Dans les villages et dechras reculés de la wilaya de Batna, les populations, les femmes tout particulièrement, restent fermement attachées à la célébration de Yennayer, nouvel an amazigh, en signe de fidélité aux traditions héritées de leurs aïeux, depuis des temps immémoriaux. A Mérouana, Arris, Theniet El Abed, Menaâ et bien d'autres localités, les auréssiennes replongent avec plaisir, en cette période de l'année, dans les pratiques reçues de leurs mères et grand-mères, comme la préparation du traditionnel plat de "chekhchoukha" garni de viande ovine. Ce mets, succulent au demeurant, sera consommé exclusivement par les femmes, ce qui confère toute sa particularité à cette coutume chaouie. Certaines femmes préparent également, pour la circonstance, le plat de ''cherchem" (appelé, ici, "icherchem") confectionné à base de blé dur, bouilli d'abord dans de l'eau puis mélangé à du beurre de ferme et à du miel de montagne, au plus grand plaisir des papilles des amateurs de pâtisseries traditionnelle dont la qualité "bio" est avérée. Une autre pratique attachée au cérémonial du nouvel an berbère, consiste pour les ménagères à remplacer certains ustensiles par de la vaisselle neuve en terre cuite. Les pierres du feu de la maison, appelées "m'nasab", au nombre de trois, sont également changées et de nouveaux tapis et couvertures sont tissés pour la circonstance, tandis que l'intérieur de la demeure est badigeonné pour accueillir le nouvel an dans la gaieté et souhaiter qu'il soit de bon augure. Durant la nuit du nouvel an, les ménagères prennent aussi soin de préparer des plats copieux en quantités suffisantes pour tous les membres de la famille et même pour d'inattendus invités, en signe de "baraka" et pour que l'année que l'on s'apprête à accueillir soit une année gorgée de bonheur. Gare toutefois à la femme qui "ose" prêter un quelconque objet de ménage durant la fête de Yennayer, car ce serait-là le présage d'une année de disette et de pauvreté pour sa famille. L'esprit d'entraide est ancré dans chaque famille aurésienne, c'est-là une évidence, mais "pas touche à mes ustensiles" dans le sillage du nouvel an!. Une autre tradition encore très vivace dans la région des Aurès est la réunion des femmes de la famille chez l'une d'entre elles pour parer une petite fille de ses plus beaux atours, la couvrir de bijoux et l'emmener visiter les proches. Pour Mohamed Merdaci, chercheur spécialisé dans le patrimoine amazigh national, il s'agit de "souligner le respect" que l'on doit manifester aux liens de parenté qui font la force de la société amazighe. Le jeu "thi achan" (ou thaâchounet) qui voit les enfants prendre le rôle des parents est également encouragé par les chefs de famille, soucieux d'inculquer le sens de la responsabilité à leur progéniture. Au premier matin de la nouvelle année, les ménagères frottent des herbes vertes sur les bouches des outres avant de les remplir d'eau, en présage d'une saison agricole féconde. Une autre habitude veut que durant la même matinée on renverse une pierre en granit, que l'on appelle "tichakkifine", afin d'interpréter ce que l'on trouve en-dessous. Si c'est une colonie de fourmis, ce sera le signe d'une reproduction abondante du bétail, si "l'on tombe sur de plus gros insectes, c'est qu'on va devenir propriétaire d'un troupeau de bovins", si c'est un trou que cachait "tichekkifine" cela voudrait dire que l'on obtiendra une récolte si profuse qu'on aura à prévoir plusieurs "matmours" (système de stockage souterrain des céréales) pour la conserver. Des traditions pouvant paraître ingénues, qui font sans doute sourire aujourd'hui, mais qui disent toute la richesse et la diversité du patrimoine authentique de l'Algérie profonde.