La bataille du mont Asfour, dans les Aurès, dirigée par Abbès Laghrour, chef de la zone qui deviendra plus tard la wilaya historique Aurès-Nememcha, est l'un des plus grands engagements de l'ALN (Armée de libération nationale) contre les forces d'occupation, au tout début de la Révolution de Novembre 1954. Cette bataille est aussi l'une des plus longues puisqu'elle dura deux jours, les 24 et 25 février 1956. Sa portée fut telle que le gouverneur général d'Algérie, Robert Lacoste, fraîchement nommé par le gouvernement socialiste de Guy Mollet, supervisa les combats du haut d'un hélicoptère, affirment nombre de Moudjahidine de Khenchela. Un officier français du grade de lieutenant y a été fait prisonnier par les djounouds de l'ALN, selon Abdelkrim Merad, premier chargeur de pièce sur un fusil mitrailleur FM 24/29. Il estime à 22 le nombre chouhadas tombés lors de cet engagement et à ‘‘plusieurs dizaines'' les pertes humaines de l'ennemi. Le chiffre de 300 soldats français tués lors de cette bataille, également appelée bataille de la Zaouïa ou encore de Khenag Lekehal, est gravé sur une plaque commémorative érigée sur le champ de bataille. Il a été également évoqué dans une lettre écrite durant la guerre de libération par le Moudjahid Mamoune Khaldi qui y avait pris part et qui mourut plus tard au champ d'honneur, en 1958, au djebel Bouârif de Batna. La lettre, adressée à son frère en Egypte, est toujours conservée par la famille Khaldi. Rencontré par l'APS sur le site même de cette bataille où les restes de douilles et d'obus de cet affrontement féroce sont encore visibles à ce jour, Adbelkarim Merad, alors âgé de 20 ans et sans grade à l'époque car il n'y en avait pas encore, affirme que le premier engagement militaire a été provoqué par l'ALN. Il était question de tendre une embuscade-éclair à une force militaire sortie de Taberdga et se dirigeant vers Siar, au Sud de l'actuelle wilaya de Khenchela. Une réunion de ‘‘l'Idara'' décide du déclenchement de l'engagement La décision de l'attaque a été prise la veille au cours du dîner qui réunit à la mosquée de la localité de Zaouïa, Abbès Laghrour avec les chefs de groupes de Moudjahidine à la suite de la réception d'une lettre de militants de Taberdga faisant état de mouvements de troupes armées françaises en leur direction. Abdelkarim Merad est au fait cette réunion de l''Idara" (appellation signifiant administration et désignant l'état-major) étant le 1er chargeur de Ahmed Houha, chef de pièce FM 24/29 qui y prit part. La décision étant prise, Abbès Laghrour ordonna aux plus âgés, aux malades et aux djounouds non armés de profiter de l'obscurité pour se retirer. Il conserva uniquement 70 hommes réellement aptes au combat. Fidèle à sa réputation de tacticien audacieux et intrépide, Abbès Laghrour prend la tête du plus important groupe chargé de tendre l'embuscade en se positionnant sur les abords immédiats dominant la piste Taberdga-Siar. Les autres groupes se répartissent sur les hauteurs au djebel Asfour pour couvrir leur retrait. A 7 h, les premières balles sifflent Sur ce site découvert, rocailleux et à la végétation très pauvre, les premières balles se font entendre à 7 h 00. La colonne de soldats français est prise sous le feu des armes des djounouds qui parviennent, selon Merad, après "des échanges nourris de tirs, à éliminer 40 à 50 soldats français, à emprisonner un lieutenant et à récupérer un lot d'armes et de munitions". Un seul Moudjahid tomba en martyr au cours de ce premier accrochage, assure encore ce témoin, poursuivant qu'"avant même de pouvoir dire ouf, nous étions surpris par des centaines de soldats français montant vers nous de toutes parts. Ils s'avançaient surtout du côté d'Ain El Mechnine, derrière de la crête où l'on avait placé notre pièce FM". Les tirs ne cessèrent que vers 11 h 00 avec l'apparition des avions de chasses crachant leur mitraille mais qui durent, selon Merad, se retirer au bout de quelques temps par peur de toucher leurs propres soldats. ‘‘Le champ de bataille étant totalement nu et quiconque quittait sa position était abattu, précise encore Merad qui indique que vers 13 h 00, ‘‘les tirs reprirent de plus belle avec une intensité effroyable et ce, jusque vers 19 h avec la tombée de la nuit qui interdisait toute visibilité''. Les Moudjahidine qui survécurent se retrouvèrent vers 21 h pour organiser leur repli. Abbès Laghrour est blessé aux deux jambes : la gauche atteinte d'une balle et la droite touchée par des éclats d'obus, raconte Merad qui signale avoir trouvé près de l'endroit où était étendu Abbès, immobilisé par ses blessures, ‘‘quelque chose comme 200 douilles de balles de pistolet Colt''. Cela signifie, pour ce témoin, que l'ennemi était à peine à 40 mètres de lui". Merad, étreint par l'émotion, marque un long silence avant d'indiquer que ce fut ‘‘un djoundi du nom de Benkhelfa, un homme de grande taille originaire de Zeribet El Oued (Biskra) qui porta Abbès Laghrour sur son dos de le placer, après une longue marche, sur le mulet d'un militant rencontré lors du retrait vers Dechrat Ettolba. ‘‘Les soldats français étaient si proches que l'on pouvait entendre leurs officiers les sommer d'avancer'' Les colonnes de soldats français les rattrapèrent le lendemain pour lancer, vers 16 h, leur offensive contre les nouvelles positions de l'ALN. Ils étaient si proches de nous qu'on pouvait entendre les cris "avance, avance" lancés par les officiers aux soldats de la légion étrangère, raconte Merad. La puissance de feu des Moudjahidine assistés par les renforts dépêchés par le centre d'Oued El Alleg, près de la montagne d'El Djorf, faisait que tout soldat qui avançait tombait aussitôt. ‘‘Et ils en moururent beaucoup, se souvient le même témoin qui soutient que l'intensité des tirs avait aussi rendu impossible toutes les tentatives de débarquement des troupes héliportées. ‘‘Au troisième jour, alors que nous nous attendions à subir de nouveaux assauts, nous fûmes surpris par le silence des montagnes, totalement vides de toute présence ennemie. Ce fut assurément une grande bataille et une belle victoire'', affirme Abdelkrim Merad avant d'ajouter avec beaucoup de spontanéité et une profonde conviction : ‘‘la providence a toujours accompagné Abbès Laghrour. Là où il se trouve, la victoire le suit. C'est le Khalid ibn El Walid (compagnon du prophète et général des premières Foutouhate musulmanes) de la révolution de Novembre''. Abdelkrim s'en sorti avec une blessure à la lèvre supérieure, tranchée en deux par l'éclat d'une pierre percutée par une balle. Il tient à ajouter, avant de prendre congé, qu'un fait survenu lors de cette bataille, ‘‘symbolisant un courage exceptionnel'' est resté incrustés dans sa mémoire. C'est, relate-t-il, lorsque se voyant encerclé, un djoundi répondant au nom de Sedrati, un ancien d'Indochine, jeta sa pièce FM du haut d'une falaise pour ne pas l'abandonner à l'ennemi. Il choisit ensuite de se jeter à son tour et de suivre son arme, mais sans savoir que si le FM était ‘‘sauvé'', son geste le sauva aussi lui-même puisque sa chute fut miraculeusement amortie par des buissons.