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Ali Fawzi Rebaïne. Président du parti AHD 54 : «La voie la plus rapide pour opérer un changement passe par une présidentielle anticipée» Entretien : les autres articles
- Bien avant que le président Bouteflika n'égraine son chapelet de réformes – des réformes sur lesquelles nombre d'acteurs politiques s'accordent à dire aujourd'hui qu'elles ont été vidées de leur sens – vous proposez d'aller rapidement vers une présidentielle anticipée. Qu'est-ce qui justifie cette proposition ? J'ai dit, après les émeutes du 5 janvier, qu'il faut ouvrir une nouvelle page rapidement. C'est le bon sens paysan qui le recommande. Comme nous sommes dans un régime présidentiel, la voie la plus rapide pour opérer un changement passe par la convocation d'une élection présidentielle anticipée. Tout le monde de surcroît sait, car c'est un secret de Polichinelle, que le Président, pour des raisons de santé, n'est pas en mesure de remplir convenablement sa mission. Pour aller au plus vite vers une stabilité institutionnelle, pour qu'il n'y ait pas de vide institutionnel et qu'on retombe dans le Haut Conseil de sécurité, etc. - Après un début d'année mouvementé sur le plan social et politique, la situation est pratiquement revenue à la normale, quasi pacifiée. Exceptés les mouvements catégoriels et sectoriels, la contestation politique n'a plus cours. Pensez-vous que la lecture faite par le pouvoir de la contestation du début d'année, marqué notamment par les émeutes du 5 janvier, se révèle juste ? Que le mouvement de contestation n'avait rien de «politique» et qu'il était exclusivement social ? Même s'il ne s'agit que d'émeutes sociales, celles-ci sont nécessairement sous-tendues par des positions politiques. On ne peut pas les réduire uniquement à des émeutes du pain, de la semoule ou du sucre. Ces émeutes sont d'abord la résultante d'une politique. En amont ou en aval, on revient à la politique. Pour moi, c'est un faux débat. Le pouvoir a-t-il eu gain de cause depuis janvier ? Non. Il n'a fait que retarder l'échéance. Pour le pire ou pour le meilleur, on ne le sait pas encore. Nous, nous aurions souhaité que la société civile, les partis politiques soient mieux organisés, qu'ils aient le droit à l'expression, le droit d'encadrer toute cette volonté populaire et de canaliser l'énergie dépensée. C'est la seule voie pour éviter le recours aux armes, à la violence et des scénarios à la libyenne ou à la syrienne. Après 20 ans de terrorisme, nous avons le devoir d'éviter que tombent de nouvelles victimes. - Pensez-vous qu'il est encore possible de rassembler l'opposition, de jeter des passerelles entre ses différentes chapelles ? Il y a lieu de s'interroger d'abord si cette opposition existe vraiment et s'il ne faudrait pas la construire. Moi, je dis qu'il faudrait la construire. D'abord, n'est pas opposant qui veut. Aussi, ce n'est pas en recyclant le personnel politique compromis avec la politique du pouvoir qu'on arrivera à quelque chose. La crédibilité des opposants ne se construit pas de cette façon. Autre chose : ce ne sont pas les médias qui font l'opposition ; c'est le peuple qui décide. Construire l'opposition, à mon avis, peut se faire sur les mêmes termes sur lesquels nous nous étions engagés il y a 20 ans. Il y a 20 ans, tous les partisans de la liberté et de la démocratie, qu'ils soient issus du Mouvement culturel berbère, des associations de chouhada, de la Ligue des droits de l'homme, etc., s'étaient réunis autour d'un minimum. Ce minimum, il faudrait le mettre en place, le discuter en mettant de côté sa philosophie politique. Et j'estime à ce propos que les clivages de type laïc, islamiste, etc. sont tout à fait farfelus. On ne contribuera pas à la construction de cette opposition si on se focalise uniquement sur les éléments de division. Ce «minimum» peut s'articuler autour du respect des libertés. La liberté pour tous. Les mêmes droits pour tous, mais aussi les mêmes devoirs.
- Les partis de l'opposition historique peuvent-ils mobiliser dans l'Algérie 2011 ? Des partis comme le FFS, l'Ex-FIS, le RCD… peuvent-ils prétendre encore à une place sur l'échiquier ou faudrait-il inventer de «nouveaux» instruments de lutte ? A mon avis, il faut passer à autre chose. Une autre réflexion, une autre approche sont nécessaires. L'approche partisane ne règle rien et surtout pas à l'ère de la mondialisation, des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Il faudrait qu'on trouve un dénominateur commun. Ce n'est pas sur des parcelles de philosophie et d'obédience politique qu'on construira un vrai pôle d'opposition. De grands axes, communs à tous, peuvent nous réunir : les droits et devoirs citoyens, les libertés, etc., sont à même de constituer un dénominateur commun. Tenter de remodeler le paysage politique en s'appuyant sur les vieux clivages, sur des bases religieuses ou ethniques ne nous mènera à rien. Je crois, pour ma part, que la génération qui arrive est plus disposée à réaliser cet objectif. - Rached Ghannouchi, le président du mouvement islamiste Ennahda, vainqueur des élections du 23 octobre dernier en Tunisie, était en visite officielle en Algérie. Tirant profit des «révolutions arabes», les islamistes sont officiellement au pouvoir en Tunisie, officieusement en Libye et ce sera probablement le cas en Egypte. Pensez-vous que les islamistes algériens peuvent en faire autant et prendre le pouvoir, 20 ans après l'annulation des résultats des élections législatives remportées par le FIS ? Les islamistes du type terroristes, non, je ne crois pas. Je ne dirais pas islamistes, mais plutôt musulmans. N'oublions pas que nous sommes dans des sociétés musulmanes. Et pour vous dire, c'est ma conviction profonde, être musulman et moderne n'est pas contradictoire. La vraie question n'est pas tant l'arrivée des islamistes au pouvoir, mais plutôt de savoir où sont passées, pendant tout ce temps, les forces démocratiques. L'Occident, qui a soutenu les dictatures, assiste aujourd'hui au retour de manivelle. Les forces les plus structurées, les plus proches de leurs sociétés émergent. Indéniablement. Alors que les démocrates découvrent qu'ils n'ont pas d'ancrage social, éloignés qu'ils sont des préoccupations des citoyens. - Peut-on dire, à la lumière des cas qui se multiplient en Tunisie, en Libye et en Egypte, qu'expérimenter un «gouvernement islamiste» devient, pour nos sociétés, une option inévitable, une sorte de passage obligatoire, une quasi-fatalité ? Ce n'est pas un passage obligatoire, c'est un fait. Ce n'est pas une fatalité. Les acteurs politiques n'ont pas joué leur rôle, ou joué un rôle plutôt trouble. Nous avons des opposants qui se sont fourvoyés avec le pouvoir, mais qui nous reviennent aujourd'hui comme des opposants. Il faut reconnaître que la crédibilité sur laquelle le peuple fonde son choix n'a pas été le point fort des forces démocratiques. Plutôt que de se focaliser sur les peurs face à l'arrivée des islamistes au pouvoir, je préfère qu'on essaie de savoir pourquoi les démocrates ont été absents et que peut proposer notre société. Elle peut proposer mieux que ça. Non pas parce qu'on est les «meilleurs», les «plus beaux»… mais parce que nous avons une somme d'expériences qui pourrait nous être utile afin de ne pas glisser vers des modèles de type tunisien ou libyen. La question n'est pas tant d'avoir peur de l'islam. Toute l'Algérie, tous les Algériens sont musulmans. Est-ce qu'ils sont musulmans et démocrates ? Oui. Mais qui est cet Algérien qui ne voudrait pas s'exprimer librement, disposer de toutes ses libertés ? Ce sont toutes ces questions que porte haut la nouvelle génération. Le système politique actuel, comme tous les précédents d'ailleurs, nous a mis dans ce nœud gordien où il est interdit de choisir : c'est soit le «système» soit le chaos ! Moi je dis que sans eux, ce ne sera pas le chaos ! - Seriez-vous pour le retour en politique des ancien du FIS ? J'ai toujours dit que ceux dont les mains sont tachées de sang doivent répondre de leurs crimes devant la justice. Maintenant, que ce soient les islamistes ou les gens du pouvoir, rien ne m'effraie. Parce que je crois en Dieu et je crois en ma société. Notre histoire, notre guerre de Libération nous inspirent tous les jours. Hélas, notre peuple n'a pas les gouvernants qu'il mérite. Si demain, on se prend à ouvrir les champs politique et médiatique, nos jeunes vont nous surprendre. Le problème aujourd'hui est qu'au sein du pouvoir, au sein de la société, des microcosmes croient pouvoir faire et défaire le monde. Ils se trompent : soit on est dans le sens de l'histoire ou bien on est à contresens. Il faut savoir pourquoi on est venu en politique. Me concernant, je n'y suis pas pour la promotion sociale, mais pour aller aux urnes, affronter la sanction populaire. Je ne me suis pas compromis avec le régime politique, ni bénéficié d'un quelconque privilège. Je n'ai pas été au Conseil national de transition (CNT) ni au Club des pins, car j'estime que c'est au peuple de me donner et pas au pouvoir. Ce pouvoir, je n'en veux pas, d'ailleurs je lui construis une alternative. Et si je rame depuis trente ans, c'est notamment à cause de cela. - Vos avez participé à deux élections présidentielles et vous avez affiché votre volonté de participer aux législatives, l'année prochaine. Croyez-vous à une vie institutionnelle alors que les centres de décision se situent en dehors des institutions de la République ? Peut-être pas aujourd'hui, mais j'y crois. Comme je croyais, il y a 20 ans, à la liberté et aux droits de l'homme, comme je croyais à notre capacité à nous organiser en dehors du parti unique, à tamazight langue nationale et officielle. J'y crois toujours. La question est de savoir comment s'y prendre pour faire avancer les choses. Même si participer ne se révèle pas à notre avantage, déserter le champ politique n'est pas la bonne solution. On doit faire avec les éléments, occuper l'espace, même avec le peu de moyens dont nous disposons. Je crois en un «mieux» et je suis content de constater que les jeunes qui viennent en politique ne sont pas pollués par la propagande du pouvoir politique actuel. - Les révolutions arabes ont mis à l'épreuve la diplomatie algérienne. Celle-ci s'est mise, plus d'une fois, en porte-à-faux par rapport aux aspirations des peuples en lutte, en position de soutien aux régimes dictatoriaux. Quelle est votre appréciation de la situation ? M. Medelci, le ministre des Affaires étrangères, qui n'a pas été assez «intelligent» lorsqu'il était ministre des Finances, à l'époque de l'affaire Khalifa, ne sera pas plus intelligent à l'heure des révolutions arabes. Pour la Libye, je crois fermement qu'on aurait dû intervenir nous-mêmes, avec nos chars et nos avions, au côté du peuple libyen. Car il y allait de nos intérêts, de l'intérêt de tout le Maghreb. Cela nous aurait fait l'économie d'une intervention de l'OTAN dans la région. Et là, je pointe du doigt le rôle de notre armée : l'ANP se doit de défendre les intérêts de l'Algérie à l'intérieur et à l'extérieur. Une armée archaïque, comme la nôtre, ne sert ni les intérêts de l'Etat ni ceux du peuple. Pour la Constitution de 1996, j'ai proposé que notre armée soit une armée de métier et surtout qu'elle accompagne le travail de la diplomatie algérienne et qu'elle porte la voix de l'Algérie dans le concert des nations. Notre diplomatie ne peut être efficace que si elle s'appuie sur une armée forte. L'Algérie occupe une place stratégique, elle peut devenir une puissance régionale, non seulement une puissance militaire, mais aussi économique. Nous pouvons le faire, nous en avons les capacités et c'est dans nos cordes, mais nos gouvernants sont médiocres, leur seul souci est de préserver leur pouvoir et leurs privilèges, ils méprisent leur peuple. - Les partisans de la théorie du complot prétendent que les soulèvements dans les pays arabes sont téléguidés par des puissances étrangères, que l'objectif de ces soulèvements est de dessiner une nouvelle carte du monde arabo-musulman, des «Sykes-Picot» du XXIe siècle. Y croyez-vous ? On n'agite les thèses de la conspiration étrangère que lorsqu'on est faible à l'intérieur. C'est une antienne chez les pouvoirs politiques faibles. Quand on est dans un pays stable, avec des institutions et où on respecte la volonté populaire, on ne craint pas les grands chamboulements et on est dans le sens de l'histoire. - Souhaitez-vous une «révolution» en Algérie ? Non ! Je ne veux pas de révolution. Je veux du changement. Laissons le peuple s'exprimer ! Car ce n'est ni aux militaires, ni à la police, ni au DRS, ni à leurs laboratoires de décider à la place du peuple. Je suis fils de chahid et ce peuple a déjà payé un lourd tribut.
- Pourquoi ? Seulement pour le partage du pouvoir ? Celui qui veut le pouvoir n'a qu'à accepter le jeu démocratique et se présenter devant le peuple. Les octogénaires du système du parti unique doivent s'en aller. Et qu'ils se rassurent, l'Algérie ne sombrera pas dans le chaos. Elle a du potentiel. Nous sommes capable de créer un choc psychologique pour conduire ce pays vers «mieux».