Pas à pas, l'Algérie a avancé dans la voie de la paix recouvrée, passant de la Rahma, à la Concorde civile, puis, aujourd'hui, à la Réconciliation nationale, dernière étape à même de fonder une certaine amnistie, comme le considérait fort justement, voici quelque temps, Abdelhamid Mehri. Les grandes douleurs, surtout lorsqu'elles sont muettes, requièrent beaucoup de temps, beaucoup d'efforts et de sacrifices pour pouvoir se cicatriser. C'est dire la limite des textes, car il en va de la souffrance des peuples comme des individus. Immense est l'affliction des dizaines de milliers de familles éprouvées, immense est le traumatisme du peuple algérien qui a vécu une décennie cauchemardesque au cours de laquelle les limites de la barbarie ont été repoussées au plus haut point. Des ONG internationales, toujours silencieuses quand il s'agit du peuple palestinien martyrisé, du peuple sahraoui spolié et du peuple irakien atomisé, cherchent encore à exploiter leur fonds de commerce infâme du «Qui-tue-qui» créé au plus fort de la tragédie nationale. C'est donc avec un grand dépit qu'elles observent, depuis les dix dernières années, l'aptitude du peuple algérien à s'extirper de l'arène fratricide où l'ont précipité d'obscurs laborantins politiques. L'espoir est revenu en 1997. Depuis, la paix s'est imposée, lentement, graduellement, et nous voilà à l'orée du véritable défi, celui d'une réconciliation nationale authentique, nourrie des efforts de tous les hommes de bonne volonté, quel que soit leur bord et sans tabou aucun. Le différend entre les partisans de la clémence et ceux de l'éradication a toujours existé, dans tous les conflits de tous les pays. Certains sont plus sensibles au drame humain que d'autres qui n'en ont cure. Certains laissent parler leur coeur aussi fort que leur esprit et d'autres ne reconnaissent que le langage de l'épée. Fort heureusement, ce sont les adeptes de la ligne médiane qui font souvent la majorité et qui amènent leur peuple à transcender les aléas de la souffrance, puis à accepter ceux de la réconciliation. De Mohamed Boudiaf à Abdelaziz Bouteflika, en passant par Liamine Zeroual, on retrouve ce souci de la solution médiane qui privilégie le salut de la nation, d'abord et avant tout, même si chaque démarche a obéi à une vision personnelle et à des arrière-pensées politiques indéniables. Le regretté Boudiaf ne disait-il pas, dans l'avion qui le ramenait vers son tragique destin, fort de conviction: «A tous, sans exception, je tends la main, avec confiance et espoir, et renouvelle mon serment pour la réconciliation.»? Il n'a pu, paix à son âme, accomplir la mission pour laquelle il est sorti de son ermitage marocain. Mais l'idéal d'un peuple ne meurt jamais avec un homme, fût-il le plus grand. Abdelaziz Bouteflika a relevé le défi. Très vite, il a libéré le pays du carcan de la peur et des larmes. Mettant hors-jeu la spirale destructrice de la violence et de l'autisme politique exploités par certaines chapelles, il a su convaincre la nation de l'incontournable adéquation entre la paix et l'impulsion du développement. Celui-ci est peu à peu relancé à travers un investissement public croissant, favorisé par une spectaculaire embellie pétrolière, et des investissements directs étrangers de plus en plus importants, même si, par ailleurs, ils restent sujets à controverse. Le pays qui a considérablement régressé, durant la décennie sanglante, engrangeant les destructions à profusion, devrait sortir du paradoxe d'une économie prospère et d'une population de plus en plus pauvre. Pour que le retour à la paix soit irréversible et pour que l' indispensable confiance en l'avenir soit régénérée, l'Algérie doit dépasser les attentes, les tergiversations, les ambitions velléitaires qui perdurent encore. L'incommensurable préjudice subi par le pays exige beaucoup d'argent et de temps pour être réparé. Or, la population, particulièrement la jeunesse, se montre, à bon droit, impatiente, révoltée, tant la précarité des conditions de vie est immense. Peu leur sied que l'Algérie ait été, quelques années auparavant, une terre exsangue ou que les plaies de la tragédie soient encore vives, je pense en particulier à l'indicible douleur des mères de disparus. Incongrue apparaît, dès lors, la rhétorique du juste et de l'injuste, parce que la philosophie du pardon sacrifie toujours à l'injustice et que c'est là la grandeur du geste. Le peuple algérien est en train d'apprendre à pardonner mais, plus que cela, il lui incombe de se réconcilier avec lui-même, dans ses diverses composantes, avec la somme de ses différences et de ses contradictions. Tel est le prix à payer pour réhabiliter son histoire et recouvrer son authenticité et ses ambitions séculaires parmi lesquelles la liberté qui a un goût particulier. Entre repentance sincère et pardon librement consenti, il est appelé à un élan novembriste à même de le ressourcer. Telle est la leçon et tel est le défi. L'Etat algérien doit véritablement se réformer, comme n'a cessé de le dire et de l'entreprendre le président Abdelaziz Bouteflika, car il faut assainir le terrain des germes de la discorde qui vont de la hogra à la corruption, devenue un sport national. Ce sont, bien entendu, ces facteurs qui ont généré la tragédie. Il est certain que la Réconciliation nationale est une exigence autant qu'une chance que les Algériens n'ont le droit ni d'ignorer ni de galvauder, et encore moins de mépriser. Elle est, en effet, le prélude au travail d'assainissement des moeurs et des institutions qui ont été minées par la gangrène de maux sociaux dont, et ce n'est pas une consolation, notre pays n'a nullement le monopole. Nous devons vivre cette psychothérapie nationale, avec foi, avec espoir, en gardant à l'esprit que les peuples, comme les individus, ont besoin, pour avancer, plus que d'absolution, de vérité.