Si le projet du port de pêche et de plaisance, en cours de réalisation à la Salamandre, distante de 3km à l'ouest de la ville de Mostaganem, devrait être opérationnel au début de l'année 2010, si l'on en croit les prévisions des plus optimistes, il aura eu le temps d'engloutir près de 3 milliards de dinars, alors que son enveloppe initiale ne dépassait pas les 1,8 milliard. Pourtant au début, ce projet avait été accueilli avec enthousiasme par les habitants de la Salamandre, à leur tête, les gens de la mer et les pêcheurs, tout heureux à l'avance des impacts attendus sur l'activité commerciale et par-delà, ses répercussions sur la résorption du taux de chômage local. Il n'en demeure pas moins vrai, que des dizaines de familles regrettent maintenant et amèrement d'avoir applaudi à cette perspective, quand on sait dans quelles conditions les choses se sont déroulées. Des promesses parties avec le vent du large En effet, partant du principe que l'on ne fait d'omelette sans casser des œufs, l'étude de cette nouvelle infrastructure portuaire a préconisé la démolition des dizaines de constructions abritant des activités ainsi que des familles, pour faciliter l'accès au site affublé du titre ronflant de «projet d'utilité publique». Les expropriés ne cessent de réclamer leurs droits et affirment: «En 2002, le wali nous avait pourtant assuré, que personne ne serait touché dans ses droits légitimes et que les professionnels de la pêche seront recasés non loin de la cité balnéaire, pour leur permettre d'exercer leurs activités habituelles, en toute sérénité. Au lieu de s'en tenir à cette promesse, que nous aurions dû exiger par écrit, puisqu'elle a été balayée par le vent du large, précisent nos interlocuteurs Abderrahmane et A.F., le barème utilisé dans l'évaluation des terrains d'assiettes et pour le bâti, est loin de refléter les prix du marché. Les responsables concernés n'ont pas tenu compte dans cette évaluation du caractère touristique de la zone, dont nous avons été délogés ni du prix à offrir par rapport au marché. En fait, le montant qui nous a été imposé de facto, ne représentait même pas le tiers de la valeur réelle. Et tout çà, pour en faire profiter des intérêts, dont on ne connaît rien des investissements attendus ni de leur retombée économique sur la région ni encore moins de leur origine», ont-ils ajouté. Quels intérêts occultes se cachent derrière ce projet ? S'agissant de l'indemnisation des expropriés, du moins ceux qui n'ont pu fournir de titres de propriété, ils ont été tout simplement recasés au niveau des cités de la ville, bien loin de leurs lieux d'activités. A titre de simple illustration, l'indemnisation d'une demeure d'habitation a été estimée à 90 millions de centimes par l'administration, alors que l'expert immobilier appelé pour donner son avis, l'a estimée au bas mot, selon notre source, à pas moins de 900 millions de centimes, rien que pour le bâti. «D'ailleurs, diront certains chefs de familles, des procédures judiciaires ont été engagées récemment devant les tribunaux pour revendiquer nos droits légitimes, face à ce que nous considérons comme une véritable arnaque, camouflée sous les oripeaux de «l'utilité publique» et qui atteint de plein fouet nos intérêts vitaux et ceux de nos familles». Certains commerçants qui avaient fait fructifier leurs locaux, ont même refusé d'accepter ce qu'ils appellent «cette caricature de dédommagement», pour réclamer un autre espace pour relancer leur activité au sein de cette même cité balnéaire, et ce, grâce à des indemnisations plus équitables. «Or, en demandant cela, nous avons la certitude que nous empiétons sur un domaine réservé à des intérêts occultes», soutiennent Salim, Mustapha et Menouar, des patrons pêcheurs, qui ont acquis leur métier de père en fils et qui se sont retrouvés à vivre dans une cité de la ville, loin des odeurs d'iode auxquelles ils étaient habitués. Un encouragement à la « Harga » «Un éloignement qui nous fera perdre sûrement notre métier, car faute d'espace de stationnement, nous avons tout vendu: matériel et embarcation de pêche. «Privés ainsi de port d'attache et parqués dans un F3, loin de la station de la Salamandre qui nous a vus naître, nous ne voyons pas comment nous allons pratiquer notre métier. «D'ailleurs ce F3 ne suffit même pas à notre famille nombreuse. Comment voulez-vous y ajouter tout notre matériel de pêche», nous lance un rien moqueur Abdelkrim, un jeune pêcheur confronté du jour au lendemain aux affres du chômage. Ils sont d'ailleurs des dizaines de jeunes à se retrouver ainsi dans la même situation, sans autre perspectives que celle de changer d'horizon: «Et c'est avec de tels procédés que les autorités pensent arrêter la Harga (émigration clandestine)?...», nous lance Abdelkrim, cette autre victime tombée du panier de l'expropriation. Parmi les pêcheurs expropriés, certains avouent s'être reconvertis en trabendistes au niveau du souk informel de Aïn Sefra à Mostaganem, où on les retrouve derrière des étals de fortune à vendre des légumes, des fruits voire du poisson pour rester fidèle à ce qui les a nourris durant des décennies, avec leurs familles. Il se trouve que parmi ces professionnels de la pêche empêchés de pratiquer leur métier, certains auraient même bénéficié des aides de l'Etat dans le cadre du développement de la Pêche et des Ressources halieutiques. Résultat: «ils passent maintenant des nuits blanches à se demander comment vont-ils faire pour rembourser les crédits obtenus», reprend Abderrahmane sur un ton amer. Tension au sein des professionnels de la pêche Un ton qui dénote la tension entretenue au sein des professionnels, mis au chômage à leur corps défendant. Une tension qui est montée de plusieurs crans au fil des jours, avec tous les risques qu'une telle frustration peut générer. En revanche, du côté de certaines sources administratives, la sérénité est de mise. Pour elles, le barème intervenant dans l'évaluation d'un bâti, change en fonction de la nature de la construction et l'évaluation n'est pas de la même manière, entre une habitation en bon état et une autre de nature précaire. «Les indemnisations des terrains d'assiettes expropriées varient de 600Da à 1.012.800Da, alors que les bâtis allant de 50m² à 633m² ont été indemnisés entre 4.275Da et 5.788.160Da. Et de préciser que «l'évaluation des terrains s'est basée sur les prix pratiqués par le marché de l'immobilier». Puis passant au plan juridique, la même source rappelle la loi 91/11 du 27 avril 1991 fixant les règles relatives à «l'expropriation pour cause d'utilité publique». «Le marché de l'immobilier au niveau de cette zone a été complètement paralysé, d'autant que nombreux sont les habitants qui ont mis leurs demeures en vente, de peur de tomber sous le coup de l'expropriation et par voie de conséquences celui de la démolition, «pour cause d'utilité publique», nous dira B.A. qui ajoute: «J'ai reçu la visite de plusieurs acheteurs, mais aucun d'eux n'est revenu, pour conclure la vente». Lui-même avoue d'ailleurs craindre que sa demeure ne soit rasée un jour ou l'autre, dans la même optique. Une réévaluation de plus de 1,2 milliards de dinars Pour ce qui est du port de pêche et de plaisance, dont les travaux ont débuté en mars 2002 et sa réception prévue avant la fin de l'année 2005, selon les délais impartis, pour une autorisation de programme (AP) estimée à 1.781.211.074,10Da, il devait accueillir 205 unités réparties entre 33 chalutiers, 37 sardiniers, 89 petits métiers et 50 bateaux de plaisance et embarcations diverses. Les prévisions de sa production halieutique étaient de l'ordre de 10.500 tonnes/an. Or, ce projet a été mis à l'arrêt durant 15 mois et les travaux n'ont redémarré qu'après la résiliation du contrat avec SOTRAMO et sa reconduction avec la société croate «INGRA» chargée de l'opération de dérochage, le projet étant finalisé par l'entreprise nationale MEDITRAM. Selon des sources proches de la direction des Travaux Publics (DTP), l'enveloppe en question a été réévaluée à 2.965.000.000Da, soit plus de 1,2 milliard de dinars d'augmentation par rapport à l'enveloppe initiale. Finalement, ni l'Etat ni les expropriés ne sortent à leur avantage avec ce projet qui traîne en longueur et qui coûtera de plus en plus cher, depuis l'année 2002, tout en faisant le malheur des dizaines de familles de pêcheurs et commerçants de la Salamandre, qui continuent à s'interroger sur leur avenir et celui qu'ils réservent à leurs enfants, alors que les retombées économiques attendues restent pour le moins dans le vague de l'incertitude.