L'actualité et le caractère visionnaire de la pensée de Frantz Fanon au regard des nouvelles formes de colonisation qui menacent aujourd'hui les pays du Sud dans un contexte de crise du capitalisme mondial ont été d'emblée abordés lundi à Alger à l'ouverture du colloque "Esprit Frantz Fanon". Des intellectuels ont rappelé les mises en garde de l'auteur des "Damnés de la terre" concernant les tentations, au lendemain des indépendances, pour les élites de reproduire les mêmes schéma coloniaux de "domination" et de dépossession" des peuples en servant de "relais" à l'exploitation impérialiste. Placée sous l'exergue "Nous ne voulons rattraper personne", cette première journée à été l'occasion pour la fille du penseur, Mireille Fanon Mendès-France, d'affirmer que l'"état actuel de l'Afrique n'aurait pas surpris Fanon". La présidente de la fondation Fanon estime, dans une communication titrée "Les bombes à retardement du colonialisme", que le rapport de domination, mis en évidence par le psychiatre , trouve aujourd'hui sa continuité dans "l'échec relatif" des indépendances, "entretenu" par l'Occident grâce aux méthodes "de déstabilisation" à l'exemple de la Libye, et de la présence dans ces pays de "supplétifs locaux de l'ordre colonial" sous la forme d'une "bourgeoisie nationale" contre lesquels Fanon avait mis en garde. Cette "permanence d'une organisation qui opprime" s'est étendue, selon Mireille Fanon Mendès-France, jusqu'en Europe, notamment par l'hégémonie d'un "discours médiatique" obstacle à l'émergence d'une élite capable de porter un discours critique sur le capitalisme mondial et ses conséquences pour les population à l'exemple de l'état actuel de la Grèce. De son côté, l'économiste égyptien Samir Amin a abordé l'actualité de la pensée de Fanon en rapport avec les possibilités pour les "pays émergents" de faire face aux défis la mondialisation. Dans une communication intitulée " Frantz Fanon en Afrique et en Asie", Samir Amin est d'abord revenu sur la notion de "dépossession" chez Fanon, caractéristique du système colonial et de sa forme actuelle, l'impérialisme, basé sur la "dépossession des pays périphériques" par l'exploitation des ressources des au détriment des peuples. La "paupérisation gigantesque" des peuples d'Afrique et d'Asie est en partie due, selon Samir Amin, à la "tentation de rattrapage" pour les dirigeants des pays du Sud qui ont opté pour des politiques économiques capitalistes pour se développer alors que ce dernier est "fondé sur une polarisation systématique" entre les pays du centre et ceux de la périphérie. Estimant que le "développement auto-centré" une voie "incontournable" pour les pays du Sud, Samir Amin citera en exemple les politiques économiques menées par des pays comme l'Inde ou la Chine. L'autre tentation contre laquelle l'économiste a mis en garde à la suite de Fanon, est celle "passéiste" caractérisée, selon lui, par l'islamisme politique qu'il estime être "dans le capitalisme" et non en dehors. Une illusion d'un "retour aux sources" qui a justifié la critique par Fanon d'un des penseurs de la révolution iranienne de 1979 Ahmed Shariati, dont le fils Ehsan a présenté une communication en revenant sur les lettres envoyées par Fanon à son père. Pour sa part, l'universitaire indien Aijaz Ahmed a évoqué la réception de Frantz Fanon dans son pays qualifié de "difficile" à cause de la prédominance de la pensée de l'action non-violente dans l'histoire politique indienne. Une difficulté qui n'empêche pas, selon Aijaz Ahmed, la pertinence des analyses de Fanon sur les risques d'effondrement des Etats-nations au lendemain des indépendance si les élites ne jouent pas leur rôle. Cet effondrement, poursuit-il, trouve toute sa justification aujourd'hui dans le perte de souveraineté de certains Etats, même en Europe, face aux agences de notation (instituts chargés d'évaluer les performances de l'économie d'un pays sur des bases strictement comptables) D'autres intervenants de cette première journée ont évoqué l'actualité de Fanon sous le prisme de sa "critique radicale de l'humanisme européen", comme l'a estimé l'écrivain guinéen Tierno Monénembo dans une communication intitulée "Le blues de l'indigène". L'ouverture du colloque, qui se tient du 2 au 4 juillet, a été marquée par la présence de l'ancien chef du gouvernement et directeur d'El Moudjahid, (version historique), Reda Malek au côté de Khalida Toumi, ministre de la Culture Organisés du 1 au 10 juillet par les éditions APIC, les rencontres "Esprit Frantz Fanon" se déclinent en un colloque, des activités littéraires et des conférences-débats.