Parler des mêmes événements et utiliser les mêmes concepts devrait normalement réaliser les convergences nécessaires pour une entente entre tous les acteurs. Et pourtant, la réalité est tout autre. Plus on partage les mêmes concepts, et plus on se met en position de diverger et de produire par chacun une vision éradicatrice de l'autre. Pourquoi n'y a-t-il pas de consensus là où tous les acteurs parlent le même langage ? Il y a souvent de ces moments où, pour ce qui concerne des événements majeurs et donc des thérapies adéquates que cela implique, on procède irrationnellement à l'emploi de concepts dont on fait volontiers l'économie de l'explicitation de leurs contenus. Les contenus ne sont pas du tout explicités. Savons-nous seulement la signification des mots que nous utilisons et leur portée? Cela peut paraître vraiment paradoxal que les mêmes mots ne véhiculent pas les mêmes visions et les mêmes démarches. Considérons, par exemple, le concept de réconciliation nationale. Ceux qui ont été liés par le contrat de Rome ainsi que les pouvoirs successifs ont rejeté dans la forme, dans les détails et dans le fond la démarche des autres. Les deux camps parlent bien de réconciliation nationale mais, dans les démarches, ils sont prêts à s'entretuer, ou presque. Le même costume mais pas la même personne dedans. Le contrat de Rome portant réconciliation nationale est élargi à toutes les forces politiques sans exclusive. Aït Ahmed explique que cette démarche entre acteurs politiques va empêcher un dialogue et un accord entre «militaires» des deux camps. Quel sens sera-t-il donné à la réconciliation nationale ? Quelle situation nouvelle sera créée de l'achèvement de la conduite du processus de réconciliation nationale dans les deux cas, à savoir que le pouvoir interdit toute réintégration à la vie politique alors que, d'après les interviews «accordées» par les «émirs» à la presse nationale, il en est ressorti une aspiration et même une volonté d'y parvenir. Pourquoi parler de paix à instaurer et pas d'ordre public à rétablir? Dans le cas où on ne reconnaît pas qu'il s'agit d'une lutte pour une cause politique, on n'a plus à parler de rétablissement ou de retour de la paix, mais plutôt de rétablissement de l'ordre public. On parle souvent de rétablissement de la paix, ou de retour de la paix. Mais, on parle également de lutte contre le terrorisme. Continuer la lutte veut signifier que la paix n'est pas encore de retour. Dire que la paix est revenue dispense de la posture de vigilance, mais on ne parle plus, également, de vigilance à faire observer par les populations. Alors, il y a encore trop de confusion dans ce qui est recherché de part et d'autre. Pourquoi répéter que la paix est revenue ? Lorsqu'on parle de paix, on admet que l'enjeu est politique, et lorsqu'on parle d'amnistie générale, on reconnaît encore plus que l'enjeu est politique, que chacun de chaque côté lutte pour ce qu'il croit être une cause politique. Lorsque la lutte est menée exclusivement par les forces de l'ordre, on criminalise les auteurs de ladite violence, mais, lorsque c‘est l'armée qui intervient, on décriminalise la violence pour lui conférer le caractère politique. L'amnistie elle-même décriminalise la violence car il ne peut pas y avoir d'amnistie pour les criminels. Rochdi Ould Yahia