L´Europe a froid. L´Europe frileuse se recroqueville, se replie sur elle-même et recouvre ses extrémités exposées aux vents du Sud. Elle qui, jadis, organisait de longues expéditions rémunératrices, s´enveloppe à présent d´un long rideau de fer barbelé, de policiers, de douaniers et de lois purement exclusives. Le référendum qui vient de se dérouler en Suisse est alarmant à plus d´un titre. D´abord, il risque d´inaugurer une série d´autres initiatives plus restrictives qu´exploiteraient les partis populistes à l´affût de la moindre inflexion d´une opinion publique fragilisée par une crise économique aux multiples rebondissements, et par le comportement de certains courants islamistes jusque-là adulés par les partis se réclamant de la laïcité. Ensuite, pour la première fois, un holà populaire, qui a force juridique, met un terme à l´expression formelle d´une pratique religieuse. Quoi? En Suisse? C´est impossible! Le pays qui a donné asile à tant de réformistes en butte à toutes les persécutions des pouvoirs absolus: les luthériens, les calvinistes, Voltaire, qui a servi de refuge aux exilés politiques menacés par les Erinyes des régimes à parti unique de leur patrie, qui a enveloppé d´un cocon chaud les dictateurs chassés par des révolutions, qui a offert la profondeur ouatée de ses coffres-forts à des fonds pas toujours catholiques, refuse à présent, au grand étonnement de tous, une forme architecturale qui symbolise l´exercice d´une religion. Comme le faisait remarquer un homme politique averti: «La démocratie directe peut être dangereuse pour la démocratie tout court car elle ne passe plus par le filtre d´une représentativité.» La démocratie directe donne l´occasion à des citoyens qui n´ont pas les instruments d´analyse d´une situation politique ou culturelle donnée, l´occasion d´intervenir et de peser sur la législation. L´opinion publique, manipulée par les mouvements extrémistes se retranche souvent dans un isolement dicté par la peur des autres et de leurs symboles. Et c´est justement là que le bât blesse! Le minaret n´étant qu´une forme architecturale (que n´impose nullement la Doctrine) exprimant la présence d´une communauté musulmane, ne saurait être confondu avec l´utilisation de cette même religion par des groupes qui n´ont aucun programme consistant à proposer à leurs coreligionnaires déjà revenus de tant de promesses non tenues par des partis nationalistes précédents. L´Europe, qui a longtemps souffert des luttes sanglantes entre des clans et des partis qui s´abritaient derrière les religions, a trouvé le compromis nécessaire pour mettre la politique à l´abri des querelles de chapelle: la laïcité n´est en fait qu´une invention de Jésus-Christ. Il aurait dit: «Il faut laisser à Dieu ce qui est à Dieu et rendre à César ce qui appartient à César.» Mais, voilà: l´arrivée massive de populations du Sud chassées par les guerres, la misère et les régimes dictatoriaux ou intégristes, commence à inquiéter les franges de la population les plus exposées à toutes les spéculations: après les histoires de foulard, de burqa, voilà que maintenant le débat sur les minarets repose, dans une actualité brûlante, la place de l´Islam dans une Europe laïque et méfiante. C´est le recteur de la Grande Mosquée de Paris qui a trouvé les leçons à tirer de ce refus de la majorité des populations suisses en appelant «les musulmans à pratiquer un Islam modéré conforme aux idées républicaines» en cours au nord de la Méditerranée. Mais ce référendum suisse doit aussi interpeller les régimes et les peuples du Sud: dans les pays où l´on fait la chasse à ceux qui font lire «la Bible», où l´on soumet un texte universitaire à une commission de lecture du ministère des Habous, où l´on a inventé le délit de prosélytisme, permettrait-on la construction d´une église?