Les massacres du 8 mai 1945 ont fait, à Guelma et ses environs, plus de 18.000 victimes, selon des statistiques établies par des recherches sur ces évènements que la Fondation du 8-mai-1945 s'efforce depuis des années à faire admettre comme crime contre l'humanité. Soixante-sept (67) ans après ces massacres barbares, tous les témoignages recueillis auprès de parents de victimes ou de militants de la Fondation, créée en 1995 "afin que nul n'oublie", attestent en effet que les actes commis lors de ces évènements, à Sétif, Guelma et Kherrata, constituent de flagrantes violations aux droits de l'homme et sont de nature à être classés crime contre l'humanité. Beaucoup parmi ces témoins portent encore, vivaces et comme gravés à jamais dans leurs mémoires, les souvenirs des scènes insoutenable de massacres, de torture et d'autres horreurs perpétrés ce jour-là et les semaines qui ont suivi. Les témoignages évoquent 11 endroits de la wilaya qui furent le théâtre de ces horreurs, notamment au centre-ville, à Héliopolis, à Belkheir, à Boumahra, à Oued Ch'hem et surtout au "crématoire" de Marcel Lavie, le "mal nommé". Dans le four à chaux situé à cet endroit furent enfournés des cadavres des victimes par camion entiers afin de faire disparaître leur trace aux yeux d'une commission internationale d'enquête dépêchée sur les lieux quelques jours après ces évènements de triste mémoire. Non loin de ce four, se trouve Kef El Boumba, lieu où furent "rassemblés et massacrés des convois entiers de prisonniers", se souvient Aïcha Djamaoui, âgée de 23 ans à l'époque des faits. Le premier convoi de prisonniers exécutés à cet endroit comptait 50 personnes parmi lesquelles figuraient Mohamed Tebbani et Hamid Djamaoui, frère aîné de Aïcha. Celle-ci raconte s'être rendue sur les lieux, le lendemain de l'exécution de son frère et qu'elle y a vu "des dizaines de cadavres amoncelés les uns sur les autres", le maire d'Héliopolis ayant refusé de les enterrer ou de laisser leur familles les inhumer. C'est dans l'ancienne caserne située au centre de Guelma que furent commis les premiers véritables dérapages de la police coloniale dans une opération de liquidation collective des militants du mouvement national. C'était le 11 mai 1945, date à laquelle furent exécutées froidement, ensemble, 9 personnes ayant pris part aux manifestations du 8 mai. Une correspondance émanant du chef de la compagnie mobile, le commandant Buisson, datée du 23 mai 1945 et expédiée au directeur général de la sécurité à Alger informait en effet ce dernier que l'exécution des manifestants s'est faite "par balles". La liste communiquée comprenait les noms de Mabrouk Ouarsi, Smaïl Abdou et son frère Ali, Messaoud Chorfi, Abdelkrim Bensouileh, Abdelhamid Douaria, Mohamed Belarouk et Mohamed Oumerzoug. Les survivants parmi les participants aux manifestations du 8 mai 1945, à l'instar de M. Abdellah Yelles qui était à l'époque âgé de 21 ans, se souviennent que les consignes données par le Parti du Peuple Algérien (PPA) étaient de "participer, mardi 8 mai, à une manifestation pacifique à partir de l'endroit dit El-Krimat". La manifestation qui a débuté en ce jour de marché hebdomadaire, entre 16 et 17 heures, rassembla quelque 3.000 participants de Guelma et des régions environnantes, se souvient-on. M. Abdellah se rappelle avec émotion que les manifestants entonnaient la chanson patriotique Min-Djbalina en traversant le boulevard Anouna sous les youyous des femmes, l'emblème national étant porté par Ali Abdou, en plus des drapeaux des Alliés, criant "Vive l'Algérie, à bas le colonialisme et vive la liberté !". Le cortège s'est ensuite dirigé vers le Monument-aux-morts, au c£ur de l'actuelle rue du 8-Mai-1945 où il fut intercepté par les forces de police au-devant desquels se trouvait le préfet-adjoint de Guelma, André Achiari. Ils commencèrent d'abord à tirer des coups de feu en l'air puis le feu fut dirigé vers les manifestants, se souvient "Ammi" Abdallah. Le chahid Abdellah Boumaza, dit Hamed, fut le premier à tomber, inaugurant la longue liste des martyrs du 8 mai 1945 à Guelma. Le vieux Abdellah Yelles porte à ce jour les stigmates de ces évènements sanglants. Les séquelles sont physiques (une balle se logea dans son genou, nécessitant une hospitalisation jusqu'à février 1947) et psychologiques : "Je n'oublierai jamais" ni ne pardonnerai, jusqu'à mon dernier souffle", dit-il en serrant la mâchoire, pendant qu'une larme serpente dans les sillons de sa joue burinée.