un iota même dans l'approche juridique capable de nous ouvrir des voies et moyens pour plaider notre cause dans les juridictions internationales. Aucun espace digne de ce nom, à l'image des mémoriaux de la shoah pour informer nos enfants et leur apprendre l'histoire de leur pays et celle de leurs valeureux aïeux. 600 correspondances adressées aux députés et membres du conseil de la nation, pour les inciter à réfléchir sur la question du rétablissement et la reconnaissance de nos martyrs de 1945 en tant que chouhada à part entière, sont restées sans lendemain. S'ils ne sont pas reconnus par leurs pairs, par leur nation; comment voulez-vous qu'ils le soient par leurs bourreaux? Seules quelques voix, méritoires, ont accueilli cette proposition avec dignité et intelligence. Nous saluons au passage, Abdelmadjid Amokrane, pour son acuité historique et son soutien à la cause. Monsieur le Président, Aujourd'hui, l'Etat Français héritier direct et légal de l'Etat colonial, comme nous l'avons souligné en tant qu'association à plusieurs reprises, nous nargue et traite les crimes commis sur notre sol comme de vulgaires et malheureux accidents de la route. C'est lui qui décide du sort des victimes comme il l'entend, sans pour autant qu'une voix digne de ce nom ne daigne réagir et répondre par la réciproque au même niveau des pouvoirs. On se demande, en tant que génération post-indépendance, où sommes-nous vraiment; est-ce sur une terre libérée ou une terre encore sous emprise coloniale? Indiquez-nous le chemin à suivre, Monsieur le Président, dans le cadre de cette réconciliation, d'abord entre nous, pour s'armer et faire face aux attitudes hautaines des ex-colonisateurs. Aiguillez notre ardeur et notre courage pour nous permettre de restituer notre dignité qui semble s'effriter entre les mains d'indignes représentants du peuple. La Fondation du 8 Mai 45 s'inscrit en faux face au traitement sélectif et aux attitudes étrangement incompréhensibles de certains de nos politiques et représentants du peuple qui confondent entre nation libre, indépendance, souveraineté, relations diplomatiques et globalisation. Gloire et éternité à nos martyrs et Vive l'Algérie libre et indépendante. Boukherissa Kheiredine Le Président de la Fondation du 8 mai 45