Il faut préciser que la réponse est différente selon la chapelle qui la formule. Ainsi,on peut apprendre que s'il y a besoin qu'il se plaigne, alors, il se plaindra tout entier avec la même fréquence et sur le même sujet. De même, s'il y a besoin qu'il ait un avis, alors, il aura le même avis sans nuance exprimée. Et les réponses peuvent être groupées en deux grands ensembles distincts, le peuple est derrière le pouvoir ou le peuple subit le pouvoir. Les réponses proposées sont déclinées au profit de la partie qui en est l'auteur. Le confort est total. On peut adapter, à son credo, l'opinion des Algériens à volonté et, en prime, ignorer les vents indésirables. Ceci se vérifie autant pour les tenants du pouvoir que chez ceux qui s'opposent àeux, en passant par toutes les voix que le pays intéresse, les nationaux comme les étrangers. Les politiques comme les médias. Le peuple, lui, se tait. Quand il s'exprime, c'est dans ses couches les moins portées sur la rhétorique,toujours les mêmes, et par l'émeute. Les chapelles donnent immédiatement des réponses, alors que l'émeute a tout dit et ne leur a rien demandé. Selon le sens de l'émeute, elle sera soit le fruit d'une manipulation occulte, soit la confirmation du projet partisan. Ajoutons que de simples sit-in ont été qualifiés d'émeutes et la dispersion musclée, de petits groupes de manifestants, de répression sanglante. Cette situation décrit l'Etat de la démocratie algérienne et le comportement de ses acteurs et révèle la difficulté d'ouvrir des débats utiles. L'une des dernières occasions est celle des élections présidentielles. Les taux de l'abstention des électeurs ont été au centre de l'actualité, durant très longtemps, avant et après le scrutin. Les opposants les ont d'abord prédits,sans indiquer leurs sources, ils ont ensuite pavoisés en les présentant comme une désaffection vis-à-vis du pouvoir. Cela peut être avéré. Mais, peut-on l'affirmer quand rien ne le prouve ? Et peut-on dire que tous les abstentionnistes ont manifesté un geste politique construit et délibéré ? L'opinion publique est, selon les principes universellement partagés, le fondement de la souveraineté populaire. C'est elle qui fait qu'un courant, un mouvement ou un parti peut s'imposer sur la scène politique. Plus une idée est partagée, plus elle donne à ceux qui la portent le poids social incontournable.Elle peut être mesurée, y compris, dans l'absence de libertés publiques, par l'importance des mobilisations qu'elle peut réaliser ou par celle des réseaux qu'elle peut construire. Son respect, par sa juste appréciation, devient donc une obligation pour ses leaders prétendants, et de cette appréciation dépendent le bien fondé et le succès de la stratégie à adopter. Sinon, en cas de décalage entre l'opinion publique et le faire de ses supposés représentants, nous nous trouvons plutôt en présence d'une dictature établie ou qui aspire à l'être. On suppose qu'il existe une assise sociale suffisante et agissante. Ce qui doit se concrétiser par un tissu associatif très diversifiée et assez important, des organisations syndicales, des partis politiques qui ne soient pas des créations administratives de quelque forme que ce soit ou des associations opportunistes et des médias libérés. En résumé, cela signifie l'existence d'une citoyenneté traversée par des débats de fond. Cela n'est pas. Cela dure depuis 1956, lorsque les formations, alors, représentatives de courants réels de la société, ont découvert que les opinions qu'elles devaient exprimer ont rejoint le FLN. Elles se sont dissoutes ou intégrées dans le front et n'ont jamais pu réellement en sortir. Le PCA, devenu PAGS, a survécu en« soutien critique » du pouvoir pour disparaître assez vite, les Uléma en se mettant à la disposition de ses services idéologiques et l'UDMA quia implosé. La brève histoire du pluralisme retrouvé nous donne l'expérience d'une« démocratie » menée au pas de charge. La première leçon fut l'irruption du FIS qui, erreur fatale, se décréta parti de l'ensemble du peuple algérien, sur la base de sa vision de l'Islam. Il lui en coûtera de croire prendre le pouvoir sans coup férir. La deuxième est le retour du FFS resté prisonnier de son ancrage régional et la création du RCD, par une OPA manquée, sur le Mouvement Culturel Berbère. La troisième est le déferlement d'une cinquantaine de sigles, sortis de réunions de familles ou de villages et lancés à l'assaut des tribunes politiques. L'échec de l'insurrection du FIS, puis le coup d'arrêt à ses ambitions théocratiques et la transformation d'un pan de son appareil en guérilla sanglante, va lourdement affecter les conditions de la construction d'un espace démocratique. La quatrième leçon est le retour, en force, de la « légitimité historique », avec les plébiscites de Zeroual en 1995 et de Bouteflika en 1999. La cinquième leçon est la découverte d'une opposition, sortie du sein du pouvoir, plus démocrate que jamais. La centrifugeuse a fait des miracles. Des personnalités qui ont traversé toute la période dictatoriale, aux postes de commandes, se proposent au choix populaire. La dernière leçon et non la moindre est la constitution d'une presse privée (ou indépendante, c'est selon) par les journalistes de l'ex presse unique. Il n'est pas étonnant, alors, de constater que l'opinion publique a très peu compté et n'a pas beaucoup pesé dans le cours des choses, sauf à former un très vaste marais qui ne s'est manifesté que pour dire oui, deux fois, contre, de toute évidence, la « démocratie vécue » et pour le retour aux certitudes connues et éprouvées. De tout point de vue, elle ne compte pas. Les derniers débats publics, sur la non-limitation des mandats présidentiels, ont apporté la preuve éclatante que les urnes, donc l'opinion, n'est pas invitée. La quête du pouvoir,de ceux qui veulent y être, passe par d'autres chemins. Le DRS et autres cabinets noirs, voila le secret de tout ce qui se ferait et déferait en politique. Des émeutes des jeunes kabyles aux élections, aux crises des appareils partisans une seule main qui tireraient les ficelles, le DRS. Les jeunes émeutiers ont apprécié, ils ne votent plus pour personne. Tout est clair, il n'y a plus rien à comprendre,donc rien à faire que demander aux « services » d'appliquer la« démocratie » et dans le sens qu'on voudrait, s'ils veulent bien. Il se trouve des « politologues » (cette spécialité existe ?) qui nous expliquent que le DRS fait l'Algérie et la CIA le monde. On attendra alors que les libertés tombent du ciel en évitant les rets des espions et des polices secrètes. En attendant, on parle au nom du peuple à défaut de l'écouter et de chercher à en être. Ahmed Halfaoui